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Politique syndicale en Autriche : « Baisser les prix » plutôt que « monter les salaires » ?

8 novembre 2022 Article Monde

À cause de la forte hausse des prix, mi-septembre les syndicats autrichiens ont appelé à manifester, pour soutenir les négociations salariales d’automne, où de nouvelles conventions collectives seront négociées dans de nombreux secteurs. Dans la nuit du 3 novembre, sans même une seule grève, un accord catastrophique a été signé par le syndicat de la métallurgie : au lieu des 10,6 % revendiqués, les augmentations de salaire s’élèvent à 5,4 %, auxquels s’ajoute une prime de 75 euros. Et avec ça, la Confédération autrichienne des syndicats annonce fièrement que « les débrayages ont été évités »… comme si un service avait été rendu aux travailleurs !

Quelle stratégie des syndicats ?

Le samedi 18 septembre, la Confédération autrichienne des syndicats (Österreichischer Gewerkschaftsbund, ÖGB) a appelé à manifester dans bon nombre de villes d’Autriche derrière le slogan « Baisse des prix ! » Selon les organisateurs, 32 000 personnes y ont participé, la participation réelle étant nettement inférieure. Même si les fortes hausses de prix sont indubitablement entrées dans le quotidien et la conscience de nombreuses personnes, jusqu’à maintenant ça ne se traduit pas par des protestations ou par une faculté à mobiliser de l’ÖGB.

Sans succès à faire valoir et avec toujours moins d’adhérents, les syndicats perdent toujours plus en importance et influence. Et au lieu de lutter pour des salaires plus élevés, l’ÖGB, majoritairement social-démocrate, copie en grande partie les revendications du parti de gauche autrichien, le SPÖ (Sozialdemokratische Partei Österreichs), qui se limitent à des appels inoffensifs au gouvernement pour que l’État intervienne dans la régulation des prix. Pourquoi se battre soi-même ? Il suffit de devenir membre de l’ÖGB et de voter SPÖ !

Tradition oblige

La faiblesse de l’ÖGB est due, dans une large mesure, à sa cuisine interne. Elle résulte de la politique bureaucratique de sa direction, par laquelle l’appareil prétend résoudre nos problèmes à notre place. La participation active n’est prévue que dans des situations d’urgence absolue, pour relâcher la vapeur accumulée ou quand l’appareil veut quand même un peu énerver gouvernement et capital. Un peu comme lors des dernières grandes manifestations de l’ÖGB en 2003 contre la réforme des retraites et en 2018 contre l’introduction de la journée de travail de douze heures. Là aussi, comme tant de fois, on assurait de façon très combative aux plus de 100 000 participants présents à chaque manifestation, que ce n’était que le début et qu’on allait continuer à se battre ‒ et puis : rideau.

Le très petit nombre de grèves en Autriche est vu par l’ÖGB comme la preuve d’un « partenariat social » opérationnel ‒ à la grande joie des politiciens bourgeois et des entrepreneurs. Eux en tout cas, ce partenariat, ils l’ont déjà rompu, et le rompent encore et encore, mais, pour autant, n’ont à craindre ni grèves, ni protestations. Dans ce jeu, les travailleurs eux-mêmes ne sont rien de plus que des pions qui devraient obéir aux consignes, et attendre les ordres à leur position. Depuis des décennies, la bureaucratie syndicale réduit les travailleurs à la passivité, et maintenant elle geint sur la (supposée) faible disposition à faire grève. Au lieu de pousser à la mobilisation, elle accumule les discours pseudo-radicaux, les menaces vides de sens et les appels adressés aux politiques.

L’assistance publique plutôt que la lutte des classes

Rien d’étonnant donc, à ce qu’aujourd’hui l’ÖGB se concentre clairement sur la revendication « Baisse des prix » ! Ainsi veut-on suspendre pour quelque temps la TVA sur les denrées alimentaires, le carburant et les tickets des transports publics, en plus de plafonner les prix de l’énergie et d’indexer les prestations sociales de l’État sur l’inflation. Et qui devrait payer pour ça ? Hormis un prélèvement sur les « super »-profits de certains groupes énergétiques, l’ÖGB n’a rien à proposer. Des impôts pour les riches ? Des expropriations ? Raté !

Le gouvernement fédéral composé de l’ÖVP (Österreichische Volkspartei, libéral-conservateur) et des Verts a mis bout à bout des mesures contre l’inflation, un patchwork dérisoire et absurde. Et l’ÖGB revendique que ça continue – mais en espérant quand même que ça aille mieux… Ces appels inoffensifs aux gouvernants servent aussi à calmer les attentes concernant les négociations salariales d’automne : au lieu d’obtenir des salaires plus élevés par la grève, l’État aurait d’une certaine façon à compenser les pertes de salaire réel. Il a d’ailleurs fait la démonstration de son absence totale de combativité dans la métallurgie il y a à peine quelques jours.

La métallurgie a donné le ton… de la trahison

Les négociations salariales d’automne sont traditionnellement lancées par les métallurgistes, dont les accords font office de seuil de référence pour les autres branches. Les 10,6 % d’augmentation revendiqués auraient déjà très vite représenté une perte de salaire réel au vu de l’inflation. Mais les employeurs de la branche n’avaient d’abord proposé qu’une augmentation dérisoire de 4 %. Après quelques réunions de négociation infructueuses, la direction du syndicat a menacé d’organiser des débrayages, ce qui paraissait en effet un minimum au vu de l’écart qui séparait les deux camps ! Mais il ne faut jamais sous-estimer l’hypocrisie de la bureaucratie syndicale : sans même en passer par un appel à la grève, le syndicat a signé un accord à 5,4 %, auquel s’ajoute une prime ou « paiement unique » de 75 euros…

Fier de l’accord qu’il a signé, l’ÖGB le vend le plus sérieusement du monde comme une augmentation de salaire « jusqu’à 8,9 % » et comme une « hausse du salaire réel ». En réalité, pour les métallurgistes, ainsi que les travailleurs de bien d’autres secteurs qui prennent modèle sur les accords de cette branche, cet accord signifie une grosse perte en salaire réel pour de longues années à venir.

Les patrons s’en réjouissent, naturellement. L’entrepreneur de la métallurgie Stefan Pierer, devenu l’un des Autrichiens les plus riches ces dernières années et donateur important pour la campagne électorale de l’ex-chancelier ÖVP Sebastian Kurz, est satisfait, ce qui est compréhensible : « C’est un résultat raisonnable. Les partenaires sociaux ont négocié avec un grand pragmatisme. » Les patrons ont raison de ne pas craindre l’ÖGB, puisque le syndicat dit depuis le début qu’il ne veut pas se battre : « Lorsque toutes les tentatives de conciliation et les solutions mises en place ont échoué, les syndicats et l’ÖGB se saisissent du moyen ultime ‒ le conflit social. » Puisque les dirigeants syndicaux n’ont en aucun cas l’intention de se battre, c’est aux travailleurs eux-mêmes de défendre leur niveau de vie et de trouver une issue aux crises du capitalisme.

Johannes Wolf, Vienne

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