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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 74, mars-avril 2011 > Tunisie, Egypte, Lybie, Algérie...

Tunisie, Egypte, Lybie, Algérie...

Leçons d’Algérie : De la révolte d’octobre 1988, au retour de la dictature de l’armée

Mis en ligne le 10 mars 2011 Convergences Monde

La montée du courant islamiste en Algérie après les émeutes d’octobre 1988, qui avaient ébranlé le régime du général Chadli, puis la guerre de presque dix ans entre l’armée et les groupes islamistes servent de prétexte aujourd’hui à ceux qui prêchent le calme ou la patience d’attendre une voie « démocratique pour le changement » aux opprimés d’Algérie, de Tunisie, d’Égypte ou d’ailleurs. C’est au contraire la faillite de tous ces postulants au pouvoir que la population algérienne a payé si cher.

En octobre 1988, l’Algérie connaissait sa plus grande crise sociale depuis l’indépendance. Elle avait commencé par une montée des mouvements de grève dans le pays. Suite à l’effondrement des cours du pétrole en 1985, il était de plus en plus difficile de se nourrir, se loger, se soigner, avoir de l’eau, pendant qu’une minorité de spéculateurs profitaient de la flambée des prix des produits de première nécessité et s’enrichissaient au marché noir.

En septembre 1988, la grève entamée à la SNVI (construction de véhicules industriels) de Rouiba en banlieue d’Alger (10 000 ouvriers), s’étendait à d’autres secteurs de cette zone industrielle et de la capitale ainsi qu’à certaines villes de province. La tentative de la police de bloquer une marche des grévistes vers le centre d’Alger et les échauffourées qui s’en suivirent ont mis le feu aux poudres. Le 5 octobre, à Alger, des jeunes et souvent même des très jeunes sont sortis des quartiers pauvres pour manifester, s’en prendre à tous les symboles du pouvoir et de l’injustice sociale et remettre ainsi en cause la dictature du parti unique issu de la guerre d’indépendance, le FLN. Parmi eux ceux qu’on nomme péjorativement en Algérie les « Tient-le-mur », toute une jeunesse massivement privée d’emplois.

La répression et les urnes

Face à l’ampleur de la colère, le pouvoir fit tirer sur les jeunes : un millier de morts en cinq jours. Mais le régime Chadli était définitivement ébranlé. Pour le rénover ou le remplacer on a tenté de faire croire à la fable de la démocratisation. La naissance du multipartisme devait dévier la colère populaire vers les urnes. Un référendum allait entériner un changement de Constitution, des élections municipales puis législatives suivraient. En mars 1989, l’armée annonçait qu’elle se retirait du jeu politique, sortant du parti au pouvoir, le FLN dont elle était depuis l’indépendance partie intégrante. L’armée se prétendant au service du peuple, au dessus de la mêlée est un scénario qu’on retrouve aujourd’hui.

Les grèves continuent

Mais les grèves ouvrières ont continué de plus belle après la répression des manifestations d’octobre : elles se sont multipliées toute l’année suivante à travers le pays, pour les salaires, les conditions de travail, pour réclamer le départ d’un directeur d’entreprise, ou le renouvellement de la direction de leur syndicat, appartenant à la centrale unique l’UGTA contrôlée par le FLN et souvent de mèche avec la direction de l’entreprise. Et des mouvements aussi pour l’attribution de logements aux familles ouvrières. Les travailleurs profitaient d’un nouveau climat politique pour poser leurs problèmes de conditions de vie et de salaires mais aussi revendiquer leurs droits démocratiques à eux, un certain contrôle de leurs entreprises (la vague de privatisation n’avait pas encore eu lieu) et de leur propre syndicat.

Les partis politiques se créent ou sortent de l’ombre

Les partis politiques se créaient ou, pour les plus anciens, interdits, sortaient de l’ombre : le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie), créé par des responsables du Mouvement culturel berbère de Kabylie, se présentait à l’échelle nationale comme un courant de tendance social-démocrate ; le FFS (Front des forces socialistes) dirigé par Aït Ahmed, l’un des fondateurs du FLN emprisonné puis exilé après l’indépendance, le concurrençait sur le même terrain. Le premier président de l’Algérie indépendante, Ben Bella, évincé par Boumediene en 1965, retournait d’exil avec son propre parti, le PSD (Parti social-démocrate) qui se voulait celui des industriels et hommes d’affaires modernistes Le PAGS, issu du Parti communiste algérien, réclamait sa reconnaissance légale. Il avait jusque-là existé à l’ombre du FLN, tantôt réprimé, tantôt associé à sa politique, tout en ayant gardé des militants d’entreprises qui ont souvent connu les geôles du régime. Les élections municipales, au printemps 1990, allaient être aussi l’occasion pour nombre de notable locaux, nouveaux entrepreneurs, responsables d’administrations ou directeurs d’entreprises d’État de poser leurs candidatures sur des listes démocratiques.

La création d’un Front islamique du salut

À coté d’eux, le 18 février 1989, des imams proclamaient la création d’un Front islamique du salut, le FIS. Mais le succès remporté aux élections municipales de 1990 (850 municipalités sur 1 500, dont la quasi-totalité des grandes villes) puis au premier tour de l’élection législative de 1991 par ce parti, animé par une fraction de la petite bourgeoisie déclassée et ayant trouvé une masse de manœuvre parmi les jeunes déshérités, n’était pas couru d’avance. Au contraire. Il a surtout été dû à un vote de protestation.

Les partis de gauche appellent les travailleurs au calme et à la modération

Mais les travailleurs, qui continuaient à se mobiliser face aux difficultés de la vie quotidienne, n’ont pu trouver aucun soutien à leurs luttes du côté des nouveaux partis, dont beaucoup faisaient ronronner les mots socialistes ou social-démocrate dans leurs noms. Pas même de la part des dirigeants du PAGS qui ne cessaient d’appeler au calme et à la modération. Dans ces conditions, les islamistes n’ont pas eu de mal à apparaître comme les seuls opposants au pouvoir en place. Leurs faux-semblants radicaux avaient séduit une partie de la population dont les conditions de vie s’étaient encore dégradées sous les coups de la politique d’austérité menée par le pouvoir. Le FIS mêlait aides sociales (soupes populaires, aide aux victimes du tremblement de terre de Tipaza en octobre 1989, faisant ressortir l’incurie du pouvoir en place) et obscurantisme religieux (agression envers les femmes refusant de porter le foulard islamique, manifestations contre la mixité). Sa tentative de s’implanter dans la classe ouvrière, avec la création d’un syndicat islamiste, eut moins de succès.

L’armée revient sur le devant de la scène

Quoi d’étonnant qu’au premier tour des élections législatives, en décembre 1991, il y ait eu un fort taux d’abstention (41 % des inscrits). Mais le FIS y recueillait 3,2 millions de voix, soit 48 % des suffrages exprimés. Le deuxième tour n’eut jamais lieu. Cette même armée qui s’était mise en réserve, revenait sur le devant de la scène en annulant l’élection. La guerre avec les groupes islamistes commençait. À l’ombre de laquelle, de surcroît, ont pu être menées les réformes économiques tant demandées par la bourgeoisie nationale algérienne que par les conseillers du FMI : privatisation massive des entreprises, restructurations avec licenciements massifs.

Lydie GRIMAL

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