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Accueil > Les articles du site > L’émancipation des femmes, un combat révolutionnaire…

Libération de la parole

Mis en ligne le 11 mars 2021 Article Société

Octobre 2017. Une vague de libération de la parole s’ouvre avec l’utilisation par Rose McGowan, actrice de Charmed, du #MeToo accusant le producteur Harvey Weinstein de viol. Le hashtag sera utilisé, en 24 heures, 500 000 fois sur Twitter et 12 millions de fois toutes plateformes confondues. Sans compter ses déclinaisons dans les différentes langues comme #balancetonporc utilisé 496 000 fois en un mois : le mouvement dépasse rapidement les frontières des États-Unis. Tout d’un coup, la question des violences faites aux femmes passe de la sphère individuelle et privée au domaine collectif et public. Un tabou est levé sur un problème de société. Des actions accompagnent la libération de la parole : manifestations, rassemblements, groupes de parole, etc. Les témoignages ont, sans surprise, confirmé des chiffres et faits pourtant connus depuis longtemps : par exemple 93 000 femmes violées par an rien qu’en France. Neuf femmes sur dix violées par des hommes qu’elles connaissaient. Ces chiffres sont relayés par le collectif NousToutes.

Une violence venue du fond des âges, que la société bourgeoise prétendument avancée a utilisée

Ces violences qui touchent les femmes, parce qu’elles sont des femmes, d’où viennent-elles ? Pourquoi occupent-elles une telle place dans cette société ? La société bourgeoise a conservé des lois et mœurs du vieux patriarcat. Sa minorité capitaliste qui vit de l’exploitation du travail humain – c’est la racine – a besoin d’une superstructure étatique de domination (police, armée, justice), d’un arsenal de lois contre les exploités, mais aussi contre les opprimés pour raisons de race, de sexe ou d’âge. Ces chaînes de dominations sont inscrites dans le marbre de constitutions ou autres codes de la famille − pour ce qui concerne les femmes. Il en reste des traces dans les législations les plus avancées… Et quand ce n’est pas dans les lois, c’est dans les faits et dans les mœur – de sales mœurs qui collent à la peau de la société bourgeoise. Une de ces tares, précisément : le sexisme.

Selon une étude du ministère de l’Intérieur de 2019, le nombre de plaintes pour viol a augmenté chaque année depuis 2017 : + 11 % en 2017, + 19 % en 2018 et 2019. La norme reste de ne pas porter plainte (dans plus de 80 % des cas). Ces actions judiciaires concernent souvent des faits anciens : 50 % des dépôts de plainte pour viols sur majeur ont eu lieu soixante-dix jours ou plus après les faits. Le climat MeToo participe évidemment à l’augmentation des plaintes. L’objectif : faire entendre la parole des victimes devant le reste de la société, ne pas cacher ce qui dérange, sortir de l’omerta. Les victimes parlent désormais haut et fort, attaquent plutôt que de se sentir coupables, et quand elles sont des centaines de millions à le faire, il n’est plus possible de les faire taire. La parole libérée est celle d’un chancre social. Rapidement, le # s’est élargi au-delà du viol.

D’où vient cette violence ?

Aux rôles sociaux assignés à chaque sexe dans la société, qui voudraient que la femme soit cantonnée à une place subalterne. Cette assignation à une situation d’être inférieur en droits est l’héritage d’une vieille division du travail entre les sexes, qui s’est érigée en système de pouvoir : le patriarcat. Dans son développement, le capitalisme n’a pas bousculé ce vieux système réactionnaire, il s’en est servi tout en l’adaptant à sa sauce, enracinant dans le droit et dans l’idéologie, l’inégalité entre les sexes…

Depuis, chaque avancée dans l’émancipation des femmes, en matière de droit de vote ou de droit à l’avortement, ou en matière de mœurs (libertés sexuelles, implication politique), est le résultat de combats de femmes qui se sont fait entendre, et qui participent à bien des luttes politiques au-delà des questions féministes ou féminines, faisant la démonstration qu’elles sont de véritables actrices dans la société. Le mouvement MeToo s’inscrit dans cette histoire des luttes pour l’existence sociale et politique des femmes. Car malgré les avancées, les inégalités entre hommes et femmes restent structurantes dans notre société. Et qui dit inégalités dit violence pour les maintenir. Violence physique ou poids moral. Violence, déjà, dans cette tendance générale de la société à ramener les femmes à un rôle d’objet et non d’actrice. Par la pub, le cinéma, la littérature ou les jeux vidéo, la « femme-objet » a la vie dure. À titre d’illustration, on peut citer ces affiches de films, ces publicités ou ces jeux vidéo où apparaissent des femmes hypersexualisées.

Nous renvoyons aux publications de la dessinatrice et humoriste Emma et à ses BD sur La charge mentale.

Pour ce qui est du cinéma, nous pouvons citer le tristement célèbre Test de Bechdel, qui voit plus de la moitié des films d’action échouer à valider trois critères pourtant simples (selon une étude de 2005) :

  • comporter au moins un personnage féminin ;
  • comporter un personnage féminin qui ait son propre arc narratif ;
  • un arc narratif qui ne soit pas le faire-valoir d’un personnage masculin.

La femme est fréquemment réduite à la princesse qui attend son prince charmant, ou à un objet sexuel excitant le désir masculin.

