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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 63, mai-juin 2009

Postiers du 92 : Une grève dure qui visait à s’étendre au-delà des Hauts-de-Seine

Mis en ligne le 30 avril 2009 Convergences Entreprises

Après plus de neuf semaines de grève (et plus de onze pour les facteurs de Boulogne) [1], les postiers des Hauts-de-Seine ont repris le travail le mardi 31 mars après validation en assemblée générale (80 voix pour et 21 contre) le lundi 30 du protocole de sortie de conflit signé entre La Poste des Hauts-de-Seine et Sud le 28 mars, pendant que les grévistes occupaient jour et nuit la direction départementale à Nanterre.

Les grévistes, tout en étant restés minoritaires dans la plupart des centres, ont pu reprendre le travail la tête haute. Ils ont obtenu un recul de l’application de « facteur d’avenir » (entre 9 mois et 2 ans selon les bureaux), cinq jours de repos compensateurs pour l’ensemble des postiers des bureaux touchés par la grève, l’octroi du grade de I.3 à onze collecteurs (et la mise en place d’une commission pour les autres dossiers), la suppression de tous les dossiers disciplinaires et la neutralisation de 30 % des jours de grève.

Bilan d’une grève pleine d’enseignements :

Une minorité significative, un salariat atomisé

À partir de la manifestation nationale du 29 janvier et après le 11 février où la CGT et la CFTC ont elles aussi déposé des préavis départementaux, le nombre de grévistes oscillera autour d’une moyenne de 220-230 grévistes, essentiellement des jeunes. Une vingtaine de bureaux seront touchés. Sur l’ensemble du conflit, plus de 600 postiers se seront engagés à un moment ou à un autre dans la grève reconductible.

Au premier abord, les chiffres de grévistes semblent faibles. Seulement, à l’instar d’une bonne part des salariés de l’hexagone, les facteurs de banlieue travaillent dans des structures comptant l’essentiel du temps moins de 100 personnes, voire moins de 50. Les quelque 1 500 facteurs du 92 sont dispersés sur 33 sites. Faire le lien dans ces conditions est évidemment très compliqué. En fait, ce sont environ 20 % en moyenne de l’effectif de chaque bureau touché (il y en aura 24 au maximum) qui ont tenu pendant plus de 8 semaines. Loin d’être négligeable cette grève aurait pu, par sa dynamique et l’exemple qu’elle donnait, être le bourgeon d’un mouvement plus large.

Une organisation démocratique de la grève

Pallier l’éclatement des facteurs n’était pas chose facile, c’est le premier problème que devaient régler les animateurs du mouvement. À l’intervention quotidienne dans les bureaux s’est ajoutée la mise en place d’une assemblée générale départementale quotidienne. Tenue alternativement à Boulogne et à Nanterre, elle regroupa entre 120 et 160 personnes sur toute la durée du conflit. Loin d’être simple dans un département de banlieue où les transports de ville en ville sont difficiles et la géographie biscornue (un haricot), la régularité et le nombre de participants à cette réunion ont été autant de symptômes de l’énergie et de l’investissement de chacun. Au fil des jours, les modalités de l’AG se sont précisées : minutage des prises de parole, inscription des intervenants et votes sanctionnant chaque action, décisions ou continuation de la grève. Vivant au rythme du mouvement, l’assemblée a été le théâtre de bien des débats, tensions et interrogations. Début février, elle décidait de mettre en place un comité de grève.

Pas formellement élu, mais ouvert à tous, ce comité n’est devenu vraiment opérationnel que dans la seconde semaine de février. Chaque après-midi entre 15 et 30 grévistes se réunissaient pour devenir, de fait, la véritable direction de la grève. Son obsession permanente a été de rythmer les semaines autour du triptyque : consolidation, extension et actions.

Du côté de la direction : un pot pourri de sales coups

Tous les jours, dans la quasi totalité des bureaux, la direction a fermé les portes aux grévistes en faisant appel à des vigiles, à la police et en employant des cohortes d’huissiers. Pour ces derniers, la note (présentée au tribunal) a été de 45 000 €, uniquement pour le mois de janvier. Certains jours, on frisait le surréalisme.

Pour les grévistes cette débauche de moyens pour les empêcher de s’exprimer était le signe évident que le mouvement faisait peur à la direction. Mensonges, affiches calomnieuses, plaintes pour des incidents inexistants ont émaillé les mois du conflit et justifié la menace de licencier ou de sanctionner lourdement une dizaine de grévistes et représentants syndicaux. Dans cette ambiance électrique, il est notable de constater que les postiers en lutte ont su conserver leur sang froid et maintenir le cap sur la priorité du mouvement : son extension.

Fin février-19 mars : politique d’extension hors du département

Près d’un mois et demi après le départ des facteurs de Boulogne, les négociations étaient au point mort. Malgré l’intercession d’un médiateur nommé par le juge du Tribunal de grande instance de Paris (dont les tarifs laissent songeur), la direction avait, pour la énième fois, claqué la porte. Que faire dans une situation bloquée où l’extension sur le département semblait désormais avoir atteint ses limites ?

Le comité de grève cherche des solutions. C’est dans la diffusion du mouvement au reste de l’Île de France qu’il voit une issue. Nous étions convaincus que la grève, même minoritaire sur chaque site, mais étendue sur tout le département, pouvait enclencher une dynamique permettant au mouvement d’ensemble de s’épanouir. Pour le comité, et ensuite pour l’assemblée générale, les choses étaient simples : si Paris nous rejoignait, avec des taux de grève et une AG similaire, il y aurait 1 200 grévistes sur la capitale et 700 présents aux assemblées quotidiennes. Forts de cette idée, nous avons lancé des appels tous azimuts.

