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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 93, avril-mai 2014

Le recours à la sous-traitance dans le secteur social associatif

Mis en ligne le 22 avril 2014 Convergences Société

L’ensemble du secteur associatif est en crise. Entre 2010 et 2012, il y a eu, selon l’ancienne ministre des Sports et des associations, Valérie Fourneyron, 11 000 suppressions d’emplois. Se basant sur les réductions de budgets annoncées, le Collectif pour les associations citoyennes annonce entre 30 000 et 40 000 suppressions d’emploi dans le secteur. Avec tout ce que cela implique comme difficultés pour les salariés.

Sonia, étudiante en formation d’assistante sociale, a effectué des stages et divers travaux pour des associations. Elle réside également dans un foyer de jeunes travailleurs. Elle nous raconte le quotidien de ce secteur en proie à la crise.

Une réduction massive des financements

« Quand on parle d’associations, on a un peu tous en tête le bénévolat. En fait, l’ensemble du secteur associatif compte 1,8 million de salariés repartis dans des domaines variés tels que le spectacle, le sport, le social ou l’humanitaire, soit près de 10 % de l’emploi salarié du pays. Dans le secteur du travail social (action sociale, formation, insertion, santé, éducation, etc. : environ un quart de l’ensemble), les associations, malgré leur statut, fonctionnent comme des entreprises. Le côté bénévole est peu présent actuellement, malgré une tendance à vouloir nous remplacer par des bénévoles pas formés et pas payés. Mais, pour l’instant, là comme ailleurs, ceux qui font tourner la boîte, ce sont surtout des salariés.

Dans la galaxie des associations, il y a les très grandes, les moyennes et les toutes petites… Cela va de la TPE des assoces (d’un ou deux salariés), à la PME jusqu’à la grosse entreprise ayant absorbé les autres, bien subventionnée avec des salaires au rabais pour les salariés.

Ce secteur connaît une réduction massive de ses financements. Selon la CGT, dans le secteur de ce qu’on appelle la prévention spécialisée (il s’agit de l’accompagnement judiciaire de la protection de l’enfance), il y a eu un processus de fusions associatives qui a entrainé un passage de 30 000 budgets à 3 000. Soit dix fois moins de budgets pour dix fois moins d’associations. Mais pas des budgets dix fois plus gros !

Une explosion des inégalités territoriales

« Depuis plusieurs années, l’État central se décharge des missions du secteur social et les confie aux collectivités territoriales (en particulier le Conseil général), sous prétexte de faire de l’action sociale de proximité. La conséquence, c’est que la qualité du service social n’est pas du tout la même suivant la couleur politique, l’histoire et les moyens du département. Par exemple, sur le RSA, le Val d’Oise à une politique hyper répressive (avec contrôles très réguliers des bénéficiaires) alors que le Val de Marne beaucoup moins.

Surtout, l’action sociale coûte de plus en plus cher aux départements : entre 1985 et 2010, les dépenses d’action sociale des départements ont quasiment ont été multipliées par cinq. Les budgets n’ont pas été augmentés et actuellement certains départements n’ont plus de moyens pour le social, voire sont au bord de la faillite. D’où, dans ce domaine comme dans d’autres, une explosion des inégalités territoriales. 

L’art de faire jouer la concurrence

« Pour faire baisser les coûts, de plus en plus de dispositifs sont sous-traités à des associations. Cela revient moins cher et l’on peut plus facilement rompre le contrat. On aboutit aux mêmes conséquences en termes de salaire, de conditions de travail et de qualité qu’avec la sous-traitance dans le secteur industriel.

Avant, les associations proposaient des projets aux collectivités, qui finançaient ou pas. Aujourd’hui, ce sont les collectivités qui définissent des actions et les associations les exécutent. Elles sont réduites à un rôle de prestataire de service. Cela pose un double problème : les projets imposés d’en haut dépendent de la politique étatique, centrale ou régionale, voire européenne, pas forcément adaptés à la situation, et souvent très éloignés des objectifs des militants associatifs de terrain. Ensuite, économies obligent, pour répondre aux devis, les associations rognent sur les coûts et sont en situation d’entrer en concurrence entre elles. Ce qui les conduit à offrir des « prestations » au plus bas coût, sur des domaines pourtant extrêmement sensibles (accompagnement de bénéficiaires du RSA, de demandeurs d’asile, d’enfants en danger, etc.).

Par exemple, nous avons eu une réunion avec le Conseil général pour le renouvellement d’un an du contrat sur l’accompagnement au RSA. La responsable du Conseil général nous a clairement dit qu’il fallait qu’on accepte plus de monde sinon elle donnerait notre contrat à une autre association « plus rentable ». Ce qui fait qu’on accompagne de plus en plus de monde mais avec le même effectif, donc moins de suivi. 

