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1er novembre 1954

Le FLN déclare la guerre au colonialisme

28 juillet 2020 Article Culture

Il y a 65 ans, dans la nuit du 1er novembre 1954, entre minuit et deux heures du matin, une trentaine de casernes, commissariats de police ou installations industrielles sont attaquées dans différentes régions d’Algérie. À l’origine de cette insurrection, le Front de libération nationale (FLN) est encore inconnu des services de renseignement. Il est porté par l’activisme de ses membres dans un contexte international plein d’espoir et de promesses pour les anticolonialistes.

L’embrasement dans l’empire colonial

Le déclenchement de l’insurrection n’est pas de génération hasardeuse. En 1954, la guerre d’Indochine s’est achevée par la victoire du Viet-Minh. Diên-Biên-Phu, tombeau de l’armée coloniale, résonna dans tout l’empire en exposant la faillibilité de l’armée française. Au Maghreb, le Néo-Destour tunisien et l’Istiqlal au Maroc participent de cette contestation à grande échelle et contribuent à cette effervescence anticoloniale. De 1830 à 1954, la colonisation française s’est imposée en Algérie par une domination brutale, une spoliation d’ampleur et une législation d’exception. Doté d’un statut spécifique, les « indigènes » sont massivement dépossédés de leurs terres et les récalcitrants à cette spoliation sont réprimés avec une rare violence. Depuis le début, les raisons et possibilités d’une révolution anticoloniale ne manquent pas.

D’où vient le FLN ?

Paradoxalement, ce bouillonnement anticolonial plonge le principal parti nationaliste algérien dans l’indécision et dans la crise. Le Parti du peuple algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD) compte alors près de 20 000 militantEs. Il recrute dans la petite-bourgeoisie commerçante mais aussi le sous-prolétariat des villes et la jeunesse des lycées. La situation coloniale et les espoirs d’indépendance politisent précocement, dès 14 ans certains se lancent à corps perdu dans le militantisme. Au-delà de la revendication d’indépendance, le PPA-MTLD est profondément divisé sur les questions tactiques. Une partie de l’organisation pense la voie électorale suffisante pour obtenir, progressivement et grâce à l’unité des organisations nationales, l’indépendance. D’autres, notamment parmi les jeunes militantEs de l’organisation, dénoncent cette chimère unitaire et électorale. La fraude électorale massive perpétrée lors des législatives de 1948 couverte par le gouverneur général Edmond Naegelen (socialiste) finit de vacciner ces jeunes militantEs contre toute illusion électoraliste. Ils et elles veulent en découdre au plus tôt avec l’impérialisme français et font une première tentative d’organisation de la lutte armée en créant au sein du PPA une « organisation spéciale » (OS) en 1947. L’OS réalise quelques actions spectaculaires comme le hold-up de la poste d’Oran en 1948 mais ne fut jamais utilisée par la direction du PPA-MTLD qui refuse l’option insurrectionnelle. En 1950, l’OS est démantelée par l’administration coloniale et 363 militants sont emprisonnés. Tous les membres fondateurs du FLN étant passés par l’OS, l’expérience de la clandestinité et de l’action directe les soude dans la préparation de l’insurrection.

La trahison stalinienne

Ces militantEs sont, dans un premier temps, isolés des autres organisations. La gauche française n’a jamais défendu l’indépendance et le Parti communiste algérien (PCA) comme le PCF ont depuis longtemps abandonné cette perspective. Pire, lorsque, le 8 mai 1945, Algériennes et Algériens manifestent derrière leur drapeau national et se font sauvagement réprimer par les forces de l’ordre et des milices européennes, le PC dénonce les manifestantEs, décrits comme des membres d’une «  5e colonne » voulant instaurer en Algérie une «  dictature fasciste versaillaise ». Les massacres font entre 20 000 et 30 000 mortEs et le PC déplore le rôle des « provocateurs bien connus de l’administration [pour leur] violence » (l’Humanité, 12 mai 1945). Une surprise ? Pas vraiment. Après l’accession d’Hitler au pouvoir, l’URSS, à laquelle le PC est soumis, avait cherché à nouer des alliances diplomatiques avec la France et la Grande-Bretagne. Pour ce faire, le PC qui dénonçait et militait sous la bannière de l’anticolonialisme, y renonça durablement. Maurice Thorez, son secrétaire général, affirma en 1939 que l’Algérie était encore « une nation en formation ». Cet abandon discrédita considérablement le PCA désormais perçu comme un parti défendant des intérêts « français ».

