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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 67, janvier-février 2010 > DOSSIER : SNCF : du monopole d’État au trust multinational

DOSSIER : SNCF : du monopole d’État au trust multinational

Le train cadencé des restructurations

Mis en ligne le 16 février 2010 Convergences Entreprises

Depuis quelques années de profondes restructurations sont en cours à la SNCF. Peu informés, les cheminots sont ballotés d’un service à l’autre, leurs directions valsent, ils changent d’uniformes. Derrière ces gesticulations apparemment chaotiques se cache un plan plus ou moins global.

De la création de RFF...

En 1997, le gouvernement crée Réseau Ferré de France (RFF), qui devient propriétaire du réseau de chemins de fer. Comme en Allemagne et en Angleterre, l’infrastructure (c’est-à-dire le réseau) est séparée de l’exploitation (le service de transport) pour permettre l’arrivée de la concurrence. Ces deux tâches étant par nature intégrées, c’est une bizarrerie européenne que les Américains et les Japonais – qui ont privatisé leurs chemins de fer par secteurs géographiques – regardent, paraît-il, avec amusement.

Le marché des grandes lignes de voyageurs ou de marchandises s’avérant lucratif, certains trusts convoitent une part du gâteau, sans pour autant s’acquitter de la gestion et de l’entretien du réseau, par nature non rentable, dont une partie des coûts reviennent in fine au contribuable.

… à la gestion par activité (GPA)

Cette première séparation n’étant pas suffisante, la direction met en place depuis 2002 la gestion par activité (GPA) : un découpage de l’entreprise non sur la base géographique des « Établissements », mais en fonction des « métiers » (voies, matériel, aiguillages…). Objectif annoncé : chaque entité devra être rentable en elle-même. Ce qui apparaît aux cheminots comme une succession ininterrompue de restructurations à l’échelle locale n’est que la déclinaison de ce plan.

Aujourd’hui l’entreprise est découpée en six grandes branches, aux appellations ésotériques [1], selon un organigramme pour le moins fluctuant. Un casse tête de technocrate, pour faire entrer chacune des activités dans le nouveau découpage.

Pour tous les cheminots, les conséquences de la GPA se font déjà sentir. Le travail est plus monotone, puisque chacun est cantonné à un secteur précis. Chaque restructuration est prétexte à des suppressions d’emplois. Et les chefs y trouvent un excellent moyen de pression, eux qui chiffrent maintenant la productivité par service au moyen de calculs forcément bidonnés. Objectif : transformer des camarades ou collègues, si ce n’est en concurrents, du moins en étrangers d’une autre branche !

Cette GPA a aussi des conséquences pour les usagers. Elle entérine l’abandon de la tarification des billets au km, en vigueur jusqu’en 1993. Comme le prix de revient pour la SNCF varie en fonction des lignes (un voyage sur un tronçon très peu emprunté coûte plus cher à la compagnie qu’un trajet classique), ce tarif unique était une péréquation entre les différentes activités de la SNCF. Les axes rentables finançaient naturellement les moins rentables, mais tout aussi utiles à une partie de la population. Désormais, les billets sont vendus à un « prix de marché » : leur tarif varie en fonction de la liaison choisie et de la fréquentation du train sur le créneau réservé. L’argent récolté par la vente de billets TGV va au TGV, celui des TER au TER. Les réseaux régionaux, moins rentables, ont souffert d’une baisse drastique d’investissements. Et les prix des billets TGV ont énormément augmenté par rapport aux tarifs pratiqués sur les vieux Corail, visant une clientèle de cadres et hommes d’affaires…

Rien n’interdit qu’à terme, tel secteur parmi les plus rentables n’aille tout droit vers la filialisation. Ou au contraire, que la SNCF en profite pour se débarrasser de la gestion de secteurs déficitaires. Une vraie « vente à la découpe », comme les HLM.

Vers l’ouverture à la concurrence entre groupes capitalistes...

En finir avec les monopoles nationaux ferroviaires, puisque c’est l’un des objectifs que les bourgeoisies européennes ont fixés à leurs gouvernements depuis vingt ans, n’est pas une tâche aisée. Il s’agit d’organiser la concurrence sur un même réseau entre plusieurs entreprises. Pour faire rouler un train, un capitaliste doit acquérir des machines, le moyen de les entretenir, la capacité de former des personnels à un métier où la sécurité est cruciale, réserver des sillons à RFF et des emplacements en gare. Autant d’investissements lourds, qui ne sont pas à la portée du premier venu. Comme le souligne l’auteur de La Fracture ferroviaire : « L’ouverture à la concurrence sera surtout l’ouverture aux monopoles  » [2]

Au 1er janvier 2010, le transport international de voyageurs a été ouvert à la concurrence. Un joli flop en France puisque la seule compagnie non SNCF qui a réservé des sillons à RFF a été Trenitalia pour un aller-retour quotidien entre Paris et Milan. Le transport ferroviaire européen de voyageurs reste marginalisé par l’avion, faute de véritables liaisons grande vitesse internationales. Les premières de ce type, Eurostar pour le Paris-Londres (d’ailleurs en cours de privatisation) et Thalys pour le Paris-Bruxelles connaissent précisément le succès et ont pris de larges parts de marché à l’avion.

La concurrence va-t-elle malgré tout se développer dans le ferroviaire ? C’est le souhait des gouvernements européens, des géants du transport comme Véolia, mais aussi des anciennes compagnies nationales comme la SNCF et la DB. Leur calcul est simple : au lieu de gérer l’ensemble du rail dans un même pays, pourquoi ne pas se concentrer sur les trafics les plus rentables à l’échelle européenne ? Les marchés perdus dans les pays d’origine seraient plus que compensés par ceux gagnés à l’international. La SNCF a récemment négocié un contrat avec NTV, concurrente de Trenitalia, pour une ligne grande vitesse entre Rome et Naples. On en est encore à un genre de guerre de position, surtout entre la SNCF et la DB, chacune prenant ses marques pour l’ouverture complète du marché européen.

