Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Les articles du site

Palestine-Israël : La pandémie à la lumière de l’apartheid

12 mai 2020 Article Monde

Photo : Majdi Fathi/NurPhoto

À première vue, des chiffres surprenants

Début mai, le Covid-19 avait contaminé 16 492 personnes en Israël et fait 254 victimes, sur une population totale de neuf millions d’habitants. Dans les territoires palestiniens, on dénombrait en tout et pour tout 375 personnes contaminées et 4 morts pour une population de cinq millions d’habitants (trois millions en Cisjordanie, deux millions à Gaza). Pour le dire autrement, le nombre de malades contaminés était, proportionnellement à la population, plus de 45 fois plus petit dans ces territoires qu’en Israël et le nombre de décès 60 fois moindre. Comment expliquer ce qui peut apparaître comme un paradoxe dans la mesure où les infrastructures sanitaires et le nombre de soignants sont infiniment plus nombreux en Israël qu’en Palestine ?

On peut évidemment penser que la situation est imputable, au moins partiellement, à une différence de moyens de contrôle, de tests et de comptabilisation des décès entre Israël et les territoires palestiniens. C’est sans doute vrai. Mais ce défaut statistique côté palestinien ne peut expliquer à lui seul une telle différence. À population égale, on devrait dénombrer plus de 9 000 personnes contaminées et plus de 140 décès, en Cisjordanie et Gaza. Même en multipliant par dix les chiffres communiqués par le ministère palestinien de la Santé, on est encore loin du compte. L’apparent paradoxe s’explique surtout par la politique d’apartheid et de confinement forcé menée par l’État sioniste à l’égard des Palestiniens depuis des décennies. C’est évident pour les Gazaouis qui ne peuvent pratiquement ni entrer ni sortir de leur territoire, un des plus surpeuplés au monde. Quant aux Cisjordaniens, les barrages, les checks-points, voire les routes barrées par les colons juifs rendent tout déplacement aléatoire.

Une politique discriminatoire qui a agi comme un gigantesque geste-barrière pour les Palestiniens

Avant même le confinement officiel décrété par l’Autorité palestinienne, se déplacer en Cisjordanie était difficile. Et, selon le ministère de la Santé palestinien, les premiers cas de Covid-19 ont été détectés chez des ouvriers qui revenaient d’Israël où ils étaient allés travailler. Pas étonnant dans la mesure où plusieurs d’entre eux, malades, avaient été renvoyés purement et simplement vers la Cisjordanie, sans que les autorités sanitaires palestiniennes soient prévenues par l’armée et la police israéliennes, rendant tout suivi beaucoup plus difficile.

Mais cette situation est à double tranchant.

À Gaza, les conditions de vie effroyables, le délabrement du système de santé, le manque d’eau potable et la destruction au cours des années d’un grand nombre d’infrastructures médicales par l’armée israélienne pourraient rendre extrêmement meurtrière la propagation du Covid-19, une fois que le virus aura franchi durablement la barrière du blocus, ce qui arrivera tôt ou tard. En Cisjordanie, où n’existe pas une surpopulation comparable, le risque est évidemment moindre mais, là encore, les structures médicales sont insuffisantes si l’épidémie se développe.

Pendant la pandémie, l’oppression continue

Cela dit, la pandémie n’empêche pas les exactions à l’égard des Palestiniens de se poursuivre. En Cisjordanie, des colons juifs ont profité du confinement pour attaquer les villages palestiniens de Maddama, Burqa et Burin, détruisant au passage des oliviers et du matériel agricole. L’armée israélienne, présente sur les lieux, n’a rien fait pour les en empêcher.

Pire, la même armée a démantelé deux cliniques de campagne érigées sous des tentes dans le village de Khallet-al-Nahleh sous le prétexte qu’elles avaient été construites sans autorisation.

À Silwan, un quartier arabe de Jérusalem-Est, c’est la police israélienne qui est intervenue pour fermer une clinique de dépistage du coronavirus en avançant comme raison que ledit établissement sanitaire travaillait en collaboration… avec l’Autorité palestinienne. Elle a, dans le même temps, arrêté les responsables de la clinique et les a mis en prison.

