Le mouvement Fridays for future en Allemagne
Mis en ligne le 17 septembre 2019 Convergences Monde
Le mouvement « Fridays for Future » (FFF) en Allemagne s’installe dans la durée. [1] C’est tous les vendredis que des lycéens – mais pas exclusivement, il s’y trouve aussi des collégiens et des adultes – se mobilisent dans des dizaines de villes plus ou moins grandes à travers le pays, pour réclamer des mesures résolues contre le réchauffement climatique. Les manifestations ne sont pas massives tous les vendredis, parfois les lycéens réfléchissent aux cours qu’ils choisissent de manquer pour cette « grève de l’école ». La répression de l’administration – très variable selon les établissements – continue, même si les manifestants ont plutôt bonne presse et que la tentative d’infliger une amende de 88,50 € à quatre d’entre eux à Mannheim a avorté suite à l’indignation publique.
Mais il y a régulièrement des points forts de la mobilisation (le 25 janvier, le 15 mars, le 24 mai avant les élections européennes). La dernière en date, juste avant la période des vacances, a rassemblé le 21 juin dernier 40 000 personnes dans une manif nationale (voire internationale avec des délégations d’autres pays, notamment de Belgique) à Aix-la-Chapelle. Mauvaise nouvelle pour les politiciens qui comptaient sur l’effet vacances, une certaine mobilisation s’est maintenue pendant l’été. Le 20 septembre est la prochaine grande échéance.
Les manifestants sont vraiment jeunes, avec une forte participation de jeunes femmes. L’humour et la créativité sont omniprésents : on y réserve des « vols intérieurs » aux insectes, on veut rendre la Terre « Greta again » en allusion à la jeune Greta Thunberg qui a lancé le mouvement en Suède et dans laquelle se sont reconnus des centaines de milliers de jeunes dans le monde. Le slogan qui revient le plus est « Il n’y a pas de planète B ». Et beaucoup de dessins de la Terre étouffée par le CO2… ou par les gros trusts de l’énergie. À Düsseldorf, les manifestants dénoncent particulièrement RWE, un des quatre groupes privés qui se partagent le marché de l’électricité en Allemagne, parce qu’il fait raser les villages et la forêt de Hambach pour des mines de lignite à ciel ouvert.
Que veut ce mouvement, quelles revendications sont mises en avant ?
Le mouvement a commencé avec le slogan « Nous faisons grève jusqu’à ce que vous agissiez », appel adressé aux politiciens sommés de mettre en œuvre les mesures définies à la COP 21 pour restreindre le réchauffement climatique à 1,5 °C. Début avril, après les premiers succès de mobilisation, une plateforme de six revendications a été publiée : la sortie du charbon d’ici 2030 (le gouvernement prévoit 2038) ; 100 % d’énergies renouvelables et zéro émissions nettes de CO2 d’ici 2035 ; et immédiatement : la fin des subventions des énergies fossiles ; la fermeture d’un quart des centrales thermiques au charbon ; une taxe carbone de 180 € par tonne.
Qui a décidé ces revendications ? Le mouvement a été construit via les réseaux sociaux par un appel à volontaires. Les initiateurs viennent de Berlin et sont très liés à différentes ONG écologistes (Greenpeace et autres) qui elles-mêmes ont beaucoup de relations plus ou moins directes avec le parti Vert. Ainsi Luisa Neubauer, la porte-parole la plus en vue du mouvement en est elle-même membre.
Les volontaires qui ont pris le relais localement participent à une conférence téléphonique hebdomadaire qui sert à relayer les consignes venues d’en haut. Ils sont baptisés « délégués » de leur localité, même s’il est rare qu’ils soient élus. Dans ce contexte d’un mouvement qui existe bel et bien mais qui manque de structures vraiment représentatives des jeunes en lutte, les revendications ne sont pas le fruit de discussions à la base mais ont été rédigées par un « groupe de travail » conseillé par les « experts » des ONG. La plateforme, à prendre ou à laisser, a ensuite recueilli par internet l’approbation de 80 % des groupes locaux de FFF.
Tandis que les premiers points de cette plateforme forment un programme ambitieux de réduction de gaz à effet de serre sans indiquer quelles mesures seraient nécessaires pour y parvenir, c’est la dernière revendication, la taxe carbone, qui a le plus de chances d’aboutir !