À l’autre bout, le trafic régional, longtemps délaissé, connaît une augmentation notable depuis 2001 et la régionalisation. Contrairement aux grandes lignes et au fret qui doivent être « rentabilisés » par la SNCF [3], il est financé par les régions, comme les transports en commun de la plupart des grandes villes de Province sont financés par les agglomérations. Les gros sous ne vont d’ailleurs pas qu’à la SNCF : huit régions ont commandé des rames TER à Alsthom pour la modique somme de quinze milliards d’euros sur les quinze prochaines années [4] ! Grâce à ces transfusions massives, le transport ferroviaire local pourrait devenir une activité rentable. Des grands groupes comme Véolia mais aussi la DB ont déjà fait connaître leur intérêt aux gouvernants, qui devraient leur donner satisfaction cette année.

Des grandes lignes européennes aux dessertes locales, la concurrence n’en est certainement qu’à des débuts. Une concurrence à la sauce capitaliste bien sûr, qui ne favorisera que les grands groupes, dont les profits seront assurés par les subventions des États.

Raphaël PRESTON


Création des EIC et suppressions d’emplois

Déposséder la SNCF de son réseau fut un premier pas pour introduire plusieurs entreprises sur les mêmes rails. Si la SNCF comme ses futurs concurrents doit réserver un sillon [5] à RFF pour faire rouler un train, ce sont ses horairistes qui calculent la disponibilité des voies, ses aiguilleurs qui orientent les trains et son personnel de départ et d’accueil qui s’occupe des arrivées et départs dans les gares. Mais il ne plaît guère à de nouveaux entrants d’être ainsi dépendants de leur principal concurrent.

Aussi la SNCF a-t-elle créé une « Direction des trafics et circulations » au 1er janvier 2010, transférant à cette nouvelle structure les 14 400 aiguilleurs et horairistes. Son président n’est pas nommé par le conseil d’administration de la SNCF mais directement par le gouvernement. Et sa direction traite en direct avec RFF. D’ici quelques années, l’objectif est de rassembler ces agents dans 21 grands « Établissements Infra Circulation » seulement (EIC). A la clé, la suppression d’un poste sur deux !

Même principe, encore à l’état de projet, avec « Gares et connexions » : les salariés des gares (mais lesquels ?) seront rattachés à cette nouvelle entité de plus en plus indépendante de la maison mère. Comme toutes les restructurations, celles-ci s’accompagnent de suppressions d’emplois, de mutations forcées, de changement de métier…

R.P.


Microsillons et disques rayés

  • Chaque « activité » (Téoz, TGV, Transilien, Intercités) doit maintenant payer ses sillons et l’entretien de ses trains. Lorsqu’il faut faire une manœuvre nécessaire pour l’ensemble mais qui ne présente aucun intérêt pour une activité en particulier, les conducteurs ont de plus en plus de mal à obtenir la locomotive : aucune branche n’accepte de la fournir, car elle sera facturée...
  • Les « activités » ont intérêt à supprimer des trains, car cela n’entraîne pas de facturation, contrairement à un retard pour lequel elles doivent s’acquitter d’une amende.
  • Lorsqu’un train de voyageurs est en retard sur son sillon, il peut être arrêté en pleine voie pour laisser passer un train Fret affrété par une société privée. RFF ne veut pas être accusé de favoriser la SNCF, c’en est donc fini de la priorité aux voyageurs.
  • Les réserves des conducteurs (pour remplacer les absents au pied levé) sont maintenant facturées par une activité désignée (Intercités ou Transilien par exemple). Il manque un conducteur pour un corail et la réserve est payée par Transilien ? Le train ne partira pas. Et la direction veut généraliser ce système à tous les conducteurs !
  • A la gare Saint-Lazare, les agents sonoristes en charge d’annoncer aux voyageurs les retards sur les trains de banlieue travaillaient jusque-là dans les postes d’aiguillage. Pratique puisque les conducteurs signalent le moindre problème aux aiguilleurs. Mais GPA oblige, l’agent rattaché à la branche « proximités » ne peut pas rester dans des locaux appartenant à « trafic et circulation ». Retour en Gare donc, dans un bureau isolé. Et avant d’être informés, les usagers devront attendre que le conducteur passe le message à l’aiguilleur, qui transmet au Centre opérationnel Transilien, qui transmet au sonoriste...
  • Finis les guichets uniques pour les ventes de billet. La SNCF met en place progressivement des guichets séparés pour le TER et les Grandes lignes. Avec une idée en tête, d’ores et déjà expérimentée à Dijon : céder les ventes régionales à Effia, filiale de la SNCF qui n’embauche pas au statut cheminot...

R.P.


[1Géodis (transport de marchandises et de la logistique). Voyages (transport de voyageurs grandes lignes et international). Proximités (TER en région, Transiliens en Ile-de-France et Intercités -anciennement Corail). Infra (entretien des voies pour le compte de RFF). Trafic et circulations (aiguilleurs et horairistes). Gares et connexions (gestion et accueil dans les gares).

[2La fracture ferroviaire, Vincent Doumayrou, les éditions de l’Atelier - 2004.

[3Ce qui n’empêche pas l’État de prendre en charge, via RFF, la dette liée au TGV et de verser des subventions au fret. Cette partie prétendument « commerciale » de la SNCF fonctionne comme tous les grands groupes privés, à coups de subventions.

[4Une somme qui représente un huitième de leur budget sur cette période !

[5C’est-à-dire l’usage d’une voie à un moment donné

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