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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 25, janvier-février 2003

La nouvelle crise du logement

19 janvier 2003 Convergences Société

Pendant que Nicolas Sarkozy fait feu de tout bois dans les quartiers populaires (feu sur les squatters –désormais incriminables devant une chambre correctionnelle– et sur les jeunes qui se réunissent dans les halls d’immeubles, bien souvent faute d’un autre lieu pour le faire !), son collègue Jean-Louis Borloo (ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine) est un peu l’alibi social du gouvernement, déclarant avec emphase le 15 octobre à l’Assemblée nationale : « la rénovation des quartiers en difficulté est une cause nationale qui mérite une union nationale ! »

Le constat de ces dernières années montre effectivement qu’il y aurait beaucoup à faire. La première étape serait au moins de fournir à des prix abordables un logement pour tous. On est loin du compte.

La précarité en hausse

D’après le dernier rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, il y aurait près de 100 000 personnes sans abri, 200 000 hébergées dans des habitats de fortune, et 3 millions de mal logées.

Divers indicateurs traduisent cet accroissement de la précarité : séjours supérieurs à 6 mois dans les centres d’hébergement, interventions du Samu social, squats collectifs (environ 2 000 logements en région parisienne), hébergement par des proches… Ainsi à Aubervilliers, plus de 4 000 attestations d’hébergement ont été enregistrées à la mairie l’an dernier, contre 200 il y a une dizaine d’années.

Les personnes expulsées sont de plus en plus nombreuses, même si une loi de juillet 1998 (dite « loi contre l’exclusion ») prévoit bien quelques mesures pour l’éviter aux « locataires de bonne foi ». Contre les « mauvais payeurs », les forces de l’ordre sont en effet de plus en plus sollicitées, et le nombre d’interventions effectives de la force publique a augmenté de 4 753 en 1997 à 6 337 en 2001.

Le manque de logements à bas prix

Pour la majorité des travailleurs, l’habitat privé est bien souvent la seule solution, même pour les plus pauvres : près de la moitié des ménages situés dans le dernier quart de l’échelle des revenus sont logés dans le privé. Mais du fait de la réhabilitation du parc ancien (avec l’augmentation en conséquence des loyers) et du dépérissement des formes d’habitats peu coûteux (notamment les logements dont le loyer est encadré par la loi 1948), la situation est de plus en plus difficile.

Ainsi les logements concernés par la loi de 1948 étaient au nombre de 1,4 million en 1970, ils ne sont plus que 300 000 aujourd’hui. Et le gouvernement a décidé d’accélérer le processus !

La situation est rendue plus difficile également parce que la pénurie est en partie organisée. Il y aurait actuellement près de 2 millions de logements vides, dont plus de 400 000 en Ile-de-France.

Quant aux entreprises, leur responsabilité est patente. Bon nombre d’entre elles (du moins parmi les grandes) avaient dans le passé une politique qui se voulait sociale en finançant directement la construction de logements à loyers modérés pour leurs employés. Or aujourd’hui, la Poste est –avec la SNCF– l’un des derniers employeurs à se désengager [1]. Ce qu’ont déjà fait France Télécom, les hôpitaux, les ministères et les employeurs privés comme Renault ou Michelin.

La grande misère du logement social

Il y a actuellement 3,7 millions de logements HLM dans lesquels résident 9 millions de personnes.

Ils sont gérés par 850 organismes de statuts différents : principalement les sociétés d’économie mixte (7 % des logements), les offices publics présidés par des élus (54,5 % des logements) et les sociétés anonymes HLM dont les actionnaires sont des banques, des entreprises ou des collecteurs du 1% patronal (42 % des logements). Une part importante du financement provient des prêts bonifiés fournis par la Caisse des dépôts et consignations (dont l’activité repose sur la collecte des fonds émanant des caisses d’épargne).

