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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 146, juillet-août 2022 > Droit à l’IVG

Droit à l’IVG

Nouvelle vague féministe en Amérique latine : la lutte pour le droit à l’avortement et contre les violences patriarcales

Mis en ligne le 11 juillet 2022 Convergences

Ci-dessous l’article paru dans la revue imprimée Convergences révolutionnaires no 146. Une version plus complète peut être consultée sur notre site en cliquant ici

L’Amérique latine a vu fleurir ces dernières années des mouvements féministes massifs qui ont débouché sur des assouplissements des restrictions concernant l’avortement, voire sa légalisation, comme cela a récemment été le cas en Argentine. Mais ces mouvements, à l’œuvre dans plusieurs pays (Chili, Uruguay, Pérou, Colombie, Argentine, Mexique), sont loin de se limiter à des manifestations en faveur de l’IVG. Ils s’étendent à l’ensemble des violences patriarcales, elles-mêmes liées aux politiques menées par les États qui accompagnent des dynamiques économiques alimentant un climat d’extrême violence.

Les progrès obtenus sur le droit à l’avortement en Amérique latine

Permettre en 2020 aux femmes de disposer de leur corps en imposant la légalisation de l’IVG, c’est l’aboutissement d’une lutte de quarante ans des femmes argentines, lutte démarrée dans les années 1980 et qui s’est accélérée avec la création en 2005 de la Campagne nationale pour le droit à l’avortement. Ce mouvement a été marqué par la participation, dans de très nombreuses villes, de jeunes femmes, « las pibas », portant à partir de 2018 un foulard vert, opposé aux foulards bleus de l’Église catholique, très puissante dans le pays, qui n’a pas hésité à appeler elle aussi à des manifestations massives. Par leur combat de longue haleine, les Argentines ont forcé la main du président Alberto Fernandez dont une des promesses de campagne était le droit à l’avortement mais qui n’aurait jamais pu résister à la pression de l’Église catholique – et aussi, de plus en plus, à celle des Églises évangéliques – sans la mobilisation de centaines de milliers de femmes. Après un échec de justesse de la légalisation en 2018, l’Argentine est ainsi devenue le troisième pays, après l’Uruguay et Cuba, à légaliser l’avortement sans condition. Avant la légalisation de l’IVG en 2020, selon les ONG, 500 000 femmes avaient recours en Argentine aux avortements clandestins.

Mais la guerre à mener au système patriarcal qui alimente la violence et les oppressions est encore longue. La loi imposée par les « Foulards verts » est limitée, comme en France et dans d’autres pays, par la clause de conscience. Celle-ci permet à un membre du corps médical de ne pas accomplir l’acte qui lui est demandé au nom de raisons personnelles ou morales pouvant relever de croyances religieuses. C’est bien le reflet du pouvoir de l’Église catholique et de ses idées obscurantistes, dans un pays où elle est encore financée par l’État. Les catholiques comme les évangéliques sont par ailleurs profondément déterminés à revenir sur ces avancées substantielles.

Le refus de l’accès à l’avortement légal, qui entraîne des préjudices associés à une maternité forcée et à un avortement clandestin dangereux, n’est qu’une forme répandue de violence contre les femmes pratiquée par le personnel médical. Une étude de 2017 portant sur 1 528 femmes dans des hôpitaux péruviens a révélé qu’environ 97 % d’entre elles avaient rencontré au moins une forme de manque de respect et d’abus lors de leur accouchement, les soins attentant à leur dignité et non consentis étant les plus courants. Plus encore qu’ailleurs, les violences sociales qui touchent l’ensemble des masses pauvres d’Amérique latine sont aggravées par l’appartenance à une catégorie ethnique marginalisée de la population.

Un mouvement qui s’étend à la question des violences de genre et des féminicides

Mais la flambée de mobilisations de femmes dans les pays d’Amérique du Sud dépasse de loin le problème du contrôle des corps lié aux violences gynécologiques et obstétricales. Ces femmes, majoritairement issues des classes populaires, sont nombreuses à dénoncer un système politique, social et économique qui permet de laisser prospérer les rapports patriarcaux et les violences contre elles.

