Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 126, mai 2019 > Leur monde merveilleux : licencier pour faire travailler plus

Le chantage à la baisse du Diesel

L’actualité dans le secteur automobile, ce sont les menaces de licenciements dans diverses usines au prétexte de la baisse des ventes de moteurs Diesel en Europe, et particulièrement en France. Les fonderies du Poitou qui produisent des culasses et des carters cylindres (800 salariés sur les deux sites voisins, 120 suppressions de postes dans le cadre d’une reprise en cours de négociation, des risques pour le reste du personnel), Bosch Rodez qui produit des injecteurs (1 500 salariés, 800 emplois menacés) et Delphi Blois (injecteurs) : tous ces sites produisent en grande majorité des pièces dédiées aux moteurs Diesel.

Or, avec les différents scandales, de VW, de Renault, de Fiat, de tous les constructeurs en réalité, concernant la triche sur les normes de dépollution, la part des véhicules Diesel vendus en France est passée de 78 % des ventes en 2008 à moins de 40 % en 2018. Même chose en Europe.

Ah, si Bercy ne venait pas à leur aide !

Plus de la moitié des emplois de la filière automobile en France serait fortement exposée à la baisse du Diesel. Les patrons menacent : si Bercy ne vient pas à leur aide, ce seraient 10 000 à 15 000 emplois supprimés. Pourtant, ce ne sont pas les ventes de véhicules elles-mêmes qui baissent : elles ont retrouvé en Europe leur niveau de 15 millions annuels d’avant la crise de 2008. Si les véhicules Diesel baissent, c’est qu’il y a plus de ventes de véhicules Essence et de motorisations hybrides (thermique+électriques). Il n’y aurait aucune raison que les travailleurs payent pour les fraudes environnementales de leurs patrons, qui n’ont fait qu’alimenter les profits et les dividendes. Or ces profits et dividendes sont à des niveaux historiquement élevés dans le secteur.

Ce genre de mutation technologique est toujours l’occasion, pour les patrons, de faire du chantage à l’emploi, de réorganiser la production au niveau continental et d’obtenir des reculs sociaux et des subventions. Pourquoi s’en priveraient-ils ? Faire passer un message catastrophique sur la situation, ça peut rapporter gros !

La répartition Diesel / Essence, ça va, ça vient…

Cette prépondérance des ventes de Diesel dans certains parcs automobiles en Europe et en France particulièrement est en fait assez récente. En 1980, en France, il n’y avait que 4 % des voitures particulières qui étaient Diesel ! Le reste, c’était des moteurs à essence !

Trois facteurs expliquent l’explosion des ventes et de la production du Diesel. Les deux premiers facteurs relevaient plutôt du sérail « Total/Elf » :

Quand on extrait du pétrole, on récupère différents types de composés qui serviront pour différents types de carburants : les plus lourds donneront du fioul ou du Diesel, les plus légers de l’Essence. Or il se trouve que le pétrole algérien est plutôt lourd et c’est là que les pétroliers français se fournissent le plus sûrement. Il y avait donc un intérêt stratégique à l’écouler d’une façon ou d’une autre ! C’est la fameuse indépendance énergétique qui nous sauverait des influences étrangères…

La priorité donnée à l’énergie nucléaire en France a conduit dans cette période à une transition calculée des chauffages au fioul vers des chauffages électriques. Il fallait bien trouver un débouché au pétrole lourd que les pétroliers avaient en surplus !

C’est ce qui aurait conduit Jacques Calvet, alors PDG de Peugeot-Citroën à débarquer à Bercy en claironnant « J’ai trouvé comment résoudre votre problème de surplus de gasoil : je vais transformer les voitures en chaudières sur roues ! »

Le troisième facteur relève carrément de Peugeot-Renault :

Il s’agit des aides déguisées aux constructeurs français contre l’arrivée imminente sur le marché de leurs rivaux japonais, avec la fin des quotas d’importation. Les constructeurs japonais ne maîtrisaient pas la technologie Diesel pour les petits moteurs et ne vendaient que des voitures à essence. L’État a donc taxé plus le carburant Essence que le Diesel. Le tour était joué.

Ce troisième facteur expliquant la ruée vers le Diesel en France dans les années 1980 rend d’autant plus risibles les arguments nationalo-écologistes actuels de Mélenchon sur le sujet de la pollution automobile. Celui-ci s’insurgeait dans son livre « le Hareng de Bismarkle poison allemand » contre les grosses cylindrées allemandes qui polluent plus que les petites citadines françaises sans être assez taxées. La soif de profits au détriment de notre santé n’a pourtant pas de frontières.

Revenons-en au Diesel : le problème qui a fini par se voir, c’est qu’un moteur Diesel émet à la base plus de particules fines et d’oxyde d’azote qu’un moteur Essence. Pendant 20 ans, c’est plutôt resté sous le tapis. À partir des années 2000, des normes plus sévères ont été édictées au niveau européen mais les constructeurs ont appliqué leur politique habituelle du moindre coût et ont fait travailler des centaines d’ingénieurs et de techniciens pour réduire les émissions, mais au plus juste, voire seulement lors des tests d’homologation. « Pas de fraude bien sûr, de l’optimisation… », comme l’optimisation fiscale !

Volkswagen a fini par se faire « pincer » aux États-Unis (lesquels avaient tenté de limiter la pénétration des constructeurs européens sur leur marché en pénalisant réglementairement le Diesel, toujours les mêmes méthodes !). Le Dieselgate a touché l’ensemble des marchés de la planète et des normes plus drastiques et moins contournables ont finalement été imposées. Les véhicules Diesel sont devenus trop coûteux ou en tout cas moins rentables pour les trusts automobiles.

