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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 124, janvier-février 2019 > Gilets jaunes, la lutte continue

Gilets jaunes, la lutte continue

Extrême droite à la manœuvre

Les Gilets jaunes ne s’en laissent pas conter

Mis en ligne le 5 février 2019 Convergences Politique

Selon les sondages, Marine Le Pen serait « la seule » à profiter électoralement du mouvement des Gilets jaunes, arrivant en tête des prochaines européennes. Il est certain que, si la colère ne débouche pas et que tout reste comme avant, les élections peuvent donner bien des choses et pas que des meilleures. Pour autant, les Gilets jaunes qui se mobilisent depuis plus de deux mois sont bien loin de se tourner vers l’extrême droite.

Selon une enquête sociologique réalisée auprès des groupes Facebook de Gilets jaunes, 60 % d’entre eux ne se reconnaissent tout simplement pas dans les catégories gauche-droite. Et, parmi les autres (donc sur 40 %), seulement 14 % se disent « très à droite », 14 % à droite et 7 % au centre, face à 42 % à gauche et 23 % « très à gauche » [1]. L’argument que le mouvement des Gilets jaunes serait dominé par l’extrême droite, qui a servi de prétexte aux directions syndicales pour rester à l’écart d’un mouvement qui a commencé sans elles, a fait long feu.

L’extrême droite y a vu un terrain favorable… mais glissant

Depuis le début du mouvement, Le Pen tente de faire croire que les Gilets jaunes disent comme elle. Une colère contre les taxes, avec la participation de petits patrons, artisans et commerçants et partie des zones rurales : la droite s’est sentie sur son terrain. Même Wauquiez a enfilé un gilet jaune, avant de se renier, ne voulant pas endosser la « casse ». Pourtant, droite comme extrême droite marchent sur des œufs, car le mouvement est surtout caractérisé par une farouche hostilité à toute tentative de récupération. Au point que les consignes données par le RN à ses militants étaient de garder leur étiquette dans la poche.

Lorsque la mobilisation s’est poursuivie après le 17 novembre et que tout a été mis sur la table – la vie chère, les salaires trop bas, le chômage, les loyers, etc. –, les revendications acceptables par la démagogie d’extrême droite ont largement été débordées par des revendications de classe. En bonne candidate à la gestion des affaires du patronat, Marine Le Pen a d’ailleurs dû rappeler qu’elle s’oppose à la hausse du Smic, devenue l’une des principales revendications du mouvement, tout en continuant à prétendre soutenir les Gilets jaunes. Faisant mine de s’inquiéter quand même des salaires, elle propose de baisser les « charges sociales salariées ». Encore une entourloupe pour qu’on ait l’impression que les salaires augmentent sans que cela coûte un radis aux patrons en prenant sur les services publics et les prestations sociales. Les Gilets jaunes ne se sont pas fait prendre avec la prime d’activité de Macron, ils sauront sans doute voir l’arnaque d’une Le Pen.

Intox sur le pacte de Marrakech pour tenter de faire oublier les bas salaires

Pour sauver la mise aux patrons, le mieux restait de détourner le regard des travailleurs par une bonne vieille démagogie xénophobe. D’où l’enfumage autour du « pacte de Marrakech » sur les migrations [2]. Macron ne s’en prive pas non plus, mettant les quotas d’immigration sur la table de son « grand débat »… mais pas les salaires. En décembre, à Lyon, une petite bande d’extrême droite s’est placée en tête de manifestation avec une banderole « Marrakech, c’est non ! », histoire de faire croire à une revendication partagée par toute la manifestation. L’un des porte-parole autoproclamés des Gilets jaunes, Maxime Nicolle alias Fly Rider, a lui affirmé dans une vidéo qu’il serait question d’accueillir 480 millions de réfugiés en Europe. Cela ferait un tiers de l’Afrique… en matière de complots, plus c’est gros, mieux ça passe ?

Cette tentative minable de détourner le mouvement de ses revendications sociales n’a cependant pas pris. De nombreux Gilets jaunes ont exprimé leur soutien aux migrants, notamment, entre autres, après qu’un groupe à Flixecourt dans la Somme eut livré aux gendarmes des migrants cachés dans un camion. D’où la nouvelle tentative avec l’accord d’Aix-la-Chapelle [3], qui « vendrait la France à l’Allemagne » (terrain nationaliste sur lequel Mélenchon rejoint la démagogie de l’extrême droite). Objectif : tout sauf parler des salaires ! Et si l’extrême droite reprend elle aussi à son compte le référendum d’initiative citoyenne (RIC) c’est que cette idée surfe sur l’écœurement face aux institutions… en avançant une solution institutionnelle qui remettrait à plus tard les revendications sans poser la question des rapports de classe ni du pouvoir patronal.

L’extrême droite avance ses mots d’ordre, sans pour autant parvenir à récupérer le mouvement. À l’heure où nous écrivons, c’est même un pas dans l’autre sens qui pourrait avoir lieu, vu l’enthousiasme d’une bonne part des Gilets jaunes (y compris d’Eric Drouet !) pour l’appel à la grève appelée par la CGT le 5 février. Un succès de la grève serait encore la meilleure réponse contre l’extrême droite.

