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DOSSIER : Premier recul du gouvernement : le CPE enterré… restent le CNE et la précarité

Les coordinations et la tâche difficile mais indispensable de mettre sur pied une direction démocratique

Mis en ligne le 25 avril 2006 Convergences Politique

Le mouvement a été depuis le début organisé en assemblées générales (AG). Sa progression puis son déclin se sont mesurés à leur fréquentation. Les premières journées nationales (7 février, puis 7 mars) ont été décidées par les syndicats des étudiants et des salariés. Mais très vite, les AG se sont donné les moyens de se coordonner pour proposer un calendrier, des revendications et discuter des problèmes politiques et organisationnels posés par le mouvement.

Ainsi dès le 18 février une coordination nationale se met en place, à l’initiative des JCR (organisation de jeunesse liée à la LCR). Elle se tiendra désormais tous les week-ends. Les universités y sont représentées par des délégués mandatés par les AG, à raison de 7 par site bloqué ou en grève et de 3 par site mobilisé. Le nombre de sites représentés ne cessera de croître pour atteindre 120 à Lyon, le 8 avril.

L’organisation du mouvement appartenait ainsi en théorie aux grévistes eux-mêmes, en tout cas à la frange la plus mobilisée. Même si la coordination n’était pas le premier sujet d’intérêt, surtout dans les facs peu mobilisées, personne n’a remis en cause son existence, pas même les socialistes de l’UNEF. Seule une petite minorité de facs l’a boycottée, notamment Poitiers ou Brest.

Une impulsion pour les débats dans les AG

Au fur et à mesure que le mouvement s’étendait et que les AG s’étoffaient, la coordination a pesé de plus en plus chez les étudiants. À Rennes le 18 février puis à Toulouse le 25, une plate-forme de revendications a été définie. Elle a été discutée et amendée dans la plupart des AG [1]. C’est cela qui a permis la diffusion dans les facs des revendications principales : retrait de l’ensemble de la loi « égalité des chances » et du CNE.

Les médias ont prétendu, après le 10 avril, que ces revendications auraient été précipitamment ajoutées au lendemain du retrait du CPE. Preuve seulement que depuis des semaines ils n’avaient pas accordé beaucoup d’attention aux décisions des structures que s’était données le mouvement (coordinations nationale, locales et AG) pour la porter presque uniquement sur les seuls syndicats officiels. Une des raisons sans doute pour lesquelles beaucoup de salariés sympathisants, et même des lycéens, n’avaient entendu parlé que d’un mouvement anti-CPE... L’axe essentiel qui ressortait des travaux de toutes les coordinations était pourtant bien : il faut construire un mouvement d’ensemble contre la précarité.

Une impulsion pour le mouvement d’ensemble

Difficile de mesurer l’effet réel des appels hebdomadaires de la coordination nationale proposant des pistes pour l’extension de la lutte. En revanche, il est facile de mesurer que c’était en phase avec les aspirations des grévistes. Si beaucoup de lycées ont rejoint d’eux-mêmes le mouvement, de nombreux établissements ont été débrayés par les étudiants qui voulaient accélérer le processus. De même la propagande en direction des salariés n’a fait que prendre de l’ampleur au fur et à mesure : diffusions de tracts, actions communes, participation des représentants étudiants aux intersyndicales, tentatives de mettre en place des AG « interprofessionnelles », c’est-à-dire réunissant étudiants et salariés.

La coordination nationale n’a pas su s’imposer au niveau des médias (en partie à cause des préjugés à l’encontre de la presse d’une partie de ses membres, mais pas seulement). Elle n’en a pas moins joué le rôle d’une des directions du mouvement. C’est elle qui a appelé aux journées du 16 et du 23 mars, qui ont rassemblé 125 000 puis 250 000 étudiants et lycéens. C’est elle qui a appelé aux blocages des axes routiers et ferroviaires qui ont connu le succès que l’on sait début avril. C’est elle aussi qui, la première, a appelé au 4 avril et proposé aux syndicats d’en faire une nouvelle journée de grève et de manifestations.

La coordination s’est prononcée très tôt pour le refus de toute négociation avant le retrait complet de la loi « égalité des chances » et du CNE. Certes l’intersyndicale n’a pas intégré ces revendications à sa plate-forme. Pourtant l’Unef, mais aussi les confédérations de salariés, ont bien senti la pression des AG étudiantes sur cette question. Tout en acceptant de discuter avec les parlementaires les 5 et 6 avril, elles se sentaient encore tenues d’affirmer qu’il n’y aurait pas de négociations avant le retrait pur et simple du CPE.

Des obstacles qui n’ont pas pu être levés

Les militants élus dans les AG étaient reconnus pour leur rôle dans la grève, mais aussi connus pour leur engagement politique ou syndical. Ainsi, toutes les forces politiques présentes dans le mouvement - mais aucune majoritaire - étaient représentées dans la coordination : les socialistes de la majorité de l’Unef, l’extrême gauche (LO et sa Fraction, JCR, LCR, CNT) et les « autonomes » (une force non organisée mais qui se retrouvait sur de nombreux votes et de nombreuses attitudes).