Quand des journalistes découvrent que les Palestiniens existent

De son côté le journaliste Gidéon Lévy  [1] a publié le 6 mai dernier dans le quotidien de centre-gauche Haaretz (Le Pays) un article [2] où il brocarde ses confrères de la presse de droite, notamment ceux de Yedioth Ahronoth (Les Dernières Nouvelles), qui « découvrent » soudain… que les Palestiniens sont indispensables à la survie du pays. Et ce, suite notamment à la décision du gouvernement israélien d’autoriser exceptionnellement 60 000 travailleurs palestiniens – embauchés principalement dans le bâtiment et dans l’agriculture – à demeurer sur place pendant une période maximale de deux mois alors qu’auparavant ils étaient obligés de retourner chaque soir dans leurs villages de Cisjordanie.

Il écrit : « Tout d’un coup, les gens qui travaillent à bâtir ce pays sont aussi autorisés à dormir ici. C’est arrivé, et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. Mais, bien sûr, vous pouvez toujours compter sur Israël. Lorsque la pandémie sera terminée, les Palestiniens qui construisent ce pays devront probablement à nouveau naviguer entre les check-points au milieu de la nuit. »

Petite précision : les autorités israéliennes ont demandé aux employeurs d’assurer un logement décent, de la nourriture et des conditions sanitaires adéquates à ces travailleurs, mais elles ont laissé le tout à leur bon vouloir. Ainsi des situations déplorables ont été signalées avec des travailleurs dormant sur les sites de chantiers ou dans des serres, souvent sans sanitaires.

Gideon Lévy poursuit : « Durant cette trêve, les médecins, les infirmières, les pharmaciens, les aides-soignants et les autres personnels de santé arabes sont en première ligne de la lutte contre le coronavirus. Les médias de masse, qui ne les ont jamais remarqués, ni eux ni leur peuple, qui ne les ont jamais pris en considération en temps normal, leur accordent soudainement estime et respect. Tout d’un coup ce sont des êtres humains, pour la première fois de leur vie peut-être ! »

C’est un constat identique que partageait Salomé Parent-Rachdi, la correspondante en Israël du quotidien français La Croix. Dans un reportage paru le mois dernier elle expliquait : « Dans mon quartier de Jaffa, au sud de Tel-Aviv, un chantier m’empêche régulièrement de travailler. Dès le matin, les marteaux-piqueurs secouent la torpeur confinée de la rue. Et tous les hommes sur ce chantier sont Palestiniens. Longtemps phare de la Palestine, Jaffa est aujourd’hui encore largement peuplée par des Arabes à la nationalité israélienne, mais pas de doute, à leur accent, ces hommes viennent de Cisjordanie. Ne sont-ils pas eux aussi confinés ? “Rester chez soi sans être payé ou travailler pour survivre, il faut choisir”, m’éclaire un ouvrier. Je m’interroge : Tel-Aviv est peuplée majoritairement de Juifs israéliens et, pourtant, au quotidien, j’interagis principalement avec des arabophones.

C’est un impensé de tous les jours que le coronavirus nous révèle : les Palestiniens, de nationalité israélienne ou vivant en Cisjordanie, sont indispensables à Israël. Des caisses des supérettes aux pompes à essence, quand la start-up nation se met à l’arrêt et que l’élite juive est en télétravail, on ne voit plus qu’eux. »

Et de souligner qu’aujourd’hui en Israël 47 % des pharmaciens, 17 % des médecins et 24 % des infirmiers sont d’origine arabe. Autant dire que lorsqu’une pandémie survient, ils sont indispensables.

Bien sûr il ne faut guère se faire d’illusions. Pas plus en Israël qu’en France les derniers de cordée qui ont fait preuve de courage, d’abnégation, de dévouement et d’une solidarité exemplaires pendant cette crise sanitaire ne doivent s’attendre demain au moindre remerciement de la part de ceux qui gouvernent. Mais peut-être ont-ils réussi à ouvrir les yeux à des millions de personnes qui, jusqu’alors, les ignoraient, voire les méprisaient. Si c’est le cas, cela serait en soi positif.

Jean Liévin


[1Ancien militant du Parti travailliste à la fin des années 1970 et au début 1980, Gideon Lévy fut un temps porte-parole de Shimon Peres (futur Premier ministre et président d’Israël). Il devint par la suite un des journalistes israéliens les plus en vue, dénonçant sans relâche l’oppression et la répression à l’égard des Palestiniens.

[2Cet article de Gideon Lévy a été traduit et publié en français par le site Alencontre/La Brèche (alencontre.org), avant d’être repris par celui de l’Union juive française pour la paix (www.ujfp.org).

Mots-clés : |

Imprimer Imprimer cet article