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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 71, octobre 2010

Les directions syndicales iront-elles jusqu’au bout ?

Mis en ligne le 18 octobre 2010 Convergences Politique

Après le 24 juin 2010, lorsque l’intersyndicale avait annoncé une nouvelle journée d’action pour le 7 septembre, nombreux furent les militants – et pas seulement d’extrême-gauche – à se dire : « c’est fini » ! Il faut dire que la date choisie était tout à la fois éloignée de celle du 24 juin et très proche de la rentrée de septembre, ne laissant guère de temps pour préparer la mobilisation. Il faut dire encore que l’intersyndicale avait montré l’année précédente sa capacité à user un mouvement puissant en se réunissant… des jours après chaque manifestation pour appeler à une nouvelle journée des semaines plus tard – le comble ayant été atteint le 19 mars 2009 pour un appel à prolonger l’action… le premier mai !

Le 7 septembre dernier, la mobilisation a été au rendez-vous. L’intersyndicale se réunissait le lendemain et décidait d’une nouvelle journée de grève et manifestation pour le 23. Le 24, elle appelait à deux nouvelles journées : l’une le samedi 2 octobre, l’autre le mardi 12 octobre. Et, avant même cette journée, l’intersyndicale se réunissait le 8 octobre et annonçait une nouvelle journée de manifestations le samedi 16 et une nouvelle rencontre de l’intersyndicale le 14 qui a annoncé une nouvelle journée trois jours plus tard, le mardi 19.

Au succès de chaque journée, l’intersyndicale a répondu rapidement ; chaque appel a été mis en perspective avec les suites. De fait, la mobilisation n’a cessé de s’élargir, de gagner dans l’opinion, et même de s’élargir avec des grèves reconductibles à la SNCF, l’entrée des lycéens dans la rue ou le blocage des raffineries. Même les querelles sur le nombre des manifestants sont significatives de la volonté des syndicats de présenter un mouvement qui va s’amplifiant. Rappelons tout de même que ce n’est pas toujours le cas : tous les participants à la grande manifestation nationale du 25 mai 2003 contre la loi Fillon sur les retraites se souviennent que le nombre de manifestants était passé, dans les déclarations de la CGT, en une demi-journée, de 1 300 000 manifestants à 300 000… Minorer annonçait l’intention d’arrêter, ce que Thibault a fait quelques jours plus tard dans un meeting à Marseille.

Alors, pour qui n’a pas la foi du charbonnier et ne croit pas à une brusque rédemption des confédérations syndicales, il importe de se demander jusqu’où les syndicats sont prêts à aller et sur quoi ils sont susceptibles de se défausser par rapport aux aspirations qui s’expriment dans le monde du travail.

Les raisons des directions syndicales et des partis de gauche

Après avoir, un temps, laissé entendre qu’elle acceptait le passage à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite, Martine Aubry est revenue en arrière et a réaffirmé l’attachement du Parti Socialiste au maintien à 60 ans. Sans cependant revenir sur les mesures Balladur de 1993 et Fillon de 2003 allongeant la durée de cotisation d’une façon telle qu’il est impossible à un salarié de partir avec une retraite à taux plein à 60 ans !

Puis, à l’approche et au lendemain du 7 septembre, tous les dirigeants du PS ont affirmé que la gauche victorieuse en 2012 annulerait la réforme en cours… ce qui, en passant, était sous-entendre que la mobilisation qui commençait avait peu de chance de mettre le gouvernement en échec. Pourtant la gauche du PS – Benoît Hamon, Henri Emmanuelli – insistait sur la possibilité de faire reculer le gouvernement tout de suite. Même son de cloche au Parti Communiste. Et, surtout, les dirigeants syndicaux décidaient de poursuivre et tenter d’élargir la mobilisation.

Un échec du gouvernement sur la question des retraites nuirait plus au gouvernement qu’à la bourgeoisie. Sarkozy en sortirait affaibli et serait donc en mauvaise posture pour les élections de 2012. Et le maintien et la poursuite de l’allongement de la durée de cotisation suffisent largement à faire payer les salariés. Sans compter que le retour du PS ne garantit nullement contre le recul de l’âge de la retraite à 62 ans. Celui-ci n’est-il pas soutenu par le FMI… dirigé par un des principaux responsables du PS, Strauss-Kahn ? Les prises de positions du PS ne sont donc pas forcément dictées par les seules préoccupations des travailleurs.

