MEDEF, gouvernement et syndicats vont-ils « refonder le social » ?
Mis en ligne le 1er avril 2000 Convergences Politique
Le 18 janvier, le MEDEF, après plusieurs semaines de battage médiatique, a annoncé son départ des organismes sociaux paritaires (Sécurité sociale, régimes complémentaires et assurance-chômage) d’ici la fin de l’année, s’il n’y pas accord sur de nouvelles bases avec les syndicats. Ce qu’il appelle « refondation sociale ».
En clair, le patronat français veut pousser l’avantage. Il sait que le gouvernement a dans ses cartons plusieurs projets de réforme de la protection sociale et des retraites, de systèmes d’épargne salariale qui vont dans son sens. Mais ils n’avancent pas au rythme souhaité et le patronat n’est pas en tant que tel associé à leur élaboration. Le mouvement syndical français n’offrant que peu de résistance face aux projets du gouvernement, le MEDEF a décidé de prendre l’initiative, d’agiter l’épouvantail du départ des organismes de gestion des Caisses pour amener tout le monde sur son terrain.
Un plan global de remises en cause...
Ses objectifs sont à plusieurs niveaux.
- Obtenir une avancée rapide sur les régimes de protection sociale. Comme le dit, le n° 2 du MEDEF, Denis Kessler, par ailleurs président de la Fédération française des sociétés d’assurances, « Place aux nouveaux entrepreneurs sociaux ! ». Les thèmes de leur nouvelle constitution sociale sont développés à satiété : limiter au minimum la couverture du risque maladie et les pensions de retraite par les régimes obligatoires pour développer les réseaux de santé privés (Kessler est bien placé pour en parler puisque le groupe Axa-UAP a déjà préparé en détail ce projet) et les fonds de pension. « Les marchés apparaissent aujourd’hui plus sûrs que certains dispositifs collectifs » explique pédagogiquement Kessler (voir les dossiers des n° 3 et 6 de Convergences Révolutionnaires sur les retraites et sur la Santé).
- Revoir à la baisse la couverture du chômage en favorisant le développement de la précarité par des allocations complémentaires, mais en bloquant au maximum l’indemnisation du chômage « à temps plein », pour favoriser justement le développement des emplois précaires, et parallèlement alléger les charges de gestion en divisant par deux le nombre d’ASSEDIC (de 52 à 26)
- Remettre à plat le régime des conventions collectives et des contrats de travail. L’idée là encore est connue : favoriser au détriment du Code du Travail la prééminence des accords de branche, des accords locaux ou même du contrat individuel, ceux-ci pouvant être moins favorables pour les salariés. En un mot essayer de faire sauter au maximum les garanties collectives, la jurisprudence, la loi pour pouvoir négocier directement dans l’entreprise, voire avec le salarié. Le patronat s’appuie pour cela sur les recommandations du protocole social de Maastricht qui donne la priorité aux négociations entre partenaires sociaux plutôt qu’à la loi. La loi des 35 heures en donne un avant-goût, puisque les accords peuvent en toute légalité être dérogatoires vis à vis de la loi.
... qui doit être validé par les directions syndicales...
Le MEDEF compte bien s’appuyer sur les organisations syndicales. Lors des premiers accords 35 heures, le patronat se contentait de la signature de petits syndicats minoritaires. Aujourd’hui, sa tactique change légèrement. Le Baron Seillière menace d’une main, et flatte de l’autre. La gestion des organismes sociaux est une manne financière pour les syndicats que le départ du patronat des Caisses risque de remettre en cause, en cas de passage à une gestion étatique. Par contre, les bureaucraties syndicales pourraient trouver à gagner une reconnaissance par le patronat comme interlocuteurs privilégiés pour des accords pluriannuels couvrant l’ensemble de la politique sociale dans l’entreprise, associés à la gestion de fonds d’épargne salariaux. « Avec 5% de syndiqués dans le privé, les syndicats sont morts s’ils ne font rien » dit-on dans les milieux patronaux. Si le patronat veut pousser aux négociations décentralisées, il n’écarte pas du tout la négociation d’accords nationaux espérant bien obtenir le soutien de la CFDT, et même un glissement progressif de la CGT pour les faire ensuite avaliser par la loi et le gouvernement. Car c’est avec ces deux organisations que le patronat a l’objectif d’arriver à trouver un terrain d’entente. Comme le dit Seillière lui-même : « Nous souhaitons une force syndicale puissante. C’est nécessaire dans le fonctionnement de la démocratie sociale à laquelle nous aspirons ».