Reste une certaine confusion politique

Si, dans leur ensemble, les Gilets jaunes ne se laissent pas avoir par l’extrême droite, il existe malgré tout une certaine confusion politique, qui permet à cette extrême droite d’être acceptée sous prétexte d’éviter les divisions. Cette confusion n’est pas propre aux Gilets jaunes. Les idées complotistes ont gagné du terrain dans les milieux populaires, poussées par l’extrême droite. Même du côté de ceux qui se sont mobilisés dans le monde depuis dix ans, des révolutions arabes aux Nuits debout en passant par les Indignés, la révolte ne s’exprime pas directement en termes de classes. On oppose les riches aux pauvres et pas les exploiteurs aux exploités, on demande une démocratie réelle sans mettre en cause le capitalisme dans son ensemble.

Mais comment s’étonner d’une telle confusion, du brouillage des frontières de classe, quand les organisations issues du mouvement ouvrier ont elles-mêmes obscurci voire franchi cette frontière de classe ? Quand l’expérience de la gauche au pouvoir n’est qu’écœurement ? De Guy Mollet intensifiant la sale guerre d’Algérie, à Mitterrand imposant le gel des salaires et des milliers de suppressions d’emplois, notamment dans la sidérurgie ; de Jospin et ses 35 heures sauce flexibilité et sa série record de privatisations (avec un ministre des Transports « communiste », Gayssot, privatisant Air France et préparant l’ouverture à la concurrence du ferroviaire) à Hollande et sa loi Travail facilitant les licenciements : les travailleurs en ont soupé de la « gauche » ! Les étiquettes gauche-droite ne parlent plus, parce que gauche et droite mènent la même politique au service du patronat.

Quant aux directions syndicales, elles n’en ont que pour le « dialogue social » et se précipitent à la moindre invitation d’un Macron ou d’un patron, pleurnichant ensuite de leur mépris pour les « corps intermédiaires ». Quelle honte d’avoir pondu un communiqué commun, signé par la CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA et FSU, le 6 décembre, pour dénoncer les « violences dans l’expression des revendications » (sans même un mot sur les violences policières) et se réjouir (bien trop vite) de l’ouverture des « portes du dialogue ». Alors que, si les Gilets jaunes ont obligé Macron à reculer, c’est justement par leur ténacité dans la rue et la menace que la colère s’étende. Les Gilets jaunes ne font pas confiance aux directions syndicales (tout en acceptant les militants de base, voire en acclamant ceux qui viennent en gilet jaune plutôt qu’en donneurs de leçons), mais ce n’est pas que pour de mauvaises raisons.

La lutte est le meilleur apprentissage des rapports de classe

Les Gilets jaunes brandissent des drapeaux tricolores et entonnent la Marseillaise. Mais pour certains d’entre eux, la Marseillaise est un chant révolutionnaire, un chant de lutte contre les privilèges et souvent le seul qu’ils connaissent. Pour d’autres peut-être seulement le chant des stades, comme « on va gagner » avec, certes, une pointe mal placée de nationalisme. C’est une manière (maladroite et certes étrangère aux critères marxistes de la « lutte de classe » !) de se revendiquer du « peuple » contre l’élite, et n’est en rien une marque de l’extrême droite. D’autant que Mélenchon, et le PCF avant lui, en ont aussi fait abondamment usage. La référence des Gilets jaunes, confusément, c’est la Révolution française de 1789 plutôt que le mouvement ouvrier. Des traditions prolétariennes et internationalistes ont été oubliées, comme la référence à la révolution russe de 1917. Le rôle des révolutionnaires n’est pas de déplorer le manque de conscience de classe, mais d’aider les travailleurs à la développer en tirant les leçons de leurs expériences. Or, les Gilets jaunes ont déjà fait des expériences. Ils étaient nombreux à scander « la police avec nous » au début du mouvement : après deux mois de violences policières, le rôle de la police a été plus durement ressenti ! Et mieux compris. En témoigne un policier interrogé par Le Monde en Ardèche : « Au début, on discutait avec eux. Je me souviens d’une femme âgée à qui j’ai parlé pendant près de deux heures un samedi. Je la recroise un mois plus tard, elle ne me reconnaît pas, et elle se met à m’insulter de tous les noms… » [4]. Et des leçons, il y en a d’autres : les Gilets jaunes ne se sont pas laissés avoir par la fausse augmentation du Smic de Macron. Ils ont compris que tant que ce ne sont pas les patrons qui payent, on leur prend dans une poche pour verser dans l’autre. Voilà déjà un début de conscience de classe ! Quant au « Grand débat », le blabla ne passe pas. Les directions syndicales devraient en prendre de la graine.

27 janvier 2019, Maurice Spirz


[1https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/26/qui-sont-vraiment-les-gilets-jaunes-les-resultats-d-une-etude-sociologique_5414831_3232.html

[2Il s’agit en fait d’une simple déclaration de bonnes intentions des membres de l’ONU, sans aucune contrainte juridique, pour mieux coopérer en matière de migrations et faire mine de vouloir éviter des morts sur la route de l’exil, mais sans aucun engagement à accueillir des réfugiés.

[3Cet accord entre Macron et Merkel vise à relancer une construction européenne mal en point en prévoyant une plus grande coopération entre la France et l’Allemagne, notamment en matière de défense et en adoptant une position commune dans les institutions internationales comme l’ONU.

[4https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/26/apres-dix-semaines-de-mobilisation-comment-la-police-analyse-le-mouvement-des-gilets-jaunes_5414794_3224.html

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