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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 141, octobre-novembre 2021

Grigny (Essonne)

Les grévistes de Bergams déterminés à faire plier le groupe Norac

24 octobre 2021 Convergences Entreprises

(Crédit photo : Photothèque rouge / Martin Noda / Hans Lucas)

Les travailleurs de l’entreprise Bergams (Groupe Norac) [1] qui produisent des sandwichs, snacks et plats ultra-frais 24 heures sur 24 heures à Grigny (91) sont en grève depuis un mois et demi : ils ont décidé de faire reculer la direction qui leur impose depuis des mois des salaires amputés de 200 à 800 euros par mois, une rallonge du temps de travail quotidien et des repos supprimés.

Toute la production est arrêtée et les grévistes, la quasi-totalité des 280 salariés de l’usine, se relaient jour et nuit sur le piquet. Comme ils et elles disent – car 70 % des salariées sont des femmes – « nous n’avons plus rien à perdre ». Beaucoup disent qu’elles préfèrent arrêter de travailler tout court plutôt que de reprendre dans ces conditions. Les grévistes exigent l’annulation d’un accord dit de « performance collective » (APC) signé par la CFDT, la CGC et la CFTC en septembre 2020 qui entérinait tous ces reculs.

L’arnaque du référendum

Le patron a prétexté les baisses de commandes sous le Covid, utilisé le chantage aux licenciements voire à la fermeture pour soumettre les travailleurs à un référendum et leur arracher leur accord suite à la signature par ces trois syndicats. Face à l’hostilité d’une bonne partie d’entre eux et des syndicats non signataires (FO, CGT, SUD Industrie), cet « humaniste » sauveur d’emplois a obtenu 56% de « oui » en organisant des réunions de petits groupes de salariés par origine géographique avec traducteurs pour faire passer la pilule. Il a ensuite sablé le champagne ! Mais aujourd’hui son entreprise de division a fait long feu face à la détermination de tous : des travailleurs qui ont entre quatre et trente ans d’ancienneté, des originaires de l’Asie du sud-est, du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne – plus de 36 origines se côtoient – parmi lesquels les plus anciens ont déjà participé à des grèves, tous sont d’accord pour refuser l’APC et faire plier la direction.

« Non à l’esclavage moderne »

C’est écrit sur l’une de leurs banderoles. Ils travaillent souvent en 2x8 sur une chaîne de froid. Avec l’APC qui fait passer leur temps de travail de base de 35 heures à 37,5 heures avec la même paie, la direction leur a dit qu’ils auraient à travailler plus certaines semaines, au gré des commandes, jusqu’à 42 heures. Et que les heures supplémentaires seraient payées en fin d’année en cas de dépassement. C’est vite devenu la pression maximale : en fin de vacation, les chefs passent dire qu’il faut rester une demi-heure, une heure de plus. Les dimanches et jours fériés pour lesquels une prime et un jour de récupération existaient sont devenus des jours travaillés sans aucune compensation. Plus de majoration de nuit non plus. Cela fait six mois qu’ils travaillent à plein tube : passé la période de chômage partiel dont la direction a bien profité ainsi que des aides du dispositif ARME (Activité Réduite pour le Maintien en Emploi) toujours en cours, passée la signature de l’APC avant laquelle la direction pleurait sur le manque de commandes, les ouvriers croulent sous le travail. Les embauches éventuelles ne se font qu’en intérim. Comme par « miracle », les commandes ont afflué juste au lendemain de la mise en place dudit Accord de Performance Collective (APC).

Paroles de grévistes en colère

Selon les grévistes, la direction leur a menti sur les difficultés, la perte de clients, pour faire accepter des baisses drastiques de salaire : ils sont tous désormais à 1 570 euros brut, ont perdu l’ancienneté tandis que les cadres ont été augmentés de 15% et ont eu 400 euros de primes. « Nous sommes arrivés là avant cette direction et pour la première fois, j’ai un chèque impayé » disait l’un d’entre eux, 55 ans et 13 ans d’ancienneté, père de trois enfants et qui perd 600 € sur son salaire. Un autre gréviste compte sur ses enfants pour l’aider financièrement à payer son crédit maison. Un autre dit devoir faire 980 heures en 5 mois pour que les heures supplémentaires lui soient payées.