La culture du viol [1]

Autre aspect de cette « objectivation » des femmes, c’est la culture du viol. Dès le plus jeune âge et tout particulièrement la puberté, les femmes subissent de nombreuses injonctions comportementales de soumission et domestication. On leur inculque qu’elles sont objets de désir – ou non – des hommes, proies – ou non – des hommes. Il y a déjà le harcèlement de rue (dont 100 % des femmes sont victimes). On vous siffle, on vous suit, on vous aborde, ce qui rappelle systématiquement aux femmes que l’espace public ne leur appartient pas, et qu’elles sont l’objet des validations – ou non – de leur physique par des hommes. Le mouvement des colleuses a surgi… qui les tient en quelque sorte à l’œil ! Des réseaux d’entraide féminine fleurissent contre ces formes de harcèlement de rue (comme le groupe Facebook Répondons, ou d’autres qui proposent des retours collectifs post soirées).

Le féminicide

Si les violences sexistes et sexuelles se manifestent selon un vaste (on n’ose pas dire riche) spectre, des attitudes ou paroles « machos » au viol, elles conduisent jusqu’à l’acte le plus violent : le féminicide. Le mot est apparu récemment en France, popularisé par la mobilisation de femmes en Argentine en 2015, dans le mouvement Ni una menos (pas une de moins), ainsi que par le mouvement MeToo.

Le féminicide est abordé sous toutes ses coutures par une enquête menée par une dizaine de journalistes du quotidien Le Monde sur les cent-vingt crimes commis l’année 2018 en France (on compte cent-cinquante-deux féminicides pour l’année 2019). Une femme tuée tous les deux ou trois jours !

Loin des fantasmés « crimes passionnels », la réalité soulignée par cette enquête est que « les féminicides conjugaux sont avant tout des crimes de possession : des hommes se croient propriétaires de leur femme et la massacrent lorsqu’elle tente de leur échapper. Le crime passionnel n’existe pas. Il n’a jamais existé ».

Les faits de féminicide ne sont jamais replacés dans un contexte d’inégalités hommes-femmes ; le passage à l’acte n’est que peu expliqué socialement : l’agresseur est excusé car « obsédé » ou « amoureux », et c’est à lui qu’on donne directement la parole. Les coupables sont protégés et les victimes ignorées, condamnées au silence : « En explorant minutieusement les dossiers, en interrogeant les proches, en reconstituant l’histoire intime du couple, on constate que les violences, psychologiques ou physiques, étaient présentes la plupart du temps, comme autant de signes avant-coureurs. […] Des signaux d’alerte rarement identifiés ou judiciarisés : sur les quelque 220 000 femmes qui se disent victimes de violences conjugales chaque année, moins d’une sur cinq porte plainte. »

La libération de la parole a contribué à sortir le cercle familial de la sphère privée. Loin d’être détachée du reste de la société, la famille offre un cadre loin de tout contrôle à une violence sociale. Une des expressions les plus violentes de cette violence intrafamiliale étant l’inceste, où l’enfant est prisonnier de l’autorité du chef de famille, la cellule familiale restant un centre de gravité dans la société bourgeoise.

Au-delà de l’autorité du père dans la famille, les rapports de pouvoir sont structurants dans notre société : sur les plans économiques (hiérarchies dans les entreprises) comme politiques (hiérarchies au sein des différents pouvoirs). Entre les évêques et prêtres, les patrons et contremaîtres, les producteurs de spectacle, les « élites » des grandes écoles à la Olivier Duhamel… Tous ceux qui ont du pouvoir ont celui d’en abuser. Aujourd’hui, la question se polarise autour de la question du consentement… Complètement faussée par ces déséquilibres des situations et positions. Les femmes souvent ne « consentent » pas : elles « cèdent » par crainte de perdre leur boulot, leur carrière, leurs relations dans la famille, etc.

Comment sont traitées les violences ?

Si on regarde les mesures prises ces dernières années contre les violences, on constate qu’elles sont faibles en nombre et purement répressives.

Résultat :

  • La justice condamne très peu les coupables.
  • La police (garante d’un ordre enraciné dans les rapports de domination et les mentalités) n’enregistre que très peu les plaintes, ou les classe sans suite… Avec un ministre de l’Intérieur et chef de la police, Gérald Darmanin, lui-même accusé de harcèlement, on voit le signal donné ! Et on ne s’attardera pas sur la misogynie dans les commissariats, illustrée entre autres dans le livre Flic, enquête du journaliste Valentin Gendrot ou les études du sociologue Didier Fassin.
  • Les moyens de prévention ou d’aide aux associations sont dérisoires.
  • Les conditions de vie matérielles des femmes (précarité au travail, bas salaires et instabilité financière) leur interdisent quasiment de fuir les situations dangereuses.
  • Il existe aussi la barrière idéologique, les préjugés réactionnaires véhiculés par la morale religieuse et par une bonne partie des milieux politiciens et institutionnels bourgeois, pour qui la femme devrait rester soumise à son mari. L’influence de l’extrême droite n’arrange rien !
  • Et puis cette société bourgeoise, organisée autour de la loi triviale du profit maximum, n’a pas envie que les femmes (et plus largement les opprimés et les exploités) se mettent à réfléchir aux questions de société et à vouloir s’émanciper.

Mais heureusement pour nous, il n’est nul besoin d’attendre que l’État pose des cadres pour que des femmes et des hommes bousculent cette situation. Au-delà des dénonciations sur les réseaux sociaux, MeToo a entrainé une multiplicité de lieux d’échanges et d’activités militantes. Une nouvelle génération s’est levée, qui s’exprime ces dernières années dans des manifestations, en particulier dans les cortèges de la mobilisation contre la loi sécurité globale. N’oublions pas les femmes Gilets jaunes, autre manifestation d’un retour en force des femmes sur la scène politique. En France comme dans le monde.


[1Lire, entre autres, l’ouvrage de Valérie Rey-Robert, Une culture du viol à la française, Libertalia.

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