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DOSSIER : Catalogne

Pour une politique d’indépendance de classe

Mis en ligne le 7 novembre 2017 Convergences Monde

Avec l’application de l’article 155 de la Constitution qui suspend l’autonomie de la Catalogne, la politique répressive de Mariano Rajoy continue de se déployer. Les dirigeants de la Généralité ont été démis de leurs fonctions. Des inculpations et des incarcérations devraient suivre, dans la foulée de celles déjà effectives des deux principales figures des associations parties prenantes du processus vers l’indépendance, Jordi Sánchez (ANC) et Jordi Cuixart (Òmnium cultural).

Cinq ans après le tournant vers l’indépendantisme opéré par la droite catalaniste avec à sa tête Artur Mas, le processus a connu une sacrée accélération avec l’annonce du référendum du 1er octobre 2017. Pendant cinq ans, les nationalistes catalans avaient attendu une possibilité de négocier avec le gouvernement espagnol. Ils n’ont reçu comme seule réponse que le rappel à la loi et à l’ordre constitutionnel qui rendrait impossible et illégal ne serait-ce que de consulter la population sur l’indépendance.

Ce référendum indépendantiste s’est bien tenu. Malgré toutes les tentatives du gouvernement de Mariano Rajoy de l’empêcher dans les semaines précédentes. Malgré les violentes interventions policières le jour même. La journée s’est finie par une large majorité de « oui » dans les urnes (90 %), mais avec une participation qui est restée limitée (autour de 40 %). C’est la preuve qu’une partie importante de la population catalane souhaite aujourd’hui l’indépendance et est prête à se mobiliser dans ce sens… mais aussi que cette perspective est loin de faire l’unanimité dans la population de Catalogne. Bien sûr, on ne peut exclure que des événements fassent basculer vers l’indépendantisme d’autres couches de la population. Le plus grand recruteur pour l’indépendantisme est certainement aujourd’hui Mariano Rajoy et sa politique de répression.

L’inquiétant retour sur scène du nationalisme espagnol

Les diverses manifestations, en Catalogne et ailleurs, pour « l’unité de l’Espagne » illustrent une autre possibilité d’évolution politique, lourde de dangers. L’extrême droite ne veut pas rater l’occasion de marquer sa haine viscérale des nationalismes périphériques. Et le risque qu’une fraction des classes populaires de Catalogne se retrouve attirée par le discours de la droite nationaliste espagnole est bien réel.

Nous devons être solidaires de ceux qui se sont manifestés contre la répression policière contre le référendum du 1er octobre, c’est une évidence. Les révolutionnaires en Catalogne se devaient de participer à la journée de grève générale du 3 octobre, en être des acteurs, essayer d’entraîner la classe ouvrière pour se lever contre les mesures anti-démocratiques de Rajoy. Dans le reste de l’Espagne, être de toutes les actions pour dénoncer le coup de force de Rajoy, en faisant le lien avec sa politique contre la population de tout le pays, et aussi en affirmant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, y compris le droit du peuple catalan à se séparer si c’est son souhait.

Mais faut-il pour autant faire nôtres les perspectives portées par le mouvement indépendantiste ? La situation est complexe et le mouvement indépendantiste est divers. Il faudrait surtout que la classe ouvrière fasse entendre une voix indépendante, aussi bien des nationalistes catalans tous alignés derrière le très bourgeois gouvernement de la Généralité, que des partisans de l’unité espagnole aussi rangés derrière le tout aussi bourgeois gouvernement central.

Puigdemont n’est pas plus démocrate que Rajoy. Il n’y a qu’à voir comment il prend des décisions importantes comme suspendre sa déclaration d’indépendance sans même prendre la peine de consulter vraiment ses alliés de la CUP au Parlement. Ne parlons même pas de consulter la population. Certes, il a organisé un référendum, mais c’était pour faire une démonstration de force dans son bras de fer avec Madrid.

Quant à la fraction immigrée de la classe ouvrière qui travaille en Catalogne, personne ne semble se préoccuper de son avis, évidemment pas le PDeCAT, mais pas non plus la CUP. Pourtant, ces travailleurs constituent une partie significative de la classe ouvrière, travaillent et vivent en Catalogne… et ont certainement un avis sur la question de l’indépendance.

