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DOSSIER : Elargissement à 25, nouvelle constitution : l’Union européenne, une menace pour les travailleurs ?

Pour lutter, cadre agrandi... et idées larges !

Mis en ligne le 14 mai 2004 Convergences Monde

Les travailleurs doivent-ils craindre une nouvelle régression sociale avec l’entrée des 10 nouveaux Etats dans l’Union européenne ? Doivent-ils craindre à la fois une nouvelle vague de délocalisations vers les pays de l’est et un afflux d’immigrés, qui déséquilibreraient le marché du travail et même les systèmes d’aides sociales ?

Les emplois déménagent à l’est...

En Hongrie, en Pologne, en République tchèque ou en Slovaquie, le patronat peut espérer une main d’œuvre non seulement moins chère, mais relativement qualifiée, gravement touchée par le chômage de masse et supposée d’autant moins revendicative. Il ne se prive pas d’ailleurs de rappeler lui-même son attirance pour ces pays, histoire de faire peur aux salariés ! Le syndicat allemand de la métallurgie vient encore de dénoncer, tout récemment, les intentions de Siemens de délocaliser 10 000 des 160 000 emplois du groupe en Europe orientale.

Mais les capitalistes n’ont pas attendu l’élargissement pour investir dans les pays de l’est ! Les investissements directs des trusts de l’UE dans ces pays se sont élevés à plus de 120 milliards de dollars au total dans les dix dernières années, soit le quart du PIB des nouveaux Etats membres. Il n’y a guère de raisons de penser que après ce 1er mai on verra une accélération de ce mouvement qui se mène depuis 15 ans. En réalité, Europe ou pas, le même chantage, les mêmes pressions s’exerceraient sur les travailleurs. D’ailleurs bien plus qu’en Europe de l’Est n’est-ce pas en Asie que maintenant les patrons affirment pouvoir trouver les conditions de production au plus bas prix ?

Si les entreprises françaises, par exemple, font travailler 3,5 millions de personnes à l’extérieur des frontières, 2 millions de salariés travaillent en France pour des filiales d’entreprises étrangères, « délocalisées » elles aussi... Le premier chiffre est cité avec plus de complaisance que le premier, dès lors qu’il s’agit d’intimider les salariés. Mais en supposant, hypothèse absurde, qu’on oblige les capitalistes à revenir sur toutes leurs délocalisations, on assisterait à un effondrement des échanges commerciaux internationaux et pas à un rapatriement des emplois mais à de nouveaux licenciements. En fait les entreprises françaises espèrent bien développer encore un peu plus leurs marchés à l’est, et ainsi leurs commandes et profits. L’ouverture des frontières ne diminuera pas le volume du travail, au contraire. Elle n’est donc pas en soi destructrice d’emplois dans les pays riches... à condition bien sûr que les travailleurs se donnent les moyens de refuser l’accroissement de l’exploitation que veulent leur imposer les patrons.

Il est vital pour les travailleurs de s’opposer aux licenciement, de vouloir garantir leurs emplois et leur niveau de vie. Mais ils le feront en contestant au patronat le droit et le pouvoir d’user comme bon lui semble de ses capitaux, le droit de fermer ici, ouvrir là une usine. C’est vrai de toute restructuration, et même des délocalisations de l’Ile-de-France vers la Bourgogne ou l’Auvergne !

Quel aurait été le meilleur moyen, le seul d’ailleurs, pour empêcher la fermeture de l’usine de Vilvorde ? Se battre pour que la production reste « belge », au détriment des Espagnols ou des Slovènes, ou construire une lutte d’ensemble de toutes les usines du groupe ? C’est pourquoi la propagande qui présente les délocalisations comme la menace principale conduit les travailleurs dans une impasse, car elle sous-entend que c’est là la cause essentielle du chômage, ce qui est faux, et fait miroiter, comme solution, illusoire, la « fermeture des frontières ». Du coup, elle enferme les travailleurs dans la cage des préjugés chauvins, et les empêche de s’unir pour se battre.

... et les chômeurs à l’est ?

Plus crasseuse encore, la démagogie sur l’immigration. Blair a par exemple agité le spectre d’une invasion de « touristes sociaux ». La quasi-totalité des anciens Etats membres ont annoncé une restriction, « à titre transitoire », du libre accès à leur territoire des citoyens européens de l’est. Pour arrêter cette nouvelle invasion barbare, Blair a restreint le droit de travailler sur le sol britannique. En France aussi, un Hongrois ou un Letton, sauf exception, attendront 2009 pour avoir le droit de répondre à une offre d’emploi et s’inscrire à l’ANPE.

Pourtant, la commission européenne a elle-même publié un rapport qui estime à seulement 220 000 environ le nombre de personnes par an susceptibles d’aller chercher du travail à l’ouest. Par ailleurs, les Grecs ou les Espagnols, quand ils ont adhéré à l’UE dans les années 1980, n’ont pas émigré en masse.

