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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 74, mars-avril 2011 > Tunisie, Egypte, Lybie, Algérie...

Les Frères musulmans : une organisation réactionnaire... mais très pragmatique

10 mars 2011 Convergences Monde

L’existence des Frères musulmans, une confrérie religieuse fondée en 1928 à Ismaïlia, a longtemps servi de prétexte aux différents États impérialistes pour apporter un soutien sans faille à Anouar el-Sadate puis à son successeur, Hosni Moubarak, présentés comme les meilleurs remparts contre « l’islamisme » des Frères. Et, depuis les attentats de septembre 2001, cet anti-islamisme a confiné à l’hystérie.

À ses débuts, la Confrérie a été un mouvement strictement religieux. Son fondateur, l’instituteur Hassan el-Banna, affirmait que la lutte contre la puissance coloniale britannique ne devait se faire ni par la violence, ni par des revendications politiques mais dans les actes de la vie quotidienne. Rapidement, le mouvement s’étendit à l’ensemble du monde arabe, prenant plus particulièrement racine en Palestine où il devait donner plus tard naissance au Hamas.

En Égypte, dès leur création, les Frères musulmans s’attelèrent à la construction et à la gestion de mosquées, d’hôpitaux, de dispensaires, de centres de rééducation, de soupes populaires, d’écoles puis, beaucoup plus tard, de banques islamiques.

Leur refus de lutter contre l’impérialisme anglais conduisit ce dernier à les utiliser pour faire pièce au Wafd, un parti nationaliste laïc né à la fin de la Première Guerre mondiale et qui, lui, réclamait l’indépendance complète de l’Égypte et le départ des Britanniques. Plus tard, le roi Farouk se servit des Frères comme antidote au Parti communiste égyptien dont l’influence dans les masses populaires avait considérablement augmenté pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Sous Nasser, l’interdiction

Le coup d’État des Officiers Libres, mené par Neguib et Nasser en 1952, renversa la monarchie et instaura un « socialisme » à l’égyptienne. Les militaires qui avaient pris le pouvoir s’affirmaient laïcs et voyaient d’un mauvais œil l’influence des Frères musulmans. Ces derniers furent pourchassés et des milliers de leurs partisans emprisonnés.

À cette époque, les Frères – qui étaient plutôt bien vus par Washington à la recherche d’alliés contre Nasser – allaient se radicaliser sous l’influence de leur nouveau leader, Sayyed Qotb, considéré comme le premier théoricien de l’islamisme révolutionnaire. Emprisonné en 1954, il fut pendu 12 ans plus tard. Il considérait que la violence pouvait être justifiée, notamment pour se défendre. Ce point de vue fut repris largement par la branche palestinienne du mouvement. Malgré les coups que lui porta le régime nassérien, l’organisation survécut en se repliant sur ses réseaux sociaux et caritatifs.

Sous Sadate et Moubarak, la valse-hésitation

Lorsque Sadate succéda à Nasser en 1970, les Frères musulmans étaient toujours interdits mais leurs activités largement tolérées. Lorsque la gauche devint trop remuante, notamment dans les universités lors des grands mouvements de solidarité avec la Seconde Intifada de Palestine en 2000, les Frères musulmans collaborèrent ouvertement avec la police pour matraquer les manifestants, voire dénoncer et livrer les « meneurs » aux autorités. Ils furent progressivement autorisés à se présenter aux élections en tant qu’indépendants (en 2005 leurs députés occupaient 20 % des sièges au Parlement).

Cette collaboration de plus en plus ouverte avec le régime n’alla pas sans heurts. Elle déplut à leurs éléments les plus radicaux qui voulaient prendre les armes. L’engagement public de leurs dirigeants, dès 1978, à renoncer à la violence, amenèrent des groupes à faire dissidence comme le Jihad Islamique d’Ayman Al-Zawahiri (qui deviendra par la suite le bras droit de Ben Laden), ou la Jamaa Islamiya. Le premier assassinera le président Sadate en 1981, le second aura à son actif plusieurs dizaines de morts par attentats entre 1992 et 1995 dont des policiers, des touristes, des passants et le président du Parlement. En outre, une différenciation s’effectua en leur sein entre ceux qui privilégiaient le prosélytisme religieux et ceux prêts à participer à l’action politique.