Les manifestations des jeunes ont mis la discussion sur le réchauffement climatique au premier plan. Le parti Vert en a profité, dans les élections européennes par exemple où il a plus que doublé ses voix, mais aussi dans tous les sondages où il concurrence maintenant la CDU de Merkel à égalité, tandis que la social-démocratie dégringole. Du coup tous les partis commencent à parler de mesures contre le réchauffement climatique… et tous tombent d’accord sur l’idée de faire payer les émissions de CO2. Pour l’instant ils se disputent pour savoir par quel moyen : une nouvelle taxe ou un élargissement du marché des droits à polluer ? Même les syndicats patronaux et leurs « think tanks » sont d’accord avec ce principe qui existe déjà depuis des années dans certains secteurs et, à défaut d’avoir un impact sur les émissions, s’est avéré tout à fait inoffensif pour leurs bénéfices – voire lucratif pour les spéculateurs les plus avertis.
La classe ouvrière dans tout ça ?
De nombreux travailleurs s’inquiètent des questions écologiques et du réchauffement climatique. Mais pour l’instant, la classe ouvrière est plutôt absente des mobilisations – d’autant que personne ne lui propose d’en être. L’année dernière le syndicat de branche des mines et de l’énergie IG BCE a même organisé des manifestations pour réclamer le maintien du charbon en désignant comme des adversaires les écologistes mobilisés pour la forêt de Hambach.
La lutte contre les licenciements, que beaucoup d’écologistes ignorent par mépris social, n’est pas négociable. Mais au prétexte de défendre l’emploi, les syndicats défendent en réalité le droit des patrons à saccager l’environnement et passent sous silence les impacts sur la santé des salariés eux-mêmes et des populations voisines. Les directions syndicales ne défendent pas les intérêts des travailleurs contre le patronat, mais les intérêts de « leur » branche industrielle, « leur » site de production, voire la compétitivité de « leur » boîte…
Le grand danger de voir s’installer la fausse opposition entre « écologie » et « emplois » a été confirmé par les récentes élections régionales en Saxe et en Brandebourg le 1er septembre. Le parti climatosceptique d’extrême droite AfD a eu ses meilleurs résultats dans le Lausitz (dépassant 40 % à certains endroits), une région à cheval sur les deux Länder, déjà très touchée par le chômage et où les mines de lignite emploient encore plus de 8 000 personnes.
L’IG Metall, le plus grand syndicat allemand, est plus habile que l’IG BCE. Fin juin il a rassemblé à Berlin plusieurs dizaines de milliers de ses adhérents sous le mot d’ordre « pour un changement juste face au changement climatique ». Mais il s’agissait surtout de réclamer de pouvoir participer à une « cogestion écologique » pour définir les étapes de la transition, et de demander à l’État, donc au contribuable, d’en prendre en charge les frais pour qu’ils ne nuisent pas à « l’industrie » en général. Donc l’IG Metall défend aussi les profits du patronat en prétextant qu’ils sont la garantie du maintien de l’emploi ouvrier. Un discours de collaboration de classe classique mais repeint en vert.
Pour le 20 septembre, Greta Thunberg a appelé « les adultes » à rejoindre la grève des jeunes pour le climat. L’IG Metall se déclare « favorable à ce que ses membres participent à la journée d’action pour le climat dans le cadre de la législation du travail » – donc sans appeler à la grève. Une manière de se poser comme interlocuteur potentiel du mouvement sans se mouiller vis-à-vis du patronat ou du gouvernement.
Les capitalistes de leur côté n’ont aucun problème pour licencier tout en essayant d’en rejeter la responsabilité sur le mouvement écologique, et en même temps à réclamer des sous au contribuable pour subventionner le grand virage vers le « capitalisme vert ».
L’intervention des révolutionnaires
Les révolutionnaires soutiennent évidemment le mouvement pour la sauvegarde du climat. Mais ils ont leurs propres perspectives à défendre et ils ont à mettre en garde devant les impasses qui le guettent. Une première impasse : l’apolitisme. Les « têtes » de FFF liées aux ONG ou directement au parti Vert essayent de bannir les discussions politiques – et même la distribution de tracts lors des manifs ! – sous le vieux prétexte de « l’unité ». Ce genre de démagogie peut trouver l’oreille de jeunes qui se méfient des partis et des opérations de récupération. Contre ces manœuvres, il est important de créer les conditions pour de réelles discussions et de réelles décisions prises à la base. À Düsseldorf les militants révolutionnaires ont proposé très tôt la tenue d’AG régulières tous les vendredis après la manif où les questions pratiques et les décisions politiques sont débattues et sanctionnées par l’élection de délégués.
Mais le défi le plus important reste de ne pas dissocier le combat écologique des questions sociales, donc de la lutte de classe. La revendication de fermeture de centrales à charbon pourrait devenir un élément d’un programme vert qui retomberait sur les plus pauvres, si on n’y ajoute pas le maintien de l’emploi et du salaire de tous les travailleurs de la filière.
7 septembre 2019, Toni Robert