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Macron sauveur des plus démunis ?

16 novembre 2021 Article Économie

Il a suffi qu’une première estimation publiée par l’Insee le 3 novembre dise que les inégalités et le taux de pauvreté seraient restés stables en 2020, pour que Bruno Le Maire se gargarise : « il y a quand même lieu de se dire qu’on a fait le boulot nécessaire pour protéger les plus fragiles. » Dans son allocution télévisée, Macron en a rajouté sur sa gestion « exemplaire » de la crise sanitaire, déroulant la liste des mesures qui auraient permis d’« éviter à près d’un demi-million de nos compatriotes de basculer dans la pauvreté ». Il ajoute même que « le pouvoir d’achat a continué à progresser, en moyenne ».

Où sont donc passées les files d’attente devant les lieux de distribution alimentaire observées tout au long de l’année ? Et les 700 000 emplois supprimés lors du premier confinement ? Et les primes supprimées au nom de la baisse d’activité ? Et les APC, APLD et autres plans patronaux pour réduire les salaires en temps de crise… et qui se poursuivent malgré la reprise, comme à Bergams ?

Une mesure de la pauvreté… qui écarte les plus pauvres

En réalité, l’Insee lui-même est beaucoup plus prudent que le gouvernement. Au point que son directeur général, Jean-Luc Tavernier, s’est fendu d’un article de blog pour expliquer qu’il fallait prendre cette « première estimation » de la pauvreté avec des pincettes [1].

Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une mesure de la pauvreté, mais d’une estimation à l’aide d’une simulation. L’exercice est pratiqué chaque année avec d’assez bons résultats, mais il s’avère particulièrement périlleux pour 2020, en raison, justement, des grosses incertitudes sur l’évolution des revenus, nécessitant des hypothèses parfois arbitraires.

Mais surtout, la pauvreté mesurée par l’Insee présente bien des angles morts. Ainsi, les sans-abris, les habitants des squats, des habitations mobiles ou des bidonvilles, ou encore les résidents, pourtant légaux, des résidences étudiantes, maisons de retraite, casernes, prisons et foyers de toutes sortes ne sont pas pris en compte dans le calcul de la pauvreté. Comme il serait trop coûteux d’obtenir une bonne représentativité de ces populations, elles sont presque toujours écartées des enquêtes statistiques, qui se limitent aux ménages dits « ordinaires », c’est-à-dire habitant dans des logements individuels.

Ensuite, l’Insee n’a rien sur les revenus perçus au noir, qui sont particulièrement fréquents dans les emplois les plus touchés par la crise sanitaire (restauration, services à la personne et petits boulots divers). Une partie des pertes de revenus passe donc inaperçue.

Enfin, les étudiants sont eux aussi écartés des statistiques, car l’Insee peine à connaître leur niveau de vie réel : ils vivent de petits boulots, mais aussi de transferts en espèces ou en nature de leurs parents, compliqués à mesurer.

Ces exclusions de fait d’une partie des pauvres du champ des statistiques changent sérieusement la donne : pour 2018, l’Insee a ainsi estimé après coup que 630 000 pauvres avaient été écartés des statistiques pour des raisons « techniques » (460 000 en ménages « non ordinaires » et 170 000 étudiants en ménage ordinaire) [2], portant cette année-là le taux de pauvreté à 15,2 % au lieu des 14,8 % officiels.

Or, ce sont ces « oubliés » qui ont pu subir le plus violemment les effets de la crise sanitaire, avec la disparition des petits boulots et l’absence de chômage partiel pour ces emplois. Le DG de l’Insee (pourtant pas marqué à gauche [3]) le reconnaît lui-même : « la perte de revenus non déclarés, l’arrêt de “petits boulots” ont pu être brutaux à l’occasion du premier confinement, pour des ménages en dehors du champ, comme pour une partie des ménages “ordinaires”. La fermeture prolongée des restaurants a pu réduire les revenus des étudiants, tout comme le développement du télétravail a pu réduire le recours à des services à domicile pas toujours déclarés. Si on savait tenir compte des revenus non déclarés et de la totalité des ménages, il est probable que l’évolution globale des revenus de 2020 serait révisée à la baisse, et qu’elle le serait davantage en bas de la distribution des revenus. »

Un « seuil de pauvreté » qui s’appauvrit lui-même

Enfin, si, en fonction de l’état actuel de ses statistiques, l’Insee affirme que le taux de pauvreté n’a pas augmenté, il précise qu’il y a pu y avoir une aggravation des situations de pauvreté, c’est-à-dire que les pauvres sont encore plus pauvres, à défaut d’être plus nombreux. Qui plus est, la définition de la pauvreté est relative : sont considérés comme « pauvres » ceux dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian. Une baisse générale des revenus entraîne une baisse de ce qui est considéré comme le « seuil de pauvreté », et peut donc « en même temps » réduire le « taux de pauvreté »… puisqu’il est plus facile de dépasser ce seuil ! Or, l’Insee n’indique pas encore comment ce « seuil de pauvreté » a évolué en 2020.