Une constante : une politique anti-populaire et anti-ouvrière

Interdits ou tolérés, appartenant à l’aile traditionaliste ou moderniste de la Confrérie, les Frères musulmans ont toujours appuyé la politique anti-populaire et anti-ouvrière des régimes en place. Conservateurs sur le plan des mœurs et de la morale, ils sont ouvertement libéraux dans le domaine économique.

Deux exemples parmi d’autres de leur attitude : la contre-réforme agraire de 1992-1997 et les grandes grèves de l’industrie textile en 2008.

Avec le plein appui des Frères musulmans, la contre-réforme agraire voulue par Moubarak a restauré les droits des anciens grands propriétaires fonciers, triplé la taxe foncière, aboli les contrats de location existants et privé un million de familles rurales de leurs terres et de leurs habitations, les contraignant à venir grossir les bidonvilles des grandes villes. Bien mieux, les Frères ont condamné les émeutes sporadiques qui avaient éclaté à cette occasion, notamment dans la région du delta du Nil où des paysans affrontèrent à mains nues l’armée, la police et les milices privées des grands propriétaires.

Même attitude à l’égard des revendications ouvrières. En avril 2008 commençait à Al Mahallah al Koubra, à 120 kilomètres au nord du Caire, une grève de plusieurs dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs de l’industrie textile pour demander de meilleurs salaires mais aussi protester contre la politique de privatisation. Non seulement les Frères musulmans – qui avaient approuvé l’Infitah (la politique d’ouverture aux privatisations) – n’appelèrent pas leurs membres à la joindre mais ils refusèrent de dénoncer la féroce répression policière qui s’ensuivit.

Une organisation de la petite et moyenne bourgeoisie urbaine

Si, grâce à leurs organisations caritatives, les Frères musulmans ont une influence non négligeable parmi les couches les plus pauvres de la population, ils ont toujours recruté l’essentiel de leurs cadres et de leurs dirigeants parmi l’aile religieuse de la classe moyenne. C’est ainsi que, depuis fort longtemps, ils sont actifs et puissants dans des syndicats corporatistes comme ceux des médecins, des pharmaciens, des journalistes, des ingénieurs, des avocats, etc. Mais leur leitmotiv est toujours le même : ils s’opposent aux grèves, aux manifestations de rue et à toute action violente, sont pour le respect de la propriété privée et pour la soumission aux autorités en place. Cependant, ces dernières années, les différenciations entre ceux qui mettent l’accent sur le prosélytisme religieux et les « pragmatiques » prêts à participer à l’action politique se sont accentuées.

Lors des derniers événements en Égypte ils refusèrent, trois jours durant, de rejoindre les jeunes manifestants qui restaient jour et nuit sur la place Tahrir du Caire en demandant le départ de Moubarak. Ce n’est que lorsqu’il devint évident qu’une partie de leurs propres troupes avait passé outre – notamment leurs mouvements de jeunes et de femmes – que, « sans appeler à manifester », comme le soulignait un de leurs porte-parole, Issam Al Aryam, ils laissèrent faire, déchirés cette fois entre ceux qui acceptaient comme suffisantes les premières concession faites par Moubarak et ceux qui voulaient aller jusqu’au bout, c’est-à-dire contraindre le raïs à démissionner

Mais, dès le 25 janvier, leurs dirigeants acceptaient de rejoindre la « Coalition nationale pour le changement », dirigé par Mohamed El-Baradei, et de participer, rasés de près et en costume- cravate, aux pourparlers avec le vice-président Omar Souleiman nommé par Moubarak. On était alors bien loin des « fous de Dieu » barbus, portant djellabas et coiffes blanches, que l’on nous présentait en Occident comme les prototypes des Frères. Et, lorsqu’après le départ de Moubarak les grèves se répandirent comme une traînée de poudre, on vit un de leurs dirigeants, Essam Al-Eriane, apparaître à la télévision nationale pour apporter son soutien au « Conseil suprême des forces armées » qui appelait à reprendre le travail. Tout un programme...

Le 25 février 2011

Léo STERN

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