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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 131, juillet-août 2020

Éditorial

« Pas de justice, pas de paix » : L’onde de choc qui parcourt le monde

Comme la vague féministe dans la foulée de #MeToo en 2017, les vagues de révolte contre les régimes corrompus et les inégalités sociales de l’automne 2019 ou encore les marches de la jeunesse pour le climat, le vent de colère contre le racisme et les violences policières parti des États-Unis a rapidement pris une dimension internationale.

Il a singulièrement touché la France, où les deux manifestations appelées par le Comité Adama les 2 et 13 juin ont réuni des dizaines de milliers de personnes à Paris, avec des rassemblements très nombreux en régions, y compris dans des petites villes. Si les manifestants en France se sont si rapidement identifiés à ceux des États-Unis, c’est bien qu’ici aussi les violences policières et le racisme institutionnel règnent dans les quartiers populaires, s’ajoutant aux violences sociales subies par l’ensemble du monde du travail qui ont été encore aggravées par la crise sanitaire.

Durant le confinement, le nombre de contrôles et d’arrestations a considérablement augmenté, mais de manière ciblée. Tandis que le bois de Boulogne ou les quais de Seine du centre parisien étaient noirs de monde lors des journées ensoleillées, c’est en Seine-Saint-Denis que la police a le plus verbalisé. En parallèle, le Covid-19 a révélé et creusé les inégalités : les travailleurs dits « essentiels », qui sont aussi les plus pauvres, ont été les plus exposés au virus. Le 93 a payé le plus lourd tribut en nombre de morts. Aujourd’hui, les vagues de licenciements (sous forme de fins de contrats d’intérim, de CDD, d’extra sans parler de tous les travailleurs non déclarés) ont frappé une jeunesse populaire déjà précaire. Le chômage, les gamins mutilés par les flics, la faim, les contrôles au faciès, les jobs de misère, la précarité, les logements insalubres et les meurtres de la police : c’est de ce contexte, très similaire à celui des États-Unis, qu’est issu le mouvement de la jeunesse.

Violences racistes, violences sociales, même combat !

L’ampleur du rassemblement parisien du 2 juin, malgré l’interdiction émise par la préfecture l’après-midi même, a surpris non seulement les pouvoirs publics mais aussi les organisateurs. Le comité Adama, comme d’autres associations de familles de victimes de violences policières, mène un combat de longue haleine pour obtenir « vérité et justice », attaquant frontalement une institution policière qui ne fait pas dans la dentelle. Si ce comité, comme d’autres, a soutenu des luttes comme celle des Gilets jaunes ou des grèves en banlieue parisienne, c’est la première fois qu’il parvient à rassembler autant de monde sur le sujet du racisme et des violences policières.

Impressionnants par le nombre de participants ou leur extension géographique sur tout le territoire, les rassemblements du 2 juin ont été marqués par la présence massive de primo-manifestants, majoritairement très jeunes, très mélangés, avec une nette majorité de femmes et une fraction importante de Noirs et d’Arabes – en somme des défilés pour une fois représentatifs de la jeunesse des quartiers populaires.

Ces manifestations, quelques jours après la marche des solidarités où des milliers de sans-papiers, premiers de corvée parmi les premiers de corvée, exigeaient courageusement leur régularisation malgré l’interdiction préfectorale, ont eu un effet immédiat : celui de lever en fait – et deux semaines plus tard en droit – l’interdiction générale de manifester sous prétexte d’état d’urgence sanitaire. Camouflet pour le gouvernement qui, tout en prétendant soutenir le mouvement Black Lives Matter, s’est rangé de fait dans le camp des réactionnaires à la Trump en tentant d’interdire les protestations en France… et s’est ridiculisé en n’y parvenant pas.

Le 20 juin, des milliers de travailleurs sans papiers d’origines diverses manifestaient à nouveau dans plusieurs villes. Un nouveau succès. Et la volonté de se battre résumait l’atmosphère des cortèges denses et très animés de la très longue manifestation parisienne.

Droite, extrême droite, macronistes : convergences réactionnaires

À l’aube du déconfinement, ces rassemblements massifs de jeunes se superposaient aux premiers débrayages chez Renault face à un plan de suppressions de postes, le premier d’une longue série à venir, et à la colère du monde hospitalier qui prenait forme en préparation de la manifestation du 16 juin. Un déconfinement des colères avec des réactions venues d’en bas (car on ne peut pas dire que les appareils syndicaux aient soufflé sur aucune de ces braises, plus occupés dans un pseudo-dialogue social avec patronat et gouvernement) devenait une vraie possibilité et un cauchemar pour Macron.