À ces raisons s’en ajoutent d’autres, propres aux appareils syndicaux. Ayant accompagné tous les reculs qu’ont connu les travailleurs ces dernières décennies, la position des syndicats face au gouvernement et au patronat s’est affaiblie, ces derniers refusant de compenser leur perte d’influence par des avantages institutionnels donnés aux appareils. Le gouvernement ne cherche même pas à maintenir l’illusion de négociations. D’autre part, un ancien dirigeant du CNPF (l’ancêtre du Medef), Yvon Gattaz, est allé jusqu’à remettre en cause l’existence des syndicats : « De façon sociétale, les syndicats ont été nécessaires au XIXe siècle, utiles puis abusifs au XXe. Inutiles et nuisibles au XXIe, ils doivent disparaître », a-t-il écrit dans la revue Commentaire. La citation a fait un tabac à la récente université du Medef. Les appareils syndicaux ont donc tout intérêt à tenter d’utiliser la mobilisation sur les retraites pour rappeler qu’il faut toujours compter avec eux.

Jusqu’où peuvent-elles aller ?

Rien ne s’oppose à ce qu’elles aillent jusqu’au retrait du projet de loi. Y compris s’il faut multiplier les grèves pour cela. Ce ne serait pas la première fois qu’elles déclencheraient un bras de fer. Cela étant, les directions confédérales envoient des signaux nuancés, quant ce n’est pas contradictoires.

Après avoir fait un appel du pied à la majorité du Sénat sur la question du report de l’âge de la retraite à taux plein, de 65 à 67 ans, Chérèque, le dirigeant de la CFDT, s’est directement adressé au gouvernement, lui demandant de reporter le vote de cette partie du projet à 2013. Le gouvernement lui a opposé une fin de non-recevoir… préservant ainsi le « front » syndical en ne permettant pas à la CFDT d’en sortir.

La CGT, elle, s’est jusqu’ici montrée plus ferme. Thibault n’a cessé de répéter que sa confédération est prête à « aller jusqu’au bout ». Dans une lettre aux militants CGT, il affirmait : « Nous appelons à généraliser la tenue d’assemblées générales, de consultations sur les lieux de travail pour définir ensemble et démocratiquement les revendications, le rythme, les formes et les modalités de la reconduction de l’action après le 12 octobre. La CGT l’a affirmé depuis le début, nous irons jusqu’au bout dans ce combat. (…) Cette démarche démocratique est déjà engagée dans certaines branches professionnelles, certaines entreprises où la grève est déjà une réalité depuis plusieurs jours à propos de l’avenir des retraites et des revendications salariales et d’emploi. »

Et effectivement à l’approche du 12 octobre la CGT martelait que le mouvement devait entrer dans une nouvelle phase, laissait planer les mots de grèves reconductibles ou illimitée tout en répétant que les décisions devaient être prises localement. La presse relevait les préavis déposés par la CGT de la RATP et de la SNCF, concluant un peu hâtivement que les syndicats concernés appelaient à la grève illimitée. Le site de la CGT RATP précisait très vite : « Contrairement à ce qui a été trop rapidement affirmé, la CGT/RATP n’appelle pas à une « grève illimitée », mais expliquait aussi que le syndicat n’avait simplement pas spécifié de date de fin de grève pour assurer toutes les possibilités légales. Et d’autres appels étaient plus précis, comme celui de l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône : « Le 12 octobre, à l’appel de l’ensemble des Organisations Syndicales, soyons massivement en grève et dans la rue pour faire reculer le gouvernement et le Medef. Et dès le 13, si le gouvernement s’obstine à passer en force, il nous obligera à reconduire la grève pour le contraindre à reculer. »

« La CGT veut miser sur l’accélération des manifestations intersyndicales. Elle exclut un appel national à des grèves reconductibles, mais laisse le soin à ses troupes de se lancer localement. », expliquait un journaliste des Échos. C’était assez bien résumer l’attitude des confédérations syndicales, en tout cas de la CGT. Elles peuvent parfaitement laisser se développer des grèves dans différents secteurs, tant qu’elles contrôlent la situation. Une vitesse mesurée et même une certaine accélération, mais le pied prêt à peser sur la pédale du frein. Les formes de mobilisation proposées depuis un mois et demi par les dirigeants syndicaux ayant jusqu’ici parfaitement répondu aux attentes des salariés, ils sont solidement installés aux commandes, renforcés même encore ces derniers jours. Ils devraient se sentir en position de pouvoir clamer : « On a gagné ! ». Le problème est : gagné quoi ?