Mohammed Harbi, militant du FLN puis historien de la guerre d’indépendance, en résume les conséquences politique : « Le rêve du PCA a été de faire l’économie des grandes luttes révolutionnaires et d’éviter la critique des armes. Prophète en illusions, il n’a pas réussi à marquer profondément le développement du nationalisme révolutionnaire et a largement contribué à valoriser la candidature de la petite-bourgeoisie à la direction du mouvement de libération ». Cette candidature fut briguée par le PPA-MTLD puis par le FLN. Le 1er novembre 1954 trancha les divergences tactiques sur les voies de l’indépendance et, ce débat réglé, les partisans de la voie électorale se rallièrent au FLN.

L’indépendance s’obtint par la lutte armée doublée d’une action diplomatique efficace à propos de laquelle vient de paraître récemment le témoignage d’Elaine Mokhtefi. Elle se réalisa au prix d’un sacrifice et d’une mobilisation extraordinaire de la population algérienne. Les classes populaires algériennes ne furent jamais appelées à jouer un rôle dirigeant dans cette lutte : la seule grève générale organisée durant le conflit le fut en soutien à l’action du FLN à la tribune de l’ONU en janvier 1957. Fondamentalement, aucune forme de contrôle des grévistes sur leur propre grève ou des classes populaires urbaines et rurales sur leur propre révolution ne fut préconisée par le FLN. L’appareil diplomatique et militaire monopolisant la direction de la lutte indépendantiste s’assit au pouvoir à partir de 1962 en utilisant toutes les prérogatives de l’État pour faire taire les aspirations révolutionnaires des masses.

Samuel Terraz

(article paru dans L’Anticapitaliste n°495)

Pour aller plus loin


  • Mohammed Harbi, Aux origines du FLN, Le populisme révolutionnaire en Algérie, Christian Bourgois, 1975, 313 pages (réédition en cours chez Bouchène).

Le livre permet de se faire directement un avis sur les orientations et les débats de l’organisation en mettant à disposition des lecteurEs les documents d’époque du PPA-MTLD. La belle introduction permet de saisir les raisons du succès du FLN et notamment de questionner la domination politique de la petite-bourgeoisie dans le mouvement révolutionnaire algérien.


  • Raphaëlle Branche, l’Embuscade de Palestro, La Découverte, 2018 (2010), 274 pages.

Raphaëlle Branche, connue pour avoir montré le rôle central de l’utilisation de la torture par l’armée tout au long de la guerre d’indépendance, prend ici pour point de départ une embuscade effectuée par le FLN en 1956, au cours de laquelle 17 appelés furent tués. L’historienne, exposant comment l’événement fut utilisé en France pour faciliter l’envoi du contingent, analyse le discours produit à cette occasion pour « ensauvager l’Algérie ». Revenant sur la longue histoire du lieu où se produisit l’embuscade, elle décortique finalement la violence coloniale pour expliquer ce qui rendit possible ce succès militaire du FLN.


  • Internationale Situationniste, Adresse aux révolutionnaires d’Algérie, Libertalia, 2019, 120 pages.

On accrochera ou pas au style littéraire de l’IS et on achoppera sur certaines formulations à l’emporte-pièce du petit groupe politique, mais la critique du FLN par cette poignée de situationnistes algériens reste décapante. Plus convaincants, les textes de Socialisme ou Barbarie méritent de s’y attarder davantage et sont disponibles en ligne par exemple ici : http://archivesautonomies.org/IMG/pdf/soub/SouB-n33.pdf. Lutte ouvrière a, par ailleurs, également réédité en 2012 une brochure contenant les articles et textes publiés par Voix Ouvrière durant la guerre d’Algérie.


  • Joseph Andras, De nos frères blessés, Actes Sud, 2016, 144 pages.

Attention dynamite. Dans ce court roman, Joseph Andras retrace le parcours de Fernand Iveton, militant du PCA condamné à mort pour avoir tenté de plastiquer son usine. Énormément de finesse sur le parcours du militant, les raisons de son engagement et la manière dont le PC laisse finalement tomber ce militant en rupture de ban.


  • Alice Zeniter, L’Art de perdre, Flammarion, 2017, 512 pages.

Le récit revient sur l’histoire d’une famille algérienne en trois générations. Un récit sensible et historiquement puissant sur la guerre d’indépendance, les harkis, l’immigration, la rage et la révolte de jeunes adolescents aux prises avec le racisme.

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