« La direction veut se servir de nous comme cobayes, elle croit que, parce nous sommes des travailleurs immigrés pour beaucoup, souvent des femmes, nous nous laisserons faire. Parce qu’ils veulent certainement imposer ça dans les autres usines du groupe. Nous sommes les premiers. Mais nous n’en pouvons plus du travail, il y a des accidents, beaucoup de maladies liées au travail dans le froid et à la chaîne. » Une salariée explique qu’elle colle des dizaines de milliers d’étiquettes par jour sur les emballages et a une tendinite aux doigts. Rien qu’en sandwichs, il en sort 80 000 par jour.

Le groupe Norac joue le bras de fer

La direction a utilisé plusieurs manœuvres pour casser la grève : assigner par deux fois des grévistes en justice début octobre pour faire lever le piquet et enlever des palettes qui entraveraient la circulation des marchandises. Mais la production est effectivement bloquée... car presque personne ne travaille ! Et les grévistes ont eu gain de cause au tribunal, ce qui les a regonflés. Le patron du groupe Norac, Bruno Caron, qui a de nombreuses usines, notamment en Bretagne et même à l’international, est dans les 500 premières fortunes du pays mais refuse toute négociation, use à présent de la menace de fermer l’entreprise.

C’est donc le bras de fer mais les grévistes déterminés à ne pas reprendre le travail dans des conditions aussi dégradées mettent à profit leur temps pour organiser la lutte : ils sont allés manifester à quelques dizaines avec les autres secteurs le 5 octobre, première manif pour beaucoup. Ils ont reçu la visite de grévistes de Transdev sur leur piquet. Devant la Préfecture d’Évry le 12 octobre ils étaient une centaine avec leurs soutiens pour exiger des négociations car un médiateur a vite jeté l’éponge et l’inspection du travail a pris le relais. Mais la rencontre entre les autorités, les responsables syndicaux et les représentants de Bergams a tourné court, la direction de l’entreprise opposant sur les revendications le mépris catégorique.

Le lien avec les représentants syndicaux des autres entreprises du groupe existe bien et, le 21 octobre, une soixantaine de manifestants s’est retrouvée devant le siège de Norac à Rennes pour de nouvelles négociations. De là à ce qu’il y ait une politique de popularisation de la grève de Grigny, il y a loin, même si les travailleurs des autres usines semblent eux-aussi menacés à terme. La direction joue d’ailleurs la division en cédant des primes de pouvoir d’achat : elle a annoncé une prime de 400 euros pour les salariés de Daunat. À cette rencontre de Rennes, le groupe a aussi annoncé vouloir liquider l’entreprise Bergams, et une procédure judiciaire est lancée qui commence ce 4 novembre.

À l’heure où nous écrivons, les grévistes, conscients de l’arnaque de la part d’une direction qui ne pense qu’au profit sur leur dos, veulent toujours l’annulation de l’APC, le retour aux 35 heures, le paiement des heures supplémentaires au mois, retrouver leur ancienneté, les repos et les primes qu’ils ont perdues. Ils restent unis dans le refus d’être payés au lance-pierre et de crever au travail.

Correspondants, le 23 octobre 2021


Voir aussi les articles et vidéos de l’Anticapitaliste : Déjà trois semaines de grève à Bergams, du 04/10/2021 ; Les grévistes de Bergams racontent leur lutte et rencontrent Philippe Poutou, du 07/10/2021 ; Bergams à Grigny (91) en grève depuis le 16 septembre : « On ne lâche rien ! », 11/10/2021.


[1Le Groupe NORAC, ce sont les marques suivantes en France : Daunat, Took Took, Whaou !, Le Ster, Gaillard, La Boulangère, Veg’à’table, Dessaint Traiteur, Sud’n’Sol, Ensoleil’ade, On Vous Veut du Bien, Le Kiosque à Sandwiches, Armor Délices, Lili’s et d’autres à l’étranger. Bergams fourni l’aéroport d’Orly, Air France, la Servair, Relay, Starbucks et bien d’autres en produits frais.

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