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Les Fossoyeurs, de Victor Castanet

Fayard, 2022, 400 p., 22,90 €

13 février 2022 Article Culture

Depuis sa parution, fin janvier, le livre d’enquête Les Fossoyeurs a déclenché un petit tsunami : directeur d’Orpea licencié, lancement d’une enquête gouvernementale. Il y a de quoi : au terme d’une enquête de trois ans et demi, le journaliste Victor Castanet nous livre un témoignage révoltant sur la vie dans certaines maisons de retraite du groupe Orpea. Un groupe privé, une multinationale qui gère plus de 1 100 établissements sur 23 pays et 3 continents.

Le livre aurait aussi pu s’appeler Orpea, univers impitoyable.

Impitoyable pour les personnes âgées qui viennent dans des établissements, les Ehpad, parfois très luxueux, toujours très onéreux, et y sont parfois victimes de maltraitance. Cette maltraitance, c’est le nombre de « protections » rationnées qui laissent ces personnes vulnérables dans une hygiène déplorable ; c’est la nourriture chichement mesurée pour des raisons de budget limité (quatre euros par jour en moyenne) ; c’est le personnel surchargé de travail et au statut précaire.

S’appuyant sur de nombreux témoignages, à visage découvert ou non, Victor Castanet décrit le quotidien des résidents dans ces établissements, dans ceux qui font chics derrière les nappes blanches et les fleurs fraîches : « Déjà, il y avait cette odeur de pisse terrible, dès l’entrée. Et je savais que c’était parce qu’ils n’étaient pas changés assez régulièrement » témoigne une ancienne salariée du plus luxueux établissement Orpea, « Les bords de Seine », à Neuilly-sur-Seine, où le prix d’une chambre peut aller jusqu’à 10 000 euros par mois ! Pourtant, une protection revient entre 0,25 et 0,50 euros en moyenne !

Impitoyable aussi pour le personnel, souvent en nombre insuffisant, seulement renforcé parfois par des salariés vacataires ou en intérim. Gare à ceux qui revendiquent : c’est le licenciement assuré. Si une salariée se fait accompagner par la CGT, quelle que soit sa faute, c’est la porte. Par contre, la direction a créé un syndicat maison, « Arc en ciel », dans lequel, pour les délégués, le ciel est toujours beau : déplacements payés, tracts écrits par la direction.

Comme l’explique un ancien directeur : « la maltraitance n’est que la conséquence de tout un système qui est une organisation extrêmement étroite qui permet de gagner le maximum de fric sur chaque structure par tous les moyens possibles. » C’est le résultat de la politique du groupe Orpea dont le fondateur expliquera « qu’il s’occupe du parcage des vieux ». Un groupe où deux indicateurs principaux gèrent la politique : le taux d’occupation (TO) et la marge de l’établissement (NOP, son « profit opérationnel net »).

L’intérêt de cet ouvrage est de mettre en évidence « le système Orpea » qui comme le disait un dirigeant pour lequel : « il faut que cela crache. » Ce système prospère à travers des liens forts avec le monde politique, des personnes très bien placées dans l’administration : rien de tel que des dîners entre amis pour s’entraider ! Le profit c’est aussi siphonner l’argent public, qui sert à financer ces établissements, pour le soin et une partie des frais de personnel ! Ce sont des fournisseurs obligatoires, comme sont obligatoires les rétro-commissions en fin d’année.

Face au scandale, le directeur général a été démis de ses fonctions. Au courant de la publication du livre, il a vendu ses actions au plus haut cours, empochant 590 000 euros. Une goutte d’eau, tout de même, par rapport au fondateur qui a vendu toutes ses actions en janvier 2020 pour 465 millions d’euros ! Et aujourd’hui, l’un des premiers actionnaires d’Orpea n’est autre que la famille Peugeot.

Ce ne sont pas les seuls : parmi les 500 plus grosses fortunes françaises, on trouve une dizaine de patrons d’Ehpad !

Dans le passé, des documentaires en 2008, des articles de journaux, des rapports avaient déjà dénoncé la vie dans certaines maisons de retraite. Il n’en reste pas moins que ce livre est à lire, même si les conclusions de son auteur ne sont pas tout à fait à la hauteur des scandales qu’il dénonce. Selon lui, « il faut remettre en cause l’appareil de l’État, le système de santé français, donner plus de moyens de contrôles aux inspecteurs, aux agents… ». La question ne s’arrête pas là : la santé en général, quel que soit l’âge, jeunes ou vieux, dans la société capitaliste, est avant tout un business dont le moteur est la recherche du profit maximum. Les maisons de retraite privées n’y échappent pas. Mais pour nous, nos vies, jusqu’au bout, valent plus que leurs profits.

Paul Galler

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