Le pouvoir d’achat n’a pas augmenté… surtout pour les pauvres

La multiplication des mesures de soutien, de l’indemnisation du chômage partiel aux aumônes de 100 à 150 euros distribuées ici ou là aux bénéficiaires du RSA, des allocations logement ou en complément de l’allocation de rentrée scolaire, ont limité un peu les dégâts. Mais les salaires nets ont bel et bien chuté de 4,3 % sur l’ensemble de l’année 2020, et même de 4,9 % compte tenu de l’inflation, tandis que les revenus des travailleurs indépendants ont perdu 8,0 %. La forte hausse des prestations sociales (+ 9,5 %), due en grande partie aux indemnités de chômage partiel, et le fonds de solidarité pour les indépendants ont tout juste permis de combler les pertes. Ainsi, le revenu disponible brut des ménages par unité de consommation a augmenté, après inflation, de… 0,0 % ! Loin de l’augmentation dont Macron se félicite. Et il s’agit là d’une moyenne, qui peut cacher bien des inégalités. Début 2021, 22 % des ménages constataient une baisse de leurs revenus [4].

Les statistiques ont leur lenteur et la distribution des revenus ne sera connue précisément que dans un an. Dans l’immédiat en tout cas, les associations d’aide alimentaire ont déjà fait état d’une augmentation de 11 % des volumes d’aide alimentaire et de 7 % des inscriptions en 2020. Certaines d’entre elles ont vu apparaître de nouvelles catégories de bénéficiaires, par exemple parmi les travailleurs indépendants. Et le nombre de foyers bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) a augmenté de 7,4 % entre fin décembre 2019 et fin décembre 2020.

Certes, sans les aides exceptionnelles (qui ont aussi permis aux patrons de pratiquer le chômage partiel à haute dose sans qu’il leur en coûte un sou), il y aurait eu une explosion du chômage et des faillites, avec des pertes de revenus nettement supérieures. Le gouvernement a donc acheté provisoirement un peu de paix sociale en ouvrant son porte-monnaie, un peu aux plus pauvres… et beaucoup au patronat [5]. Mais il a bien l’intention de le faire payer par la suite aux travailleurs, à commencer par ceux privés d’emploi qui ont déjà vu l’allocation chômage fortement amputée au 1er octobre. Or, loin du mythe du chômeur gagnant mieux sa vie qu’en travaillant, 39 % des chômeurs étaient pauvres en 2019 : une proportion qui risque de s’aggraver.

Contre la pauvreté : imposer l’augmentation des salaires

Au-delà des fluctuations annuelles, qui peuvent être en partie le fait des aléas de sondage, la tendance est à la hausse du taux de pauvreté avec la série de crises du XXIe siècle, passé de 12,7 % en 2004 à 14,9 % en 2019, et on ne sait pas encore vraiment pour 2020. Et le quinquennat de Macron, qui se prétend le président du « pouvoir d’achat », y est pour beaucoup, puisque ce taux a grimpé de 0,8 point en tout juste deux ans (14,1 % en 2017 pour 14,9 % en 2019). Cette pauvreté touche y compris bon nombre de salariés : 6,8 % des personnes en emploi sont pauvres. Et ce même avec les aides au logement, prime d’activité et allocations familiales. Pour beaucoup de travailleurs, le salaire ne permet plus de vivre dignement.

Pour que la pauvreté cesse d’être un fléau, l’urgence n’est donc pas aux chèques inflation, chèques énergie ou autres aumônes, mais bien à des embauches et à de véritables augmentations de salaire. Car quand ce ne sont pas les patrons qui payent, ce sont les travailleurs, que ce soit en hausses des taxes, en pertes de retraite ou autres allocations, ou bien en dégradation des services publics.

Maurice Spirz


[2Michaël Sicsic, « Inégalités de niveau de vie et pauvreté entre 2008 et 2018 », in Revenus et patrimoine des ménages, coll. « Insee Références », édition 2021.

[3Jean-Luc Tavernier a participé au programme de Sarkozy en 2007, avant de devenir directeur de cabinet d’Éric Woerth (ce qui lui a par ailleurs valu d’être mouillé dans l’affaire de l’avantage fiscal accordé à Tapie).

[4Marie Clerc, Stéphane Legleye, Amandine Nougaret, « Au premier trimestre 2021, 22 % des ménages déclarent une baisse de revenus par rapport à mars 2020 », Insee Focus no 238, mai 2021.

[5Selon le rapport final du Comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l’épidémie de Covid-19, entre mars 2020 et mai 2021, 35 milliards d’euros ont été versés pour l’activité partielle et 31 milliards pour le fonds de soutien à destination principalement des travailleurs indépendants. Les aides « aux plus démunis » ont été nettement plus réduites : 2,2 milliards d’aides exceptionnelles selon l’Insee. De leur côté, les entreprises ont reçu 140 milliards d’euros de prêts garantis, 8,2 milliards d’exonérations de cotisations sociales patronales, elles ont évité de payer les salaires avec le chômage partiel et pourront profiter des 100 milliards d’aides et subventions du plan de relance 2020-2022 (dont 10 milliards annuels de baisse d’impôts sur la production) et des 34 milliards du plan France 2030.

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