Si quelques interventions à Paris ont été possibles (dans le XVII°, XIX° et VIII° arrondissements), avec un accueil plutôt sympathique, ce n’est pas dans la capitale que l’écho fut le plus favorable, à l’exception notable des facteurs de Paris VIII qui débrayèrent (à environ 30 %) les 18 et 20 mars contre l’avis de la CGT. C’est dans le 91 (Essonne) qu’une poignée de syndicalistes Sud, militants au NPA pour les plus actifs, ont lancé la grève sur leur département. Pendant quinze jours, du 9 au 19 mars, entre 50 et 170 facteurs, répartis sur une dizaine bureaux ont tenté le pari de rejoindre les Hauts-de-Seine, sur les mêmes revendications. Malheureusement, sans relais sur le reste de l’IDF (hormis bien sûr le 92), en particulier sur Paris, le mouvement n’a pas trouvé le souffle nécessaire pour s’ancrer dans la durée et atteindre un nombre de grévistes suffisant.

Le point d’orgue et la fin de la tentative d’extension, la manifestation nationale du 19 mars, donna lieu à un cortège de plus de 300 postiers et 500 participants, qui sonna (joyeusement) le glas des espoirs de grève générale postale. Le lendemain, les grévistes du 91 avaient repris le travail et ceux du 92 étaient à nouveau seuls.

Radicalisation

L’échec de l’extension posait l’épineux problème des perspectives. Les médias ayant consciencieusement fait le black-out sur le mouvement, les grévistes décidèrent de chercher les moyens de populariser leur action. Entre le lundi 23 et le mercredi 24 mars, le ministère de l’économie, de l’industrie et des finances est investi, un piquet est installé à la sortie de la direction du 92 (conclue par l’intervention brutale de 70 policiers) et la direction nationale de La Poste est squattée pendant 12 heures. Ce jour-là, le mercredi, la direction du courrier promet des négociations pour le lendemain et les grévistes lèvent le camp à minuit et demi.

Le lendemain, à 14 heures, heure théorique des négociations, le directeur du 92 fait savoir qu’il a un empêchement. À 14h30, nous apprenons qu’il s’est enfui à Paris pour signer un protocole de reprise du travail avec la CFTC. Il indique qu’un exemplaire est disponible dans les locaux et que la CGT et SUD peuvent aller le parapher. Devant cette provocation, une réaction s’imposait. Décision fut prise de pénétrer dans les locaux et d’en faire le quartier général du mouvement. Pendant les 48 heures que vont durer l’occupation, l’objectif est atteint : des dizaines de militants (NPA essentiellement mais aussi PCF ou FG) passent voir les grévistes, des postiers (même non grévistes) viennent dirent bonjour et la député de Nanterre-Suresnes (PCF) entre dans les locaux pour faire un discours de soutien. La direction, sentant le danger, multiplie les calomnies et obtient d’un juge une ordonnance d’expulsion. Les postiers refusent de partir et voient venir en renfort des dizaines de personnes.

Le risque de « politisation » du mouvement, renforcé par la présence d’Olivier Besancenot, pousse la direction à chercher, en catastrophe, une issue. Dans la nuit du vendredi au samedi, un protocole est signé avec Sud. Son application est soumise à l’approbation de l’assemblée générale du lundi d’après, qui votera la suspension du mouvement. Il nous a manqué le nombre pour gagner.

Épilogue

Les résultats formels de la grève du 92 sont mitigés. On ne peut pas parler de victoire, même si des avancées significatives ont été obtenues (en particulier les 5 jours de repos compensateurs accordés à l’ensemble des agents des bureaux touchés par la grève), mais il ne s’agit sûrement pas d’une défaite. Avec les moyens qu’il avait et le rapport de force dont il disposait, le mouvement a été au bout de ses possibilités. Subjectivement par contre, le sentiment général est la fierté d’avoir mené une lutte dans des conditions assez dures. Le groupe qui s’est soudé dans la bataille a dépassé l’horizon local et s’est entraîné à s’adresser aux autres bureaux, y compris au-delà du département. Le comité de mobilisation né après le mouvement s’est déjà réuni deux fois et la fête de fin de conflit (pourtant en plein week-end de Pâques) a regroupé plus de 120 personnes. La solidarité de nombreux individus et organisations (50 000 € dans la caisse de grève) a conforté les participants qu’il faudrait bientôt se remettre en selle, plus nombreux, plus largement, pour gagner.

Erwan PIAM


Médiateur « social » : un métier qui ne connaît pas la crise

Le médiateur nommé par le TGI de Paris pour trouver une issue au conflit doit tenir à ses prérogatives. Après qu’il eut fait son œuvre, la grève a encore duré un mois et demi. Il a pourtant présenté l’addition : 18 000 €, soit 250 € de l’heure. En voilà un que la crise n’inquiète pas.


Panique à Paris XI

Dans le bureau du XI° arrondissement, les cadres ont soudain eu vent d’une invasion imminente par les furieux du 92. Aussitôt, ils ont barricadé les lieux et fait garder les portes. Grâce à cette judicieuse idée, les facteurs ont parlé du conflit du 92 une partie de la matinée. La paranoïa a parfois de ces effets…


[1Sur les raisons de la grève, les restructurations à la Poste et le déroulement des premières semaines du conflit, se reporter à notre article du numéro 62 de Convergences Révolutionnaires.

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Numéro 63, mai-juin 2009

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