Portugal : La gauche radicale à la rescousse d’un nouveau gouvernement PS
Mis en ligne le 9 décembre 2015 Convergences Monde
Le Portugal connaît des péripéties politiciennes, entre autres autour de la constitution d’un gouvernement, après les élections législatives du 4 octobre dernier qui n’ont donné de majorité gouvernementale à personne. La coalition de droite sortante est arrivée en tête avec 38,6 % des suffrages exprimés, une chute de 12 % et une majorité désormais seulement relative. Le Parti socialiste a remporté la deuxième place avec 32,3 %. Ensuite les partis de la gauche dite radicale ont obtenu de bons scores, 10,2% pour le Bloc de gauche (BE) [1], (un score déjà obtenu aux élections européennes de 2009), tandis que l’alliance Parti communiste (PCP)/Verts en recueillait 8,3 %. Mais ces élections ont surtout été marquées par une abstention record sanctionnant probablement le dégoût de coalitions gouvernementales de droite et de gauche qui se sont succédées pour imposer des politiques d’austérité.
Après les élections du 4 octobre, première tentative de coalition de droite : c’est le fiasco, une motion de censure votée le 10 novembre par les députés du Bloc de gauche, du PCP/Verts et du Parti socialiste la met en échec. Deuxième tentative : le 26 novembre dernier, un gouvernement socialiste se constitue, bénéficiant du soutien du Bloc de gauche, du Parti communiste et des Verts.
C’est évidemment la nouveauté, ce soutien de la gauche radicale à des socialistes qui comptent quelques décennies de gouvernement (y compris à l’occasion avec la droite) contre les classes populaires ! Tous prétendent créer un « espoir à gauche » qui serait inédit depuis 40 ans. Le programme du gouvernement PS contient des promesses de remise en cause de certaines des mesures parmi les plus impopulaires du gouvernement précédent. Mais rien que des promesses faites à la gauche dite radicale en échange de son soutien et dont on ne sait lesquelles seront tenues...
Un ras-le-bol bien réel
Mesurés à l’aune de l’abstention record (plus de 44 %), les attentes et l’espoir des classes populaires sont minimes. Mais leur ras-le-bol vis-à-vis du précédent gouvernement de droite est bien réel. Le gouvernement de Passos Coelho a pendant quatre ans aggravé l’austérité, la précarité dans le monde du travail, poussant l’arrogance jusqu’à appeler les travailleurs à émigrer pour se faire un avenir. Au point que la population du pays a baissé entre 2011 et 2015, le gouvernement se félicitant du coup d’une baisse du taux de chômage qui ne trompe personne.
Si la coalition gouvernementale précédente de la droite PSD/CDS/PP a chuté par rapport à 2011 – 38,6 % au lieu de 50,4 % –, le Parti socialiste n’a qu’un peu bénéficié de ses quelques années dans l’opposition. Au pouvoir entre 2005 et 2011, c’est le gouvernement socialiste de José Socrates qui a inauguré des plans d’austérité drastiques, augmentant la TVA à 23 %, généralisant l’usage du CDD à tous crins, augmentant l’âge de départ à la retraite, fermant des services de santé et des écoles et s’attaquant aux fonctionnaires dont les salaires ont été baissés et les départs à la retraite non remplacés. Depuis, la majorité de la population portugaise s’est considérablement appauvrie : aujourd’hui un travailleur sur cinq vit avec moins de 411 euros par mois, en dessous du smic qui est de 505 euros nets.
Des scandales financiers à n’en plus finir
Ces dernières années, la population vit aussi au gré des scandales financiers qui défrayent la chronique, impliquant les plus grandes banques du pays et des responsables politiques de tout bord. L’ « aide » de 78 milliards d’euros accordée par les institutions européennes en contrepartie de plans d’austérité comme en Grèce, a surtout servi à renflouer des institutions financières à l’instar de la banque BPN, déjà « sauvée » en 2008 et depuis des années sous le coup d’une enquête pour blanchiment d’argent et fraude fiscale, en lien avec des banques suisses. La banque Espirito Santo (du nom de l’une des familles bourgeoises les plus puissantes du pays), responsable de montages financiers crapuleux de milliards d’euros, a dû être démantelée en 2014. Quant à l’ancien premier ministre socialiste José Socrates, il est actuellement en résidence surveillée après avoir fait un an de prison préventive. Il est accusé d’avoir détourné près de 13 millions d’euros en retro-commisions et autres opérations frauduleuses pour son usage personnel et serait impliqué dans les procès pour corruption qui touchent aujourd’hui le gouvernement et les grands groupes du BTP brésiliens.