Les politiques de restriction budgétaire liées aux secousses de l’économie des pays d’Amérique latine dans la dernière décennie – avec l’aggravation du taux de chômage et le niveau des salaires qui ne permet pas de joindre les deux bouts – ont aggravé la situation des femmes dans les immenses quartiers populaires des villes d’Amérique latine. Ces derniers sont gangrenés par le trafic illégal, le développement de la pègre et sont touchés par un regain de violences. Les femmes en sont les premières victimes, dans la rue et dans leurs relations conjugales. Cette nouvelle vague féministe, en dénonçant la crise économique, donne à ce mouvement une dimension massive et politique qui vise directement des gouvernements démissionnaires par rapport aux problèmes sociaux. Les femmes pauvres participent donc actuellement aux luttes des travailleurs pour leur émancipation dans la mesure où elles incluent leurs revendications dans des perspectives qui concernent l’ensemble des classes populaires, y compris les millions de chômeurs que comptent les sociétés d’Amérique latine.

Mais la question des féminicides a une acuité particulière dans ces pays où c’est par dizaines de milliers que se comptent les meurtres ou les tentatives d’assassinats de femmes. Né en 2015 en Argentine, « Ni una menos » (« Pas une de moins ») est un mouvement qui a été capable de rassembler des centaines de milliers de personnes autour de cette question, et il s’est étendu aux pays voisins. Les femmes sont désormais deux fois plus nombreuses à porter plainte pour violences qu’avant ce mouvement.

Les modes d’action de ces militantes en guerre contre le patriarcat incluent les manifestations de masse qui mobilisent toute une partie de la population et des pétitions, mais beaucoup d’entre elles ne se contentent pas de faire irruption dans la rue. Elles ressentent le besoin de s’organiser d’une manière plus radicale dans ces sociétés où les féminicides ont lieu à une très large échelle. Au Mexique, 4 000 femmes sont assassinées chaque année, mais 90 % de ces crimes restent impunis. Dans ce contexte où la justice ferme les yeux, la lutte contre la violence domestique devient par la force des choses quelque chose de très militant, directement pris en charge par les femmes livrées à elles-mêmes, qui se défendent en créant des centres d’accueil autogérés pour celles qui ont fui leur foyer, et des cadres clandestins d’autodéfense. Ce sont les femmes qui s’organisent, qui agissent là où l’État s’efface. À titre d’exemple, l’Argentine compte aujourd’hui 89 foyers pour femmes, ce qui est disproportionné par rapport aux dizaines de milliers de plaintes (140 000 en 2019).

Toutes ces mobilisations récentes, qui ont souvent placé les femmes à l’avant-garde des contestations politiques en Amérique latine, montrent qu’elles ne sont pas des victimes mais des combattantes et qu’elles arrachent des victoires. Les manifestations de masse pour faire pression sur les parlements et les gouvernements ont porté certains fruits et se sont étendues à d’autres combats qui leur sont profondément liés comme le chômage de masse et le travail informel. Mais de nombreuses militantes ne se contentent pas de rester dans les limites de la lutte institutionnelle et cherchent à s’organiser pour s’attaquer au problème des violences sociales qui gangrènent la société et qui les concernent directement. Cette diversité dans les modalités d’intervention témoigne de débats entre les militantes sur la manière de lutter pour se débarrasser définitivement des violences sexistes.

28 juin 2022 - Martin Eraud


Sur la question de l’avortement et du combat des femmes du monde entier pour leur émancipation, quelques ressources :

  • Olivia Benhamou, Avorter aujourd’hui, trente ans après la loi Veil, Paris, Mille et une nuits, 2004, 218 p.
  • Carolina Olmedo et Luis Thiellemann, « Chili. Un féminisme venant du Sud », Contretemps, 27 juin 2018.
  • Mukhtar Mai, Déshonorée, Paris, XO Éditions, 2006, 208 p.

Deux reportages d’Arte : « Argentine : la révolte des femmes », 2019 et « Mexique : Bloque Negro : La révolution féministe », 2021.

Sur le site de Convergences révolutionnaires, celles et ceux qui voudraient s’informer davantage pourront lire une version plus complète de certains articles de ce dossier, ou d’autres articles qui n’ont pas pu trouver leur place ici.

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Numéro 146, juillet-août 2022