Dans l’immédiat, il manque 1,2 million de logements pour satisfaire la demande (une fois décomptés les 500000 locataires d’une HLM qui souhaitent en changer) !

La construction est en chute libre. Le maximum a été atteint en 1972, avec la construction de 214000 logements. Dans les années 1990-1993, on construisait encore autour de 80000 logements par an, mais seulement 42300 en 2000. Soit une diminution de moitié ! En 2003, le gouvernement prévoit la « réalisation effective » de 54000 logements sociaux, mais aussi la démolition de 12000 logements au lieu de 6000 il y a trois ans...

Cette pénurie a un aspect paradoxal : l’Etat fait de moins en moins d’efforts, mais les dotations inscrites au budget prévoyaient quand même ces dernières années la création de 70000 à 80000 logements par an. Une partie des crédits inscrits au budget et de l’enveloppe mise à disposition par le 1% patronal n’a pas été consommée ! Les municipalités, les sociétés HLM et les entreprises du BTP ne sont tout simplement pas intéressées…

La responsabilité des municipalités et des sociétés HLM…

La proportion de logements sociaux est de 37 % à Ivry-sur-Seine, 60 % à Aubervilliers et… 0,74 % à Neuilly-sur-Seine ! Faisant mine de forcer la main aux récalcitrants, le gouvernement Jospin avait fait adopter en décembre 2000 une loi « sur la solidarité et le renouvellement urbain » (SRU) : elle prévoyait d’obliger (sous peine d’amende) les communes de plus de 3 500 habitants insérées dans les agglomérations de plus de 50000 habitants à se doter, à l’échéance de 20 ans, d’un parc de logements sociaux représentant 20% du nombre de résidences principales. La droite est en train de la supprimer et il est donc difficile de pronostiquer les résultats que son application aurait pu avoir. Mais en 1991, une loi d’orientation sur la ville prévoyait déjà certaines mesures censées être contraignantes sans que cela n’inverse la tendance…

De leur côté, les organismes HLM semblent ne pas faire beaucoup d’efforts non plus. Certains organismes sont connus pour ne pas avoir construit depuis 20 ans ! Dans un article récent de l’Humanité (04/10/2002), le maire (communiste) d’Ivry-sur-Seine se justifiait en expliquant que l’office public municipal manquait de moyens, puisque sur un loyer de 100 euros, 33 allaient au remboursement des emprunts et 3 à l’autofinancement. C’est sans doute vrai, mais les quelques scandales financiers qui remontent à la surface de temps en temps (prévarications, financements occultes…) sont aussi significatifs d’une certaine dérive. Selon le rapport publié par la Mission interministérielle d’inspection du logement social (Miilos) en juin 2002, le problème d’une « maîtrise insuffisante des règles comptables » concernerait près de 70 % des organismes !

Du coup, ce ne sont pas seulement les constructions mais aussi les travaux d’entretien qui manquent : le parc vieillit (seuls 22 % des logements ont été construits après 1985), et 800 000 logements âgés de plus de vingt ans n’ont jamais été réhabilités.

… et celle des entreprises du BTP

Dans la conjoncture actuelle, ce sont pourtant les entreprises du bâtiment qui font le plus défaut : elles ne répondent même plus aux appels d’offres ! L’activité dans le secteur du bâtiment étant au plus haut depuis quelques années, les marges que les entreprises réalisent en construisant du locatif sont plus élevées dans le privé que dans le social bien que les mesures incitatives et les aides aux bailleurs soient nombreuses et revues à la hausse (allégement de la taxe foncière en zone sensible, allongement de la durée de remboursement et réduction des taux d’intérêt, diminution de la TVA, etc) [2].

En l’absence de mesures coercitives, les entreprises se tournent vers les marchés qui restent les plus lucratifs, c’est à dire vers le privé.

Droit de propriété ou droit au logement ?

