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États-Unis

Les charpentiers de Seattle en grève : « Si les travailleurs relèvent la tête, cela signifie enfreindre la loi et prendre des risques »

Interview

5 octobre 2021 Article Monde

Interview réalisée fin septembre par Stan Miller.

Après avoir refusé une quatrième proposition de contrat [1] avec le patronat, des milliers de charpentiers [2] de l’État de Washington (Nord-Ouest des États-Unis) sont en grève. Art Francisco, charpentier en grève et membre du syndicat des charpentiers, militant marxiste, nous parle des problèmes rencontrés dans cette grève.


1) Pourquoi les charpentiers de Seattle sont-ils en grève ?

Nous sommes en grève, car nos salaires ne suivent pas l’inflation. Nous sommes en grève, car le respect venant des employeurs et de la direction du syndicat a diminué. Nous sommes aussi en position de faire grève, car ces emplois syndiqués sont des emplois très qualifiés. Le nombre de charpentiers a diminué avec les années. Les jeunes générations ne veulent pas de travail manuel, car la société les amène à penser que ces emplois sont inférieurs à des boulots cols blancs. Le manque de charpentiers nous donne plus de marge de manœuvre.

2) Comment la grève est-elle organisée ? De bas en haut ou de haut en bas ?

La grève est globalement organisée de haut en bas. Le syndicat des charpentiers est une dictature. Tout semblant d’action issue de la base est considéré comme une rébellion. Nous avons créé un groupe Facebook pour nous organiser (Peter G. Mc Guire group) et c’est considéré comme une infraction aux règles et de la rébellion. Les charpentiers ne sont autorisés à maintenir des piquets de grève que sur six sites alors qu’il en existe une centaine. Les piquets sont gérés par des capitaines de piquets embauchés directement par le président du syndicat. Les membres n’ont aucun contrôle sur eux. L’état-major du syndicat sabote notre grève. Si tu regardes les propositions de contrats, tu verras que le langage des employeurs et du syndicat est similaire. Le groupe Peter G. Mc Guire vient de la base. On ne permet pas à l’état-major du syndicat de contrôler le groupe. Nous demandons aux personnes de s’identifier avant de s’exprimer pour que les responsables du syndicat ne puissent pas nous harceler à plusieurs contre un. Certains charpentiers ont débrayé sur des sites où il n’était pas censé y avoir de grève. À Turner Construction, les travailleurs étaient censés travailler mais ont débrayé. Et dans un PLA [Project Labor Agreement : contrats spéciaux financés par le gouvernement où il est illégal de faire grève], douze travailleurs ont aussi débrayé. Il y a actuellement 11 000 charpentiers dans l’État de Washington mais le syndicat a décidé que seuls 2 000 feraient grève. L’état-major du syndicat veut empêcher la grève de s’étendre. Les ouvriers se sentent traités comme des enfants [3].

3) Quelle est la situation actuelle de la grève ?

Il y a deux possibilités : soit le syndicat va vaincre la grève et forcer les travailleurs à accepter le contrat, soit les travailleurs relèveront la tête ; cela signifie enfreindre la loi et prendre des risques. Je suis poursuivi par le syndicat et je pourrais en être exclu.

4) Quel est l’importance de la grève pour le mouvement ouvrier aux États-Unis ?

Le taux de syndicalisation aux États-Unis n’est que de 11 % et de seulement 7 % dans le privé. Il y a 400 000 membres dans le syndicat des charpentiers aux USA. La grève actuelle est une bataille importante et pourrait être un tournant majeur. Cela dépend des travailleurs. Leur vie, leur famille sont en jeu. L’État de Washington est un bastion du mouvement ouvrier. Il y a une occasion à ne pas louper. Les travailleurs doivent réaliser l’immensité du capital lié au bâtiment. Il y a des prêts en cours. Il faut construire un bâtiment puis le remplir en choses coûteuses. Dans la construction, les ouvriers ont une certaine marge de manœuvre.

5) Comment la grève impacte-t-elle le développement des Gafam ?

Le seul projet Big Tech qui est actuellement à l’arrêt est celui de Microsoft qui cherche à faire construire de nouveaux bâtiments. Cette grève s’étend sur seulement 60 à 70 % du temps. En effet, il n’y a pas de piquets la nuit et le chantier reprend. Si tu veux être efficace, tu as besoin de maintenir les piquets 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. On a le potentiel de créer de gros problèmes pour le capital, dont Boeing, l’une des plus importantes compagnies de la planète, qui cherche également à avoir de nouveaux locaux.

6) Un dernier mot pour nos lecteurs ?

C’est important pour les travailleurs de comprendre le rôle qu’ils jouent. Les gens disent habituellement : je ne suis qu’un charpentier, je n’ai aucun pouvoir. Les chefs du syndicat ont attaqué l’estime que les travailleurs ont d’eux-mêmes. Si notre grève réussit, les gens en parleront pendant dix ans. Les enfants demanderont à leurs parents : « qu’as-tu fait pendant la grève ? » Actuellement, beaucoup de travailleurs sont indécis sur le rôle qu’ils veulent jouer. Les charpentiers devraient regarder la ville autour d’eux et réaliser qu’ils ont construit tout cela. Les travailleurs font l’Histoire. Ils méritent d’être fiers. Ils doivent réaliser que cette grève n’est pas seulement à propos d’eux mais qu’elle affecte beaucoup de personnes. Le grand capital te fait te sentir comme pas grand-chose. Tu dois combattre l’aliénation. Peter Mc Guire était le fondateur du syndicat des charpentiers, l’un des fondateurs de l’American Federation of Labor en 1881 [Fédération américaine du travail, syndicat historique] et un socialiste lassalien. Il a participé aux combats pour la journée de huit heures et le 1er mai. Il y a toujours eu beaucoup d’immigrants parmi les charpentiers. Ces derniers ont eu un impact historique important sur les luttes. Ils ont toujours été politiquement très divers. Pour être un bon leader des travailleurs, tu dois expliquer les contradictions en jeu avec le grand capital. C’est ainsi que les travailleurs s’intéresseront au marxisme.


[1Le contrat proposé par l’Association générale des employeurs (AGC) et défendu par la direction du syndicat fixe une augmentation des salaires (incluant l’assurance santé et la retraite) de 9,40 dollars de l’heure en quatre ans alors que les charpentiers en grève mettent en avant 15 dollars de l’heure tout compris en trois ans. D’autres questions sont discutées, comme le paiement des places de parking qui sont aux frais des travailleurs et leur coûtent cher.

[2Catégorie qui désigne des ouvriers du bâtiment très qualifiés.

[3La grève est encore en cours et un délégué du groupe oppositionnel Peter G. Mc Guire a été invité à la table des négociations.

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