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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 114, septembre-octobre 2017

Saint-Martin

Ouragan imprévisible, mais injustices permanentes

Mis en ligne le 5 octobre 2017 Convergences Monde

Les destructions sont considérables après l’ouragan qui a frappé dans la nuit du 6 septembre dernier les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélémy. Les habitants, choqués par la violence de ce qu’ils ont vécu, restent à l’heure actuelle dans une situation critique, tout particulièrement à Saint-Martin. La force des éléments naturels n’est pas seule en cause. Car Irma a mis sur le devant de la scène les profondes inégalités qui règnent dans ces territoires français, paradis fiscaux pour les plus riches et ghettos pour les autres.

Surnommée « l’île des milliardaires », Saint-Barthélémy a connu bien moins de bâtiments soufflés par l’ouragan, l’électricité y a été rapidement rétablie. Peuplée de moins de 10 000 habitants, la majorité d’entre eux sont de riches résidents étrangers non imposables sur le revenu, tels que le couple Hallyday, DiCaprio, le milliardaire russe Abramovitch...

Il en va tout autrement de Saint-Martin. Divisée en deux parties, française et néerlandaise, l’île est bien plus peuplée, avec 75 000 habitants dont 35 000 côté français. Les inégalités sociales y sont criantes, entre les riches qui ont été attirés par les mêmes avantages fiscaux qu’à Saint-Barthélémy, et une majorité de pauvres, bien souvent immigrés, venus travailler dans la construction et les hôtels de luxe. À la faveur de lois de défiscalisation, le tourisme a explosé dans les années 1980, devenant l’activité essentielle de Saint-Martin, avant de se ralentir et de condamner au chômage nombre de ceux qui étaient venus y travailler. C’est dans les quartiers populaires où ils habitent que les destructions causées par Irma ont été les plus importantes.

Pour cette population, le sentiment d’abandon après le passage du cyclone s’est ajouté au traumatisme de ce qu’ils ont vécu des heures durant, voyant les toits s’envoler, les murs s’effondrer et ne sachant plus où se réfugier. Les médias nous parlaient ici de distribution de vivres et de bouteilles d’eau, mais eux, sur place, sont restés des jours durant sans rien, sans eau courante ni électricité, sans voir personne les secourir et sans informations. Il y a eu des distributions, mais au compte-gouttes. Et il fallait savoir où aller, alors que la majorité de la population ne disposait plus d’aucun moyen de communication.

Difficile de se rendre à l’aéroport, alors que les routes étaient coupées, les voitures hors d’usage, et même pour ceux qui y sont parvenus, il fallait alors affronter une véritable loi de la jungle, où celui qui avait une chance de monter à bord d’un bateau ou d’un avion était le plus souvent touriste, métropolitain, et donc … blanc. Nombre de rescapés du cyclone ont témoigné de ces évacuations sélectives. Sur la chaîne Guadeloupe 1re, on pouvait voir un reportage sur un bateau qui venait d’accoster de nuit en toute discrétion à Saint-François en Guadeloupe, avec à son bord presque uniquement des touristes américains, et une femme guadeloupéenne en larmes, témoignant qu’elle avait eu la chance de pouvoir monter sur le bateau mais qu’on avait refusé d’embarquer d’autres Antillais, alors qu’il restait de la place. Les témoignages en ce sens sont nombreux et créent un profond malaise, dans ces îles où le passé colonial se traduit dans la structure actuelle de la société : les riches sont blancs, et les pauvres en grande majorité noirs.

La venue de Macron à Saint-Martin n’a pas donné le change : à part faire la promesse d’une rapide reconstruction, il a surtout insisté sur la mobilisation de 2 000 à 3 000 gendarmes, policiers, membres du GIGN, pour « assurer la sécurité », en référence aux prétendus « pillages » dont les médias ici n’ont cessé de se faire l’écho. Avant d’être pris à partie par un père de famille, lui assénant qu’« on nous parle de pillage, mais moi je suis allé dans un magasin récupérer de quoi manger pour ma petite fille ».

À l’heure où nous écrivons, les plus démunis manquent encore de tout, d’eau potable, de vivres de première nécessité, de médicaments, alors que ceux qui en ont les moyens profitent de la réouverture de certains supermarchés, sous haute surveillance policière, pour remplir leur caddy comme si rien ne s’était passé.

21 septembre 2017, Lydie GRIMAL


Chambre avec vue sur marina

De Saint-Martin, les reportages télévisés nous ont surtout montré le désarroi de patrons (blancs) d’hôtels, des témoignages d’habitants venus de métropole, les difficultés de rapatriement de touristes... Il arrive que certains salariés d’ici doivent y passer pour leur travail. Ils y logent dans des hôtels, mais ils n’y voient pas toujours la même chose que les touristes. N’y ont-ils pas les mêmes fenêtres ? Ou pas la même vue ?

Témoignage d’une salariée en déplacement, en temps ordinaire

« Cela remonte à plus d’un an, bien avant l’ouragan. J’étais allée faire une formation en épidémiologie dans le seul laboratoire qui existe sur l’île. Ce que j’ai vu, c’est autour de l’hôtel où je restais près de la marina : il n’y avait que des bidonvilles faits de bric et de broc, des jeunes à même les trottoirs, défoncés par toutes sortes de stupéfiants (le crack se vend à un euro la dose du côté néerlandais), des égouts à ciel ouvert : les moustiques vecteurs du chikungunya ne peuvent que proliférer et permettre ainsi la propagation de la maladie. Le biologiste m’expliquait que la période qu’il redoutait le plus était le carnaval à cause de l’explosion des primo infections de sida chez les jeunes souvent en marge de la société et qui de par ce fait auront du mal à suivre leur traitement. »

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Numéro 114, septembre-octobre 2017