La conséquence, c’est que des milliers d’emplois se retrouvent menacés et que les directions et beaucoup de syndicats et d’élus locaux laissent penser que le seul moyen de s’en sortir, c’est d’arrêter le « Diesel-bashing ». C’était une partie des mots d’ordre mis en avant lors de la marche pour la défense de la filière automobile autour des salariés de Bosch-Rodez le samedi 13 avril dernier.

Le Diesel crée-t-il plus d’emplois, vraiment ?

La solution serait donc de faire front commun avec notre patron, pour défendre notre filière industrielle, ou en tout cas, laisser le temps à celui-ci de nous trouver des alternatives industrielles, si possible financées par les contribuables ! Des cabinets d’expertise, proches des syndicats, sortent les calculettes et nous expliquent que pour produire un injecteur Diesel, il faut trois fois plus de personnes que pour fabriquer un injecteur Essence, moins avancé technologiquement.

Bien sûr, c’est complètement invérifiable et quand on voit l’augmentation des prix des voitures depuis 30 ans, le nombre d’équipements qui ne cesse d’augmenter, comme la complexification des moteurs ou des systèmes de dépollution, on n’a aucune raison de croire que la quantité de travail a baissé ou va baisser dans la construction des voitures ! S’il faut moins de salariés pour fabriquer une Clio qu’une Renault Supercinq il y a 30 ans, ce n’est pas parce qu’elle a moins de technologie, c’est parce qu il y a eu d’énormes gains de productivité ! Le moteur hybride qui a le vent en poupe aujourd’hui, c’est un moteur thermique, un moteur électrique, une batterie puissante : est-on sûr qu’il faille moins de monde que pour un moteur Diesel ?

Du travail, il y en a bien sûr à foison malgré la baisse du Diesel. Au lieu de défendre le Diesel, de s’opposer aux mesures qui petit à petit les interdisent dans les centres-ville des grandes agglomérations, il faudrait plutôt mener la lutte pour l’interdiction des licenciements et la répartition du travail entre tous.

Pris à la gorge ?

Qu’on ne nous fasse pas croire que ceux qui décident ces suppressions d’emplois sont pris à la gorge. Pour toutes ces usines, soit il s’agit d’équipementiers qui sont des multinationales, soit il s’agit d’entreprises dont les commandes dépendent à 80 % d’un constructeur ou deux. Ainsi, Bosch compte 410 000 salariés dans le monde et annonce 5,3 milliards de profits en 2018. Les fonderies du Poitou fabriquent à 80 % pour Renault, qui annonce 3,3 milliards de profits en 2018 et verse un milliard de dividendes à ses actionnaires.

Pour acheter des yachts à Carlos Ghosn, pour payer ses villas, son mariage au Grand Trianon à Versailles, les études de ses enfants, le salaire de sa sœur, il y a de l’argent… Est-ce pour cela qu’il n’y a plus rien pour « sauver les emplois » ?

Produisons Français, produisons Diesel ?

Mais ils ont une autre corde à leur arc : les productions de véhicules Diesel seraient concentrées en France et celles de véhicules Essence dans d’autres pays européens. C’est leur chantage habituel : les sites français ne sont pas assez « compétitifs » (entendez, pas assez de précarité, des salaires pas assez bas, des cadences pas assez insupportables…) par rapport aux usines espagnoles, elles-mêmes moins « compétitives » que les sites roumains, où les salaires sont décidément trop élevés par rapport aux sites turcs. Sites turcs où, à chaque grève, la direction menace de déplacer la production au Maroc parce que, vraiment, cela suffit !

Il n’y a pas plus tard qu’un mois, la nouvelle direction relookée de Renault, celle qui ne pique (pas encore) dans les caisses, est venue sur le site de Cléon près de Rouen, qui produit essentiellement des moteurs Diesel. Et elle a expliqué aux syndicalistes que la dernière version de moteur Essence de Renault n’avait pas été attribuée au site parce que celui-ci… n’était pas assez compétitif !

Encore un piège tendu aux salariés : après « l’union sacrée » avec notre patron pour que les nouvelles vignettes Crit’Air 1 soient aussi attribuées aux nouveaux moteurs Diesel, il faudrait qu’on fasse l’union sacrée avec nos directeurs pour être plus compétitifs que les voisins. On voit bien tout l’intérêt patronal de jouer sur ces frontières nationales. Le problème, c’est que ces idées sont aussi importées dans la classe ouvrière par bien des politiciens.

Les Le Pen, Dupont-Aignan mais aussi toute la gauche de Montebourg et sa marinière à Mélenchon et son « protectionnisme solidaire ». Rien que l’acrobatie sémantique en dit long.

Un « protectionnisme solidaire »… mais de qui ?

Dans le programme de Mélenchon cela voulait dire : « Le grand déménagement du monde doit cesser. Il faut relocaliser les productions. Nous avons besoin d’un protectionnisme solidaire au service de l’intérêt général contre les multinationales et la mondialisation financière. La défense de notre souveraineté industrielle est une condition indispensable à la fondation de nouvelles coopérations internationales ».

Dans cette formule toutes les mythologies nationalistes y passent : les délocalisations seraient la principale cause des destructions d’emplois, c’est encore le gentil capitalisme entrepreneurial et industriel des entreprises à visage humain contre le méchant capital financier des multinationales. Et toujours le recours à un État français souverain, sauveur suprême contre le grand capital des actionnaires véreux. ■

L.M.

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article