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DOSSIER : Douce pour les profits, salée pour la population : le scandale de l’eau

La ruée vers l’eau

Mis en ligne le 10 novembre 2005 Convergences Société

De la production d’eau potable à sa distribution, en passant par la collecte des eaux usées et l’épuration, l’eau est devenue l’objet d’une industrie. En pleine croissance, et encore largement ouverts aux appétits des grandes entreprises capitalistes, les marchés de l’eau suscitent donc bien des convoitises de leur part.

En 2001, la Banque mondiale estimait le marché potentiel à 1 000 milliards d’euros. La même année, suite à l’effondrement des marchés des nouvelles technologies, le magazine Fortune considérait que l’industrie de l’eau constituait le placement le plus profitable. Nouvelles concurrentes des « Trois Sœurs » françaises, de l’espagnole Aguas de Barcelona ou des anglaises Thames Water - filiale de la firme électrique RWE - et Biwater devenue Cascal, d’autres grandes firmes ont désormais des visées sur ce marché : comme l’américaine General Electric, ou encore Monsanto, trust de la biotechnique, qui lorgne le marché indien.

La privatisation ne fait que débuter

En effet, le secteur de la distribution d’eau est encore faiblement privatisé au niveau mondial, à hauteur de 5 % des réseaux seulement. Dans la plupart des cas, ce sont encore les municipalités qui assurent l’entretien et la gestion des réseaux qui ont été réalisés aux frais du public. Mais ce chiffre global recouvre une situation contrastée. En France, pionnière en la matière, la privatisation concerne plus de 75 % des réseaux de distribution. Aux USA, 89 % du marché est encore aux mains de compagnies municipales. Et, en France, jusque dans les années 1950, deux-tiers des communes géraient encore directement les services des eaux. Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980, et surtout dans les années 1990, que s’est généralisée la délégation de gestion aux compagnies privées : Vivendi, Suez (Ondéo), et Saur.

Lancés à l’assaut de la planète, les opérateurs privés ne couvraient encore que 90 millions d’habitants dans le monde en 1988, mais plus du double (200 millions) dix ans plus tard et misent sur 500 millions en 2008. Une expansion qui touche aussi bien les pays riches que les pays pauvres. Dans ces derniers, les grandes institutions mondiales ne manquent pas une occasion de promouvoir les intérêts des trusts. Ainsi, sur 276 prêts pour l’approvisionnement en eau accordés par la Banque mondiale entre 1990 et 2002, 30 % étaient conditionnés à la privatisation de la distribution. Au Chili, un prêt de ladite banque a même été conditionné à une garantie de 33 % de profits annuels pour Ondéo.

Les bienfaits de la pollution

Outre la gestion de la distribution, les trusts de l’eau investissent les secteurs de la production d’eau potable et du traitement et assainissement des eaux usées. Par exemple, à Paris, la privatisation de la distribution en 1984 a juste précédé celle de la production d’eau potable, assurée depuis 1987 par une société d’économie mixte, la Sagep dont Vivendi et Ondéo possèdent chacune 14 % du capital. Le service d’assainissement des eaux a, quant à lui, été « externalisé » vers le Siaap qui, en 2002, confiait à des filiales d’Ondéo et de Vivendi une partie du traitement de l’usine d’Achères et l’exploitation du site de Valenton, tandis que l’usine ultra-moderne de Colombes a été réalisée par Ondéo et Bouygues.

Il faut dire que ce marché aussi est en pleine expansion : en France, le volume des eaux usées a triplé au cours des vingt dernières années ! Et la pollution croissante nécessite la mise en œuvrede techniques de plus en plus sophistiquées. Bien qu’élaborés avec les universités et les instituts de recherche publics, les procédés les plus performants restent la propriété des trusts, qui s’imposent comme incontournables auprès des municipalités. Et il n’y a pas qu’en France ! Les perspectives de développement sont mondiales. Par exemple, la Sade, une des filiales du groupe Vivendi spécialisées dans les installations de production et traitement des eaux, multiplie les contrats partout dans le monde, et affiche en 2004 un chiffre d’affaires de 783 millions d’euros, dont 153 millions à l’international.

La pollution croissante de l’eau courante (on n’ose plus dire « l’eau potable » !) a une autre conséquence secondaire très appréciée des trusts : l’explosion du marché de l’eau en bouteille. Estimé à 40 milliards d’euros dans le monde, il augmente en moyenne de 12 % par an. Cette croissance touche aussi bien les pays riches (la France est 2e consommateur mondial d’eau minérale) que les pays du tiers-monde, responsables de 60 % de la croissance mondiale du secteur. Deux trusts de l’agro-alimentaire, Nestlé et Danone, contrôlent à eux seuls un tiers de ce marché, talonnés par Pepsi ou Coca.

Besoins croissants en eau potable, lutte contre une pollution en constante augmentation, les trusts ont bien répondu présents pour nous aider à faire face aux défis du monde moderne. À condition que nous soyons solvables, bien entendu. Et, pendant qu’ils s’abreuvent de juteux profits, les milliards d’individus qui n’ont pas les moyens de se payer leurs services peuvent toujours croupir dans la soif et la maladie.

Yves LEFORT

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