Des objectifs flous, qui diffèrent d’un syndicat à l’autre

Entre la CFDT qui a fait comprendre qu’elle se contenterait de la renonciation au passage de 65 à 67 ans pour une retraite à taux plein et FO qui réclame un retrait pur et simple du projet, voire Sud-Solidaires dont les équipes les plus militantes sont en pointe dans le mouvement et réclament le retour aux 37,5 années de cotisations, la CGT occupe une position médiane, dénonçant absolument tous les aspects de la réforme du gouvernement – ce qui devrait l’amener à se prononcer pour un retrait pur et simple. Elle ne le fait pourtant pas, s’abritant derrière le fait que la CFDT ne voudrait pas et qu’il faut préserver l’unité syndicale. Car finalement ce qu’elle met en avant c’est, comme les autres, l’ouverture de négociation pour « une réforme juste ».

Certes, la CGT insiste trop sur le maintien à 60 ans de l’âge légal de la retraite pour pouvoir, demain, claironner « on a gagné » si le gouvernement maintient le passage à 62 ans. Mais même si, comme le réclame FO, le gouvernement se voyait contraint de retirer piteusement l’ensemble de sa réforme, comme de Villepin l’avait fait du CPE, que négocieraient les syndicats ?

En réalité, les dirigeants syndicaux ne disent pas un mot de ce sur quoi ils veulent faire porter les négociations. Cela permettra peut-être à chacun de proclamer « on a gagné » même si cela diffère d’un syndicat à l’autre. Mais c’est là que le bât blesse. Car, si la mobilisation, le mouvement gréviste prenaient une telle ampleur qu’ils contraignaient le gouvernement à manger son chapeau, ne serait-ce pas le moment de réclamer l’abrogation des réformes Balladur de 1993 – sur le mode de calcul des pensions et le nombre d’annuités nécessaire pour une retraite à taux plein pour les travailleurs du secteur privé – et Fillon de 2003 – sur la généralisation à tous les salariés de l’augmentation du nombre d’annuités ? De réclamer le retour à l’indexation des pensions sur les salaires et non sur l’indice des prix ? Et, au-delà, de mettre sur le tapis l’ensemble des problèmes qui pourrissent la vie des travailleurs : bas niveau des salaires, généralisation du travail précaire, chômage massif ?

En guise de conclusion provisoire

Pour l’instant en tout cas, les confédérations syndicales, particulièrement la CGT, ont fait ce qu’il fallait. En veillant sans doute à tenir la situation bien en main et en évitant de donner l’objectif d’une grève générale avec l’excuse que celle-ci ne se déclenche pas sur un simple appel des confédérations, ce qui est vrai, même si elles étaient plus respectées et considérées par les travailleurs. Et, pour l’instant toujours, les travailleurs ont suivi. Elles peuvent demain maintenir le feu vert à la multiplication des grèves, y compris reconductibles, dans les entreprises ou les secteurs les plus déterminés, surtout si elles restent minoritaires, comme elles le sont au moment où nous écrivons, et surtout si ces entreprises et ces secteurs ne cherchent pas à faire la jonction entre eux, puis en entraîner d’autres, pour au final établir une organisation de la mobilisation qui émanerait de la base et davantage contrôlée par elle.

Établir ces liaisons, ce réseau, cette organisation à travers les mobilisations telles qu’elles sont programmées et impulsés par les appareils serait d’ailleurs la première tâche de l’heure, plutôt que dénoncer on se sait quels retards pris par les confédérations dans cette mobilisation, alors que, à juste titre, ce n’est pas le sentiment des travailleurs contrairement à 2009 ou 2003.

Par contre, il importe de clarifier les objectifs, de permettre aux travailleurs de s’exprimer non seulement sur les modalités d’action – comme les y invite toute l’intersyndicale – mais aussi sur le contenu des revendications, sur ce qui sera mis en avant dans les éventuelles négociations. Ce n’est que si chacun sait exactement pour quoi il se bat que personne ne pourra faire prendre pour une victoire de nouveaux sacrifices demandés au nom de la nécessité de la réforme.

16 octobre 2010

Jean-Jacques FRANQUIER

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