Le « droit au logement » rabâché au fil des discours des ministres qui se succèdent est une formule creuse dans le cadre d’une économie capitaliste. L’Etat a beau subventionner le logement social, il n’y a pas de solution à la crise tant que les intérêts des propriétaires, des banquiers, des promoteurs et des capitalistes du BTP ne seront pas mis en cause.

Résoudre la crise du logement impliquerait d’abord d’augmenter substantiellement les salaires afin que les travailleurs aient les moyens de payer les prix proposés sur le marché de l’immobilier. Cela impliquerait surtout que l’Etat fasse du logement un service public à prix coûtant, en réquisitionnant les terrains, les entreprises du BTP, les capitaux, etc.

Un programme que la classe ouvrière pourra imposer lorsqu’elle sera en mesure de peser sur l’organisation de la société et d’imposer ses propres solutions.

Raoul GLABER


La mixité sociale dans les cités HLM : un rideau de fumée

La population dans les cités HLM a considérablement évolué au cours du temps. En 1957, Alfred Sauvy pouvait remarquer (dans la revue Population) : « Loin d’avoir une priorité sur les logements HLM, comme le prévoit expressément la loi, les ouvriers en sont écartés. Les employés ne souffrent pas de cette éviction (…). Quant aux cadres supérieurs, ils en bénéficient largement ».

Avec la crise, à partir des années 1970, les plus aisés sont partis. En 1996, 66% des ménages logés en HLM étaient en dessous du revenu médian, contre 41 % en 1973. L’aide personnalisée au logement assure aujourd’hui 35% du paiement des loyers en HLM, et 13% des locataires bénéficient des minima sociaux (260000 locataires touchent le RMI). Un ménage étranger venu d’Afrique du Nord sur deux vit en HLM.

L’un des leitmotiv aujourd’hui est donc de réintroduire davantage de mixité, soit en favorisant la construction de HLM dans les villes qui en ont peu (avec le succès que l’on sait), soit en favorisant le retour ou le maintien dans les quartiers HLM d’une population moins pauvre afin d’enrayer la constitution de ghettos.

La vente d’une partie du parc social locatif à ceux qui en ont les moyens et la construction de logements « intermédiaires » dans les quartiers d’habitat social sont clairement une priorité qui suppose –selon le gouvernement– d’améliorer l’image des quartiers. Le programme de Jean-Louis Borloo visant à détruire 200 000 logements dégradés sur cinq ans s’inscrit dans cette perspective. Le pauvre ira loger ailleurs… ou nulle part, alors que 100 000 personnes sont déjà sans toit !

A défaut de pouvoir réellement « mixer », ce qui supposerait être capable d’offrir en quantité et en qualité suffisamment de logements pour tout le monde, la politique des gouvernements revient en réalité à chasser les plus pauvres et à opposer la mixité sociale au droit au logement pour tous.

De leur côté, et également sous prétexte de ne pas constituer de « ghettos », les organismes HLM appliquent aussi à leur manière une « politique de peuplement » sélective, sélectionnant les candidats locataires en fonction de leurs origines sociales, et parfois ethniques, comme le confirme un rapport du Groupe d’études et de lutte contre les discriminations (GELD) publié en mai 2001. De plus en plus de demandes sont écartées au nom de la mixité sociale, entendue dans un acception très large qui englobe des critères de nationalité ou d’origine.


[1Dans l’immédiat La Poste se débarrasse de ses foyers en en fermant les deux tiers en Ile-de-France. Pour des fonctionnaires rémunérés autour de 1000 euros et nombreux encore à ne pas avoir d’attache parisienne, ces foyers offraient la possibilité de payer un loyer très modéré en attendant d’avoir – éventuellement – accès à un logement social (le prix d’une chambre est de 93 euros la première année et 188 euros la deuxième, alors que le prix d’une chambre en foyer de jeunes travailleurs – qui excède rarement 10 m2 – est de 300 à 400 euros).

[2D’après un article publié le 10/01/2001 dans Le Monde

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