Hypocritement, le gouvernement feint aujourd’hui d’être exaspéré par l’arrogance du MEDEF. Mais dès l’annonce du processus proposé par le patronat, le ministère de Martine Aubry a déclaré que la décision du MEDEF était « raisonnable ». Fondamentalement, les projets du MEDEF et ceux du gouvernement vont dans le même sens. Et finalement, à la veille d’élections municipales, législatives et présidentielles, le gouvernement aurait tout à gagner à se défausser de la gestion des dossiers sociaux au profit d’accords patronat-syndicats qu’il se limiterait à entériner. Moins dangereux que de monter en première ligne.
Les syndicats auraient pu tout simplement refuser le chantage du MEDEF, en rappelant que le paritarisme n’a été introduit dans la gestion des Caisses de Sécu que par les ordonnances de 1967. Ce n’est en rien un « acquis » ouvrier, mais un moyen de contrôle du patronat. A l’origine, les cotisations sociales étaient considérées comme partie prenante du salaire et gérées par les syndicats, comme une mutuelle. Mais aujourd’hui, les bureaucraties syndicales sont complices et prisonnières d’un système dans lequel les administrateurs échappent à tout contrôle des salariés, et sur lequel l’Etat et le patronat ont mis le leur... tout en laissant de larges prébendes aux syndicats.
..qui s’y précipitent
Les syndicats ont donc fait des effets de matamore. Loin de refuser le diktat et la convocation du MEDEF, ils ont en fait tous entériné la méthode patronale. Ils ont même élargi les thèmes de négociations. Le patronat avait prévu de traiter l’assurance-chômage, l’assurance-maladie, les retraites, les allocations familiales, les accidents de travail. Ils ont ajouté, « courageusement », la lutte contre la précarité et le chômage, le statut de l’encadrement, l’égalité professionnelle, le droit syndical et le développement de la représentativité collective.
Patrons et syndicats sont arrivés à un calendrier commun dans lequel seront traités d’ici le 15 mars les questions des négociations collectives, de l’assurance-chômage, des « nouveaux contrats de travail à côté des CDD et des CDI », de la « Santé au travail » et des régimes de retraites complémentaires.
La CFDT est clairement le meilleur point d’appui pour le MEDEF. Elle aussi est en faveur « d’une nouvelle architecture de relations sociales ». Nicole Notat pense que « le patronat est prêt à reconstruire sur des bases solides l’avenir des relations sociales ». C’est la CFDT qui a elle-même fourni clef en mains au MEDEF, la « nouvelle constitution sociale » avec son projet de pacte social.
La CGT, malgré certaines déclarations vives de Thibault, ne se dissocie en rien concrètement de la méthode du MEDEF. Elle ne la refuse pas ni ne propose aux salariés de se mobiliser. Elle craint d’être tenue à l’écart et de laisser à la CFDT les rênes de la négociation. FO, voyant lui échapper le rôle traditionnel de partenaire du patronat craint elle aussi la marginalisation. Enfin la CFTC et la CGC craignent surtout que de nouvelles règles de représentativité ne les réduisent à peu de choses dans le champ syndical.
Ainsi, à leur manière, toutes les directions syndicales suivent la petite flûte de la CFDT qui les conduit à la négociation avec le MEDEF, sous l’oeil bienveillant du gouvernement. Seules des luttes sociales importantes et l’intervention directe des travailleurs pourront empêcher tout ce beau monde de brader autour du tapis vert l’avenir du système de protection sociale.
Le 9 mars, Laurent CARASSO