Editorial
La « méthode Raffarin » : sales coups à pas feutrés
Mis en ligne le 5 octobre 2002 Convergences Politique
Moyennant quelques pas en avant, en arrière ou sur le côté, la politique de Raffarin se met en place. Sans vraiment grande surprise, d’autant moins qu’elle ne fait que poursuivre celle mise en œuvre par Jospin et qu’elle se situe dans le droit fil de ce que la gauche nous promettait. Que ce soit en matière d’orientation sécuritaire, de baisse de l’impôt pour les riches ou de charges sociales pour les entreprises, de privatisations et de restrictions des services publics, de remise en cause des retraites, et même « d’assouplissement » pour les 35 heures et de blocage de salaires. Sans oublier non plus la reconnaissance pleine et entière pour les patrons du droit de licencier, l’Etat n’hésitant pas à donner l’exemple. Avec cependant dans les projets de Raffarin, une accentuation et une accélération aujourd’hui qui ne peuvent que convaincre les travailleurs qu’avec ce gouvernement leurs conditions d’existence vont empirer.
Le nouveau gouvernement est tiraillé entre petits ou grands patrons, impatients de toucher les dividendes des victoires de la droite à la présidentielle et aux législatives, et la crainte de faire le geste de trop, celui qui déclencherait la colère des travailleurs, provoquant une réaction de l’ampleur de celle à laquelle Juppé, un prédécesseur de Raffarin, dut faire face en 95. Ce gouvernement n’a ainsi pas fini d’en rajouter et d’en retirer – comme il l’a encore montré dernièrement en renonçant à l’augmentation annoncée de la redevance télé et à celle du gazole – de saucissonner et d’échelonner dans le temps les mesures qu’il veut faire passer, en les différenciant autant que possible par corporation pour ne pas prendre tout le monde de front.
Face à ce qui est baptisé « la méthode Raffarin », on peut toujours, comme l’ont fait de nombreux médias, gloser sur des prétendues dissensions au sein du gouvernement entre les « sociaux » et les « libéraux » et comptabiliser à quel camp Chirac donne finalement raison. Ou encore discuter de ce qui distingue la politique « libérale-sociale » du gouvernement actuel de celle « sociale-libérale » du gouvernement précédent.
Une nouvelle offensive d’envergure contre les travailleurs
Jospin avec les lois Aubry avait donné la possibilité au patronat sous l’étiquette de « loi des 35 heures » de rendre les horaires des travailleurs flexibles. Et grâce à l’annualisation du temps de travail et une nouvelle organisation de celui-ci, de produire autant sinon davantage tout en ayant la possibilité de ne pas compenser la perte de salaire provoquée par la réduction officielle du temps de travail.
Raffarin garde la flexibilité, et augmente le contingent d’heures supplémentaires tout en limitant leur taux de majoration et la possibilité de récupération en temps. Il revient ainsi pratiquement aux 39 heures. Il supprime la référence à l’horaire hebdomadaire pour ne garder que celle annuelle de 1600 heures, ce qui permettra aux entreprises de jouer davantage sur les jours fériés, et d’en rajouter ainsi sur la flexibilité.
Aubry et Jospin, pour ne pas imposer aux patrons les 35 heures payées 39, avaient accouché de cette trouvaille : permettre des baisses de salaire et maintenir le seul SMIC, mais par des garanties mensuelles variables en fonction de l’année à partir de laquelle les « 35 heures » étaient appliquées. Ce système a été à l’origine des cinq SMIC différents auxquels nous sommes parvenus jusqu’à ce jour. Raffarin se paye le luxe maintenant de les aligner par le haut en trois ans… tout en supprimant dans l’indexation du salaire minimum ce qui revenait jusque-là à la moitié de la différence entre l’évolution du SMIC et le salaire moyen ouvrier. Donnant d’une main, il reprend donc de l’autre. Et pour satisfaire les patrons qui ont quand même aussitôt crié « au renchérissement du coût du travail », il leur promet un nouvel abaissement des charges sociales, cette fois pour tous les salaires inférieurs à 1,7 fois le SMIC, et non plus lié au passage aux « 35 heures ».
L’Etat paiera pour que les patrons s’en sortent au mieux. Et comme Raffarin cherche de l’argent pour boucler son budget, il réduira les effectifs dans l’enseignement, la recherche ou l’équipement après avoir augmenté ceux des policiers, de la justice et augmenté les crédits militaires. Et il réalisera ou fera avancer les privatisations annoncées ou déjà commencées sous Jospin, celles de l’EDF-GDF, d’Air France, des Autoroutes du Sud… tout en renflouant France Télecom et en augmentant les cadeaux au patronat.
D’autres gros morceaux ne viendront que par la suite, en particulier la remise en cause des retraites ou de la Sécurité sociale. Mais Raffarin avec sa méthode des « petits pas » espère bien faire tout passer. La logique pour les travailleurs serait de ne pas attendre les coups les uns après les autres pour tenter d’y répondre une fois qu’ils sont tombés, mais d’organiser une riposte d’ensemble à ce qui est une offensive planifiée globale.
Qui Raffarin va-t-il trouver en face de lui ?
Les syndicats ? Si ça ne tenait qu’à leurs dirigeants, il n’aurait pas trop de bile à se faire. Certes pour le meeting de rentrée de la CGT Bernard Thibault a joué sur le registre d’une dénonciation vigoureuse de la politique de l’actuel gouvernement. Mais la priorité reste la préparation des élections prud’homales de cette fin d’année. Elle n’empêche certes pas Thibault d’annoncer quelques démonstrations au coup par coup sur les retraites ou les privatisations, mais pour une réponse globale, il s’en remet à une concertation avec les autres syndicats. Autant dire que pour l’heure, il se contente surtout de s’aligner sur la direction de la CFDT, la plus timide.
Et tous les dirigeants de confédérations de se précipiter dans « la concertation sociale » que leur offre Raffarin. Quitte à geindre parce que le gouvernement ne joue pas réellement le jeu comme François Chérèque, nouveau leader de la CFDT, déclarant après l’annonce des dernières mesures : « Nous disons à la majorité, faites attention ! Si vous avez retenu les leçons du 21 avril, vous devez comprendre qu’il faut des corps intermédiaires pour que les décisions soient prises au plus près du terrain. Laissez-nous faire notre travail, sinon les mécontentements s’amplifieront et vous en ferez les frais… » Ou comme Marc Blondel de FO, pour qui il y a « aujourd’hui un problème de confiance avec le gouvernement. François Fillon nous présente une loi le matin et l’après-midi elle est changée profondément (…) il faut arrêter ces petites ambiguïtés permanentes sinon rien ne sera possible quand on ouvrira les discussions sur les retraites et sur la Sécurité Sociale ».
Quant aux partis de gauche, ils ne nous promettent pour l’heure qu’une bataille… parlementaire. Pas de quoi faire trembler ni Chirac ni Raffarin forts de leur majorité « introuvable ». Que ce soit le PCF, les Verts, ou le Parti socialiste, leur préoccupation du moment consiste essentiellement à chercher la meilleure façon de se remettre en ordre de marche, après la claque électorale qu’ils ont reçue au printemps, et à trouver le moyen de représenter une alternative… pour dans cinq ans ! On ne peut que souhaiter que la classe ouvrière n’attende ni après les uns ni après les autres pour bousculer le jeu.
25 septembre 2002
Louis GUILBERT