D’où un bégaiement gouvernemental dans les jours qui ont suivi : Castaner en mission commandée pour éteindre l’incendie lance de vagues promesses (sanctionner le racisme dans la police) et des demi-mesures (interdiction de la clé d’étranglement). Une manœuvre qui est très loin d’apporter un début de réponse aux aspirations des manifestants mais qui sonne comme un aveu auquel le ministre de l’Intérieur s’était toujours dérobé, une reconnaissance de l’existence du racisme et des violences policières.

Il n’en fallait pas plus pour que l’extrême droite et la droite, avec les syndicats policiers en avant-garde, montent au créneau en défense des flics, ou des « Blancs », accusant le gouvernement de céder aux communautaristes et aux criminels. Suivant la tradition du « un pas en avant, deux pas en arrière », Macron a finalement choisi son camp dans son allocution du 14 juin, au lendemain de nouvelles manifestations aussi nombreuses que les premières : reprenant toute la rhétorique de l’extrême droite identitaire, il assure la police de tout son soutien (les flics auront compris la garantie de l’impunité totale dont ils bénéficient) et traite les manifestants de « séparatistes ». Le ministère de l’Intérieur revient sur l’interdiction de l’étranglement et ajoute le taser à l’arsenal de flics déjà suréquipés.

Amplifier et unifier les luttes

En moins de deux semaines, les manifestations ont polarisé le champ politique. Les deux finalistes de la dernière présidentielle se retrouvent ouvertement sur les mêmes positions, face à une jeunesse dont seuls des menteurs professionnels peuvent affirmer qu’elle serait mue par un réflexe communautariste. La gauche est inexistante, en témoigne le rassemblement raté qu’elle a organisé le 9 juin, en déterrant pour l’occasion la vieille institution « SOS-Racisme ». Embourbée dans la cuisine d’un second tour des municipales qui est pourtant loin à l’arrière-plan, la gauche cherche à la fois à ne pas aggraver la coupure déjà béante avec la jeunesse populaire mais, en même temps, à ne pas égratigner l’institution policière dont elle sollicitera les sales services si jamais elle revient au pouvoir. Malgré sa position de faiblesse, rien ne dit que les partis de cette gauche de gouvernement ou leurs satellites ne parviennent à faire revivre les illusions « républicaines ». Ce sera en tout cas leur politique dans le cours du mouvement s’il venait à se développer.

Du point de vue des révolutionnaires, l’irruption de la jeunesse qui investit en masse ce combat contre le racisme et les violences policières est une excellente nouvelle. Le cri de ralliement des manifestations, « pas de justice, pas de paix », recèle un potentiel politique immense. Oui la bourgeoisie mène une véritable guerre aux classes populaires et, dans cette guerre, l’État qui la défend mobilise la violence de sa police et tous les préjugés, racistes, sexistes ou autres, pour renforcer l’exploitation. Oui il faut que les classes populaires déclarent la guerre à cet État policier, dont la militarisation croissante se déchaîne aujourd’hui à la fois contre la jeunesse des quartiers populaires issue de l’immigration, mais aussi contre les grèves et les manifestations. Des tâches dans lesquelles les flics sont bien aidés par une justice aux ordres qui montre le même mépris de classe pour les ouvriers et chômeurs des petites villes en Gilets jaunes que pour… les ouvriers et chômeurs banlieusards des plus grandes, noirs ou maghrébins. Mais aussi par le patronat qui licencie pour un oui ou pour un non des jeunes rétifs à la discipline ou des militants rétifs à l’exercice pipé du dialogue social.

Oui il faut une mobilisation d’ampleur pour faire taire les racistes et un combat pied à pied contre les discriminations institutionnelles à l’embauche, dans l’accès au logement, les démarches administratives, dans tous les aspects de la vie sociale. Il faut en finir avec la fabrique de sans-papiers, réputés travailleurs sans droits. En finir avec les frontières qui tuent par milliers chaque année en Méditerranée. C’est tout le monde du travail qui sortirait gagnant d’avoir fait reculer ces plaies et ces divisions.

21 juin 2020

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