Ces derniers ont tout fait pour exclure ou repousser les organisations, en particulier l’Unef, sans y parvenir. Insultes, cris, votes contestés, cette lutte permanente entre les forces organisées et les « autonomes » explique la durée des débats (32 heures d’affilée à Lille) ; elle a aussi un peu entamé parfois le crédit de la coordination nationale auprès des étudiants. Que des délégués aient été aveuglés par des discours démagogiques contre la « bureaucratie » s’explique par le climat anti-organisation qui existe aujourd’hui parfois dans la jeunesse ; par les attitudes, effectivement bureaucratiques parfois de la direction de l’Unef, qui n’ont pas aidé à combattre mais ont conforté ces préjugés ; mais aussi par celles, tout aussi peu démocratiques (car même un groupuscule peut se comporter en petit appareil) des syndicats soi-disant radicaux (Sud-étudiant, Fédération syndicale étudiante) qui surfaient sur ces sentiments dans le seul but de concurrencer l’Unef, en se moquant pas mal des intérêts du mouvement.

Les socialistes et l’ultra-gauche s’opposent ensemble au comité national de grève

Du coup, très vite, la question de donner une véritable direction au mouvement, élue et révocable à tout moment mais reconnue comme telle, est devenue la pierre d’achoppement de la coordination. Et les oppositions venaient tant des autonomes, à qui toute idée d’organisation donne des boutons, que de l’Unef qui ne voulait pas voir son monopole médiatique contesté. À Poitiers ces deux courants, pour ces raisons bien différentes, ont fait front contre la proposition des révolutionnaires d’élire un bureau qui serait un véritable comité national de la grève.

Dès la semaine suivante, la question allait être discutée dans beaucoup d’AG. Agacés de voir le président de l’Unef, Bruno Julliard, en seul représentant autoproclamé de leur mouvement, de nombreux étudiants souhaitaient l’élection de porte-parole de la coordination. L’Unef a du s’y résoudre, mais a continué de flatter les préjugés anti-organisation de ceux qui se croyaient les plus radicaux : le comité national de grève fut refusé au profit d’un groupe de porte-parole au mandat strictement limité. Trop peu et trop tard pour que la coordination s’impose comme une direction du mouvement étudiant au yeux des confédérations, sans parler des millions de salariés qui n’ont participé que de loin.

Cette faiblesse a contribué au reflux brutal dès le lendemain de l’annonce du retrait du CPE : les syndicats ayant décrété que les revendications étaient satisfaites, aucune voix assez puissante ne se faisait entendre pour dire qu’il y avait plus à gagner.

Par manque de confiance en elle-même et parce que les révolutionnaires n’ont pas toujours réussi à convaincre, la coordination a échoué à populariser au-delà des assemblées générales l’exigence des étudiants d’engager une lutte d’ensemble contre la précarité.

Pourtant elle a permis de poser des échéances, ce qui a exercé une pression certaine sur les directions syndicales. Et l’expérience d’une auto-organisation, même limitée et imparfaite, du niveau local au national, laissera des traces. Les révolutionnaires, en premier lieu les JCR et la Fraction de Lutte ouvrière, ont eu raison d’intervenir dans cette coordination pour tenter d’en faire une véritable direction du mouvement, même s’ils n’ont pas atteint leur but. C’est une question de principe que d’encourager par tous les moyens les grévistes à diriger démocratiquement leur mouvement.

Raphaël PRESTON


Structuration régionale et structuration lycéenne

Au niveau régional, les coordinations, là où elles ont existé, ont pris des formes différentes. À Lyon, en plus des AG sur toutes les facs et lycées mobilisés, se tenait deux fois par semaine une AG de ville, ouverte à tous, jeunes et moins jeunes, étudiants et salariés, qui permettait de discuter de l’état du mouvement et d’organiser manifs et actions sur la ville. Ce fonctionnement a été testé sur Paris où trois AG ouvertes se sont tenues à l’issue des premières manifs en février. Malheureusement, l’opposition « d’autonomes », refusant les tribunes comme les ordres du jour, et à vrai dire toute forme d’organisation, a imposé la nécessité de créer une coordination parisienne où ne pouvaient s’exprimer que des délégués mandatés par les AG. Dès la seconde réunion, un bureau de coordination révocable a été élu, chargé d’organiser les initiatives votées en coordination : édition de tracts à destination des salariés, organisation d’actions, choix des parcours des manifestations étudiantes.

Les AG ne se sont réellement tenues que dans une minorité de lycées. Mais même là où il y en avait, la nécessité de se coordonner était encore plus grande que dans les facs : alors que les universités rassemblent plusieurs milliers voire plusieurs dizaines de milliers d’étudiants, les effectifs d’un lycée se comptent en centaines. Par endroit, des coordinations locales ou départementales de lycéens sont apparues. À Cherbourg une AG inter-lycées a rassemblé jusque 1 200 élèves. Mais ce sont souvent les AG des facs qui attiraient les lycéens mobilisés et devenaient un point de rencontre. La coordination nationale a accepté tardivement d’accueillir les lycéens, et au maximum une cinquantaine d’établissements y ont été représentés (sur les 4 800 que compte le pays). L’échec de sa structuration, et pas seulement les vacances, explique en partie que le mouvement lycéen soit retombé plus vite dès la fin de la semaine du 4 avril.

R.P.


[1Voir « appel de Toulouse » sur le site http://coordinationanticpe.org

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Numéro 45, mai-juin 2006

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