Le nationalisme catalan reste un nationalisme

Le succès de l’indépendantisme traduit certainement des sentiments divers dans la société catalane. Une vieille aspiration nationale, en toile de fond, avec un passé, pas si ancien, d’une réelle répression sous le franquisme contre la culture catalane, sa langue et tous les mouvements catalanistes. Mais comme bien des nationalismes, le sentiment national catalan vient aussi accompagné de préjugés. Et le préjugé que les Catalans payent pour le reste de l’Espagne, pour des régions plus pauvres, est bel et bien aussi là, et porté plus ou moins ouvertement par une partie des tenants de l’indépendance. Qu’on ne puisse pas réduire la montée de l’indépendantisme au slogan « l’Espagne nous vole », certes. Que des indépendantistes de gauche s’en démarquent clairement, c’est aussi vrai. Mais dans l’espèce d’unité nationale catalane qui s’est constituée, qui va de la droite libérale à des formations d’extrême gauche, en passant par des syndicats de travailleurs et des associations patronales, avec toutes les classes sociales, exploiteurs et exploités ensemble… ce sont les plus nantis qui donnent le ton.

C’est surtout la situation de crise et ses conséquences sociales qui expliquent le succès de l’indépendantisme depuis 2012. L’indépendance apparaît comme une réponse possible au chômage, aux coupes budgétaires, à la misère croissante, aux bas salaires, à la précarité, à la difficulté de se loger, etc. Il est certainement illusoire de penser qu’une Catalogne indépendante pourrait être plus prospère que dans le cadre de l’Espagne et de l’Union européenne. Et si elle était plus prospère, ce serait au détriment des classes populaires, qui seraient les laissés pour compte d’une Catalogne bourgeoise indépendante. Illusoire de penser qu’un gouvernement de Barcelone serait plus proche du peuple que celui de Madrid, ou qu’il serait plus facile à contrôler par la population.

Quelle mobilisation populaire ?

Il y a une mobilisation d’une partie de la population catalane autour de l’indépendance. C’est vrai. Cela dit, restons mesurés. La mobilisation reste surtout dans le cadre fixé par le gouvernement, hier d’Artur Mas, aujourd’hui de Carles Puigdemont, et par leurs soutiens, les associations indépendantistes ANC et Òmnium. Cette mobilisation reste d’abord le fait de la petite-bourgeoisie, de la jeunesse étudiante et lycéenne, des ‘classes moyennes’. Cela leur assure un soutien populaire indéniable mais ne fait pas de l’indépendantisme catalan un combat nécessaire de la classe ouvrière de Catalogne… ou d’Espagne. Si la classe ouvrière d’Espagne, et de Catalogne en particulier, disposait d’un parti de classe indépendant, elle s’adresserait à toutes ces couches populaires pour combattre les illusions dans la solution de leurs problèmes par l’indépendance mais, au contraire, par l’union avec tous les travailleurs d’Espagne… lesquels d’ailleurs subissent la même politique de la part du gouvernement de Madrid comme des gouvernements régionaux.

Lors de la grève générale du 3 octobre, juste après les charges policières du 1er octobre, il y a eu une réaction massive contre la répression policière. Mais il faut aussi voir que les plus grandes usines étaient peu affectées et que la grève était loin d’être générale, malgré l’appel justifié de toutes les organisations syndicales le 1er octobre. Si le pays a été à l’arrêt, c’est aussi parce que la journée d’action avait l’assentiment des autorités régionales, qui ont fait fermer, d’en haut, écoles et universités, et d’une partie d’un patronat qui a aussi procédé à la fermeture de nombreux commerces et entreprises (jusqu’à la chaîne catalane de supermarchés Bon Preu, une entreprise familiale de 160 magasins avec 4 500 salariés). Ce n’est pas la classe ouvrière qui a donné le ton dans cette journée, ni par sa présence, ni même par l’utilisation de ses moyens d’action. Il est vrai que les principaux syndicats (Commissions ouvrières et UGT) avaient modéré leur appel la veille de la grève en invitant les salariés à trouver des accords avec les patrons pour les modalités de cet « arrêt du pays ». On a vu infiniment plus de drapeaux indépendantistes que de drapeaux syndicaux, rouges ou anarchistes dans cette journée.