Tenter d’empêcher l’immigration est d’abord une impossibilité tant que les patrons sont aux commandes. Mais surtout si les travailleurs français ou belges se battaient avec de tels objectifs, cela ne pourrait qu’avoir des conséquences terribles... pour eux-mêmes. C’est tout de même la leçon à retenir de 30 ans de politique de répression des immigrés en Europe ! On n’a guère vu en quoi cela protégeait les salariés français ou allemands des bas salaires et du chômage. La seule défense possible, c’est d’imposer des droits et des salaires égaux pour tous, de s’adresser aux travailleurs étrangers et de les assister dans leurs propres luttes pour l’égalité.

L’Europe : une catastrophe sociale pour les pays de l’est ?

Et pour les travailleurs des pays de l’est ? L’intégration à l’UE peut-elle être un espoir de sortir du sous-développement dans laquelle ils se trouvent, ou une menace sociale ?

En fait, ils n’ont malheureusement pas attendu l’adhésion à l’UE pour subir une catastrophe sociale. A part Malte et Chypre, les nouveaux adhérents ont un héritage dit « communiste » : une panoplie d’avantages offerts par l’entreprise publique et l’Etat, des produits de base dont les prix étaient subventionnés, une garantie de l’emploi (couplée à des salaires misérables), et un niveau minimum de revenu et de protection sociale, retraite, santé, allocations familiales, sans restriction d’accès. Cet ensemble a été démantelé à partir de 1989, de façon systématique, par tous les gouvernements « démocratiques ».

Ceux-ci ont réduit drastiquement les dépenses sociales. Elles sont passées, en République tchèque, de 42 à 33 % du budget entre 1989 et 1994, de 37,5 % en 1991 à 27 % en 1999 en Hongrie. Alors que partout le chômage augmentait brutalement avec les privatisations, les allocations devenaient plus faibles et plus difficiles à obtenir. Les dépenses sociales des nouveaux adhérents sont nettement en dessous de la moyenne de l’actuelle Union européenne, non seulement en volume, mais aussi en proportion du PIB : 19,4 % contre 27,4 %.

La bourgeoisie renaissante voulait ces réformes pour développer ses affaires. Elle avait aussi une opportunité politique à saisir, car il était possible de faire passer bien des choses dans ces pays, sous prétexte de sortir de la dictature « communiste », de renouer avec la liberté et l’indépendance nationale. L’Europe, elle, n’a été qu’un argument politique supplémentaire pour justifier ces « thérapies de choc », qui étaient présentées comme nécessaires pour rejoindre un jour l’UE, et bénéficier alors de belles perspectives économiques.

L’Europe a partout le dos large ! Les travailleurs sont effectivement victimes de la concurrence permanente que le capital organise entre eux, pour peser sur les salaires et les conditions de travail. C’est l’essence même du capitalisme. La seule parade possible, ce sont les luttes, et l’unité politique des travailleurs, pas la nostalgie des frontières. C’est ce qui rend de plus en plus nécessaire le développement d’un mouvement ouvrier, à l’échelle de toute l’Europe (et au-delà !), pour imposer partout des revendications communes à tous les travailleurs, les vraies « convergences sociales » qui unifieraient réellement le continent.

Bernard RUDELLI


Le kaléidoscope européen

L’entrée des 10 dans l’UE augmente de 25 % sa superficie, de 20 % sa population... et de 5 % son PIB. Mises à part Malte et Chypre, le PIB par habitant (qui n’est déjà qu’une mesure limitée des différences économiques et sociales) des nouveaux pays se situe au plus autour de 50 % (et le plus souvent au-dessous) de celui des pays de l’Europe riche : Allemagne, France, Grande-Bretagne ou Italie.

Selon le rapport de l’institut de statistique européen Eurostat, « en 2000, les coûts horaires de la main d’œuvre dans l’industrie et les services de l’Union Européenne présente des disparités allant du simple au triple. Les coûts horaires de la main d’œuvre sont de 8,10 au Portugal alors qu’ils seraient de 28,60 en Suède. Et ils étaient de 2,42 en Lettonie. » Mais qu’on ne s’y trompe pas. Les nouveaux investissements espérés des trusts européens ne signifient pas automatiquement ni des emplois en plus ni un niveau de vie plus élevé. Ainsi, le rachat de l’entreprise automobile Dacia de Roumanie par Renault en 1999 s’est traduit par le licenciement de la moitié des salariés et des salaires mensuels moyens par ouvrier de 143 euros !

Pour les pays pauvres de l’Europe, et plus encore pour les exploités de ces pays, le rattachement à l’UE ne sera donc pas forcément le Pérou. Même pas pour ceux qui espèrent émigrer : non seulement ils ne pourront le faire librement que dans quelques années mais les emplois qu’ils trouveront à l’ouest ont bien des chances d’être les plus durs ou les plus mal payés (ceux dont personne ne veut)... s’ils en trouvent.

R. P.

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