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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 77, septembre-octobre 2011

Libye : l’impérialisme crie victoire, mais le peuple n’a pas dit son dernier mot

Mis en ligne le 25 septembre 2011 Convergences Monde

Dimanche 21 août, le régime de Kadhafi est tombé à son tour. Chute suivie d’explosions de joies dans les rues de Tripoli et de Benghazi, bien sûr, mais sans commune mesure avec celles qui avaient suivi en Tunisie et en Égypte les chutes de Ben Ali et de Moubarak.

Car six mois de guerre se sont déroulés depuis le « jour de la colère » du 17 février qui avait fait écho en Libye à ces deux révolutions. Six mois où la révolte a été polarisée en un conflit régional bien plus que social, par ceux qui, à Benghazi, se sont autoproclamés chefs de la rébellion, le Conseil National de Transition (CNT). Six mois où les puissances impérialistes ont pris la direction des opérations, donnant à la victoire d’aujourd’hui sur le dictateur Kadhafi un goût amer : celui d’une sorte de retour au vieil ordre, Kadhafi mis à part, et d’une reprise des marchés pétroliers, dont le CNT a déjà promis de nouvelles concessions que Sarkozy et Cameron sont allés fêter à Tripoli le jeudi 15 septembre.

Une intervention militaire destinée à étouffer la révolte

Car ce n’est pas au secours du peuple libyen qu’ont volé les Mirage français, Eurofighter britanniques, F16 ou drones américains. Dès l’explosion des révoltes dans les pays arabes, les États-Unis se sont précipités pour tenter d’étouffer l’incendie, épaulés en Libye par la France, l’Angleterre et quelques autres. Avant même le début de l’intervention militaire conjointe, les USA avaient dépêché quelques navires de guerre en Méditerranée, au large des côtes libyennes. Pour menacer la Libye, mais aussi ses voisins en cas de dérapage des révolutions égyptienne et tunisienne, et montrer leurs muscles vis-à-vis de tous les peuples arabes en révolte.

En Tunisie et en Égypte les USA se sont appuyés, pour s’efforcer de faire rentrer les choses dans l’ordre alors qu’ils lâchaient les dictateurs à bout de souffle, sur les armées des deux pays, avec lesquelles ils avaient, de longue date, des liens étroits. Au Barhein c’est le grand voisin saoudien qui s’est directement chargé de la répression dans l’île.

La Libye était pour les USA et ses alliés un autre casse-tête : n’ayant aucune carte de rechange à Kadhafi, comment mettre en place un pouvoir docile à leur égard et capable de contrôler un pays qui venait à peine de se révolter ?

Comment écarter le peuple libyen de sa victoire

Les évènements des dernières semaines et le déroulement même des opérations qui ont abouti à la prise de Tripoli par les « rebelles » (il faudra désormais dire le nouveau « pouvoir légitime » puisque le CNT vient de se voir remettre le siège de la Libye à l’ONU) montrent à quel point tout y a été préparé pour que, si possible, le peuple libyen n’ait pas son mot à dire.

Reconnu aujourd’hui comme gouvernement provisoire, le CNT n’a déjà pas grand chose à voir avec les révoltés du 17 février : un ancien ministre de la justice de Kadhafi à sa tête, un ingénieur rentré des USA pour ministre de l’économie, etc. Ses membres n’ont, aux yeux des grandes puissances, qu’un défaut pour l’instant : être tous issus de la même région, voire du même clan. Plus ou moins, car l’assassinat du chef militaire du CNT, le général Younes, ex-ministre de l’Intérieur de Kadhafi, fleure le règlement de compte. Son remplaçant est de la même eau : général et également ex-notable du régime Kadhafi. Il est épaulé, ou concurrencé, par un colonel, Khalifa Hifter, qui avait lâché Kadhafi plus tôt, puis guerroyé au Tchad et servi d’agent de la CIA. Un nouvel homme fort du CNT de toute confiance… sauf pour les insurgés libyens.

Quand à l’avancée des troupes « rebelles » sur Tripoli, elle a été orchestrée et encadrée par les grandes puissances intervenantes : pilonnages de l’aviation pour assurer l’avancée des troupes ; livraison au moment des opérations, dans le port de Tripoli, d’armements et de véhicules pick-up ; commandos envoyés sur place pour coordonner les opérations, composés de militaires français, britanniques, qataris et de soldats des Émirats Arabes Unis. Quant aux rebelles du Djebel Neffoussa, qui ont gagné la bataille de Tripoli, ils ne sont pas sortis de rien, préalablement entraînés dans cette région avec l’aide et les équipements fournis par les alliés. Des contingents de Libyens avaient été entraînés au Qatar, formant des troupes fiables, indépendantes des insurgés. Et, selon le journal Times (cité par Courrier International) les alliés occidentaux et le CNT auraient prévu un détachement de 10 000 à 15 000 hommes spécialement recrutés pour contrôler la capitale après la chute de Kadhafi.

Un nouvel Irak ?

Mais la réalité n’est pas forcément aussi simple que les plans des grandes puissances. Même si elles n’ont (à quelques commandos de spécialistes près) fait cette guerre que du ciel, elles pourraient se retrouver dans un bourbier semblable à ceux d’Irak ou d’Afghanistan.

Ne serait-ce que parce qu’elles se sont (comme le faisait déjà le régime de Kadhafi) appuyées sur les divers clans et chefs régionaux qui rivalisent aujourd’hui dans Tripoli. Sans parler du poids des intégristes musulmans dans le pays, dont l’ancien djihadiste qui vient de se propulser au poste de chef de la sécurité de Tripoli. Sans parler de la prolifération d’armes dans la région occasionnée par la guerre et que les États-Unis semblent craindre, sous prétexte qu’elle pourrait alimenter des groupes terroristes et mouvements intégristes. (Crainte que dit partager le gouvernement algérien, à moins qu’il ne fasse que revendiquer des aides financières pour son armée face aux risques de révoltes populaires.)

D’un autre coté – et c’est ce que l’on pourrait espérer de mieux –, rien ne dit que les jeunes et moins jeunes qui avaient massivement participé aux manifestations du mois de février, ou qui ont participé ensuite à la guerre avec l’illusion d’y gagner la liberté, vont accepter du nouveau régime ce qu’ils n’acceptaient plus de Kadhafi.

Pour l’heure, le virus du régionalisme insufflé par ceux qui se sont proclamés chefs, comme les incitations à la chasse aux immigrés d’Afrique noire, pèsent dans le mauvais sens. Mais l’impulsion peut revenir, une nouvelle fois, de ce qui se passe dans les pays voisins.

La révolution arabe toujours là

Car si en Libye on n’a jamais vu la classe ouvrière en tant que telle jouer un rôle dans les évènements (et elle était en bonne partie constituée de ses immigrés d’Égypte ou d’Afrique), elle continue à se manifester fortement en Égypte et en Tunisie. Ce début septembre y est marqué par une multiplication de grèves (notamment en Égypte dans l’industrie textile une nouvelle fois, chez les enseignants, dans les transports publics, à la poste) et des mouvements sociaux, malgré toutes les tentatives de serrage de vis des autorités «  de transition », civiles ou militaires. Toute une effervescence populaire, en dépit des tentatives de dérivatifs que pourraient représenter des escarmouches diplomatiques ou militaires entre l’Égypte et Israël (dont la provocation militaire d’Israël dans le Sinaï a récemment donné l’occasion).

Le 17 septembre 2011

Olivier BELIN

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Numéro 77, septembre-octobre 2011