Le soir même, les partisans du gouvernement Puigdemont ont appelé à la fin de la mobilisation, et ils ont été aussitôt suivis. Il faut bien constater que dans ce processus pour l’indépendance, ce sont bien les partis et les associations bourgeoises qui donnent le tempo.

Impossibles négociations au sommet ?

Après la déclaration unilatérale d’indépendance d’une part, et la suspension de l’autonomie de la Catalogne d’autre part, la situation reste très incertaine. Puigdemont veut bien mobiliser la population quand il la contrôle, pour l’utiliser comme une masse de manœuvre dans son bras de fer contre le pouvoir de Madrid. Pour l’instant, il ne craint pas réellement d’être débordé, mais il prend ses précautions pour que tout reste bien encadré.

Des tentatives de conciliation ont eu lieu avant la déclaration d’indépendance, notamment par l’entremise de chefs d’entreprise et du gouvernement autonome basque. Il s’est dit que Puigdemont aurait envisagé de renoncer à la déclaration d’indépendance en échange du retrait de la suspension de l’autonomie catalane. Cela n’a pas eu lieu.

Madrid semble avoir fait le choix de faire de ce cas un exemple en adoptant la répression. Faire un exemple vis-à-vis des autres régions d’Espagne, d’une part, qui pourraient être tentées de demander plus d’autonomie aussi. Exemple aussi vis-à-vis de la population laborieuse, pour faire une bonne démonstration que contester le pouvoir n’aboutit pas et ne mène à rien. Accessoirement, le PP cherche aussi à renforcer son propre camp, mobiliser derrière le gouvernement en pointant du doigt un ennemi intérieur bien pratique pour détourner l’attention, aussi bien de sa politique que des affaires de corruption.

Il serait temps que les travailleurs mettent leur grain de sel en mettant en avant leurs propres intérêts et en affirmant leur indépendance politique vis-à-vis des camps bourgeois.

L’indispensable indépendance de la classe ouvrière

La classe ouvrière de Catalogne est à l’image de la classe ouvrière de l’Europe, métissée, avec des gens venus de diverses régions, de divers pays. Certains viennent de Catalogne, d’Andalousie, du Maroc, ou d’Amérique latine. Ils auraient tous à se retrouver, ensemble, contre Rajoy, contre Puigdemont, contre les patrons catalans, espagnols ou d’ailleurs. C’est cela qu’il faudrait d’abord défendre.

La montée en puissance des nationalismes catalan et espagnol tend au contraire à raviver des divisions dans la classe ouvrière, et à diviser la classe ouvrière catalane de celle du reste de l’Espagne. Et, pire encore, si l’on peut dire, elle met les travailleurs ‘catalans’ à la remorque d’organisations ne contestant ni de près ni de loin le capitalisme, des organisations de la bourgeoisie.

La montée de l’indépendantisme n’a rien de progressiste. C’est une voie de garage pour la population catalane, qui ne gagnerait rien à s’isoler des travailleurs du reste de l’Espagne et de l’Europe, bien au contraire.

Les indépendantistes anticapitalistes de la CUP aiment dire qu’il faut « tout changer », et présentent l’indépendance de la Catalogne comme un préalable pour une sortie du capitalisme, un développement plus écologique, une société plus accueillante envers les migrants, etc. En attendant, ils soutiennent le gouvernement Puigdemont, en avançant régulièrement quelques protestations, vite oubliées.

« Tout changer », oui. Mais vraiment tout, et ça ne passera pas par l’indépendance d’une région obtenue par l’union nationale où l’on gomme les différences entre les classes sociales. Cette voie ne pourrait aboutir qu’à une république bourgeoise tout aussi anti-ouvrière et anti-démocratique que les autres régimes en Europe.

À la fraction de la population catalane qui a envie de « tout changer », dont certains sont aujourd’hui indépendantistes et d’autres ne le sont pas, il faudrait clairement et sans ambiguïté proposer nos perspectives : le renversement du capitalisme par la mobilisation du monde du travail, mobilisation dans laquelle les travailleurs catalans auraient besoin d’agir main dans la main avec la classe ouvrière du reste de l’Espagne, du reste de l’Europe et d’ailleurs. Bien plus qu’un soutien à un indépendantisme qui n’est rien d’autre qu’une impasse nationaliste, c’est l’unité internationale des travailleurs qu’il convient de mettre en avant.

29 octobre 2017, Sabine BELTRAND

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