Des assistantes sociales au rabais

« Ce fonctionnement coûte moins cher au Conseil général que d’embaucher directement des assistantes sociales ou des psys. Les assistantes sociales du Conseil général sont mieux payées que celles des associations et, surtout, elles sont titulaires et donc plus difficiles à virer que dans les associations où il suffit juste de ne pas renouveler le contrat. Par exemple, entre deux assistantes sociales en début de poste, il y a plus de 200 euros de différence et un statut différent puisque certaines associations embauchent des assistantes sociales sous le statut Assistante sociale éducative (moins bien reconnu et beaucoup moins bien payé).

C’est aussi un moyen de casser le service public : en externalisant les services sociaux.

La principale activité : recherche de financements et dossiers justificatifs à remplir

« La recherche de financement prend une part très importante dans les équipes. Pour donner une idée, avec ma maître de stage, on faisait au mieux 3 à 4 heures d’accompagnement par jour et le reste c’était pour les dossiers du Conseil général et du Fonds social européen. On n’avait aucune marge d’initiative parce qu’il fallait toujours recevoir plus de monde et justifier de tout. Nous voulions monter des projets collectifs, mais ce n’est plus possible.

En plus, la pression est énorme parce que c’est directement le salaire qui est impacté. Par exemple, notre directeur s’était fait hospitaliser après un burn out (épuisement professionnel) et continuait de bosser depuis l’hôpital sur les dossiers de subventions qu’il fallait absolument remplir. Il devait le faire, disait-il, faute de quoi il ne serait pas payé et ses collègues non plus. Le plus révélateur était que les collègues expliquaient qu’il fallait qu’il continue car on avait besoin de lui.

Projets imposés, « cibles » introuvables

« Cette course au projet et aux financements fait que l’on s’éloigne vraiment du travail de proximité qui correspond aux réalités du terrain et des réels besoins des personnes. Les projets imposés d’en haut obéissent aux modes du moment.

Par exemple, une collègue a été embauchée en stage dans une association qui a reçu des fonds de l’Europe pour monter un atelier sur « comment bien manger » pour des femmes immigrées africaines de plus de 60 ans avec titre de séjour sur un territoire précis. Elle a essayé de monter une action avec ces femmes, sauf que toutes les femmes rencontrées avaient entre 30 et 60 ans et que les femmes ciblées par l’action… n’existaient pas. Elle a donc demandé de réajuster le projet. On lui a répondu non, sous peine de devoir rembourser les sous.

Dans le foyer où je suis, il n’y a plus ou très peu d’actions conviviales entre jeunes, mais que des actions définies par des financements. Du coup, pour obtenir des financements on a eu droit à des soirées pour nous apprendre à nous brosser les dents ou la façon de mettre un préservatif (à noter que nous avons quitté la seconde de lycée depuis cinq ou six ans !).

Ensuite, il y a beaucoup d’associations qui meurent. Soit elles se font absorber par les plus grosses, soient elles coulent. On assiste à une concentration du secteur associatif.

Les dispositifs avec lesquels on travaille se complexifient. Les usagers sont de plus en plus traînés de services en services sans obtenir de réponse. Cela entraîne du mécontentement et de la violence de leur part (et après, on nous met des vigiles dans les services sociaux). Les professionnels sont noyés dans cette masse de dispositifs et de partenaires dont chacun a ses spécificités. Chaque secteur/ville a son

fonctionnement propre ce qui fait que les professionnels ne s’y retrouvent plus.

Comment réagir ?

« C’est un secteur qui est compliqué à mobiliser pour deux raisons. La première c’est que les travailleurs sociaux ont du mal à se battre pour leur propre augmentation de salaires sachant qu’ils n’arrivent pas à fournir des conditions décentes pour les personnes qu’ils accompagnent, plus mal loties qu’eux-mêmes. La deuxième raison c’est la mise en concurrence entre les associations. Avec les fusions et les appels à projets, c’est une vraie lutte acharnée pour la survie. Il n’y a presque plus de communication entre les associations. Il y a eu quand même quelques mouvements dans les grosses associations qui sont sans doute moins en danger et donc plus facilement mobilisables. Mais bon cela reste épisodique.

Cela dit, il y a eu des mobilisations des usagers des associations qui ont fait bouger les choses, notamment dans les foyers de travailleurs. Pourquoi pas un mouvement d’ensemble qui entraînerait professionnels et usagers ? »■

Propos recueillis par Paul GALLER


À lire

  • L’article du Monde diplomatique d’avril 2014 : « Juste cause et bas salaires », de Fanny Darbus et Matthieu Hély, sur les mouvements du secteur associatif et la création de syndicats.

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