Un « espoir à gauche », vraiment ?
Ces dernières années, la population a mené des luttes contre les mesures d’austérité, notamment contre les coupes sombres dans les services publics, l’augmentation du temps de travail sans augmentation de salaire, la baisse des retraites et des revenus. C’est dans les transports, la santé et l’enseignement que les travailleurs ont engagé les grèves les plus déterminées depuis 2009. En 2012 des manifestations très massives ont même fait reculer le gouvernement sur une énième augmentation des cotisations sociales sur les salaires. Bien significatif est le fait que la campagne électorale du Parti socialiste ait tourné presque exclusivement autour de la prétendue nécessité de combler l’énorme déficit laissé par la droite (la dette publique aurait triplé ces quatre dernières années). Ce qui signifie qu’il s’apprête à demander de nouveaux sacrifices à la population...
Et pourtant cela n’a pas empêché la « gauche de la gauche » de faire de la chute du gouvernement de droite, sorti des élections du 4 octobre avec un soutien minoritaire au parlement, l’objectif numéro un. Elle a fait campagne cet automne pour faire respecter la majorité électorale de « gauche », puisqu’on obtient 52 % si on additionne les résultats du PS, de l’alliance PCP/Verts et du BE.
Le BE et le Parti Commniste, qui ont tous deux milité dans leur campagne électorale contre les mesures d’austérité, ont mené, depuis, des négociations, chacun de leur côté, avec le PS afin, disaient-ils, d’obtenir du futur gouvernement des reculs sur certaines mesures. Parmi les promesses : l’augmentation du smic à 600 euros d’ici 2019, le déblocage des salaires des fonctionnaires, le rétablissement de quatre jours fériés, un moratoire sur les privatisations en cours dans les transports publics et la compagnie aérienne TAP, des baisses de la TVA sur l’électricité, le gaz et la restauration et une augmentation très limitée des retraites, gelées depuis 2009. Des commissions de travail auxquelles participeront des membres du BE, du PCP et des Verts seront aussi mises en place pour discuter de la précarité du travail, des minimas sociaux, de la dette ou de la politique du logement. Voilà au moins des promesses de « dialogue social » !
Ou une caution de la gauche radicale à un gouvernement d’austérité ?
Pourquoi ni le BE ni le PCP ne participent au nouveau gouvernement ? Parce qu’ils ne croient pas eux-mêmes au prétendu changement à gauche pour lequel ils battent tambour ? Ou parce que le Parti socialiste ne les y a pas spécialement invités ? Catarina Martins, leader du BE, affirme que c’est le budget prévu pour 2016 (un budget dit de « stabilité » plutôt que d’austérité, où les éventuelles mesures sociales se feraient en déshabillant Pierre pour habiller Paul) qui les en empêche. Le PCP, qui reste fort d’une petite base ouvrière militante, notamment dans la banlieue industrielle de Lisbonne et dans le sud minier et agricole, s’est montré sceptique en paroles mais le résultat est le même ! Cela n’a empêché ni les uns ni les autres, avec le soutien du plus grand syndicat du pays, la CGTP (qui a organisé un rassemblement devant le palais du Président de la République, jugé trop récalcitrant, pour exiger la constitution du nouveau gouvernement), de se mettre à la remorque des gouvernants socialistes et d’en faire la seule perspective politique pour les travailleurs et la jeunesse. Alors que ceux-ci ont pourtant montré leur combattivité au cours des journées de grève générale et des manifestations de ces dernières années ; qu’ils viennent de réexprimer leur colère en votant pour des partis qui apparaissent comme combattifs... mais semblent à ce jour surtout utiliser la confiance qui leur est faite pour titiller le gouvernement sur sa gauche plutôt que pour en appeler à la poursuite des mobilisations populaires. Comme si tous avaient déjà oublié les leçons toutes fraîches de la Grèce ?
27 novembre 2015, Anne HANSEN
[1] Le Bloco de Esquerda, apparenté au parti grec Syriza, est un parti constitué en 2000 du regroupement de courants de gauche, d’extrême gauche et associatifs.