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Où en est la révolution tunisienne ?

La « matière combustible » du sit-in d’El Kef

Mis en ligne le 15 juin 2011 Convergences Monde

45 000 habitants, chef lieu du gouvernorat, El Kef, située près de la frontière algérienne au nord-ouest du pays, est marquée par la révolution. La ville est connue pour sa vie culturelle et ses nombreux bars mais, dans les jours qui ont suivi le 14 janvier, tout a été détruit par les milices de Ben Ali, le RCD et la mafia, pour provoquer des troubles contre-révolutionnaires. La région est à vocation agraire et produit 40 % du blé de la Tunisie. Il existe quelques usines « loi 72 » (c’est-à-dire défiscalisées, considérées comme « off-shore »), mais le chômage est massif, en particulier dans la jeunesse. Quelques dizaines de jeunes tiennent un sit-in devant le gouvernorat.

Parmi eux, Rachid [1] a travaillé à Tunisair, mais a été licencié après avoir été arrêté car il ne voulait pas adhérer au RCD. On l’a rappelé début avril pour reprendre son poste, mais il n’a pas voulu : « J’ai dit : ‘Attendez, on va tout changer’ ». Farid a travaillé comme ouvrier décorateur à Charm el-Cheikh en Égypte, il est revenu pour des congés et est resté quand la révolution a démarré. Mohamed est étudiant et insiste sur le manque de professionnalisme dans le domaine culturel, pourri par la corruption du régime.

Ils revendiquent le départ du pouvoir de tous les anciens du RCD, le « châtiment » des anciens dirigeants : « Nos revendications, c’est de couper totalement avec l’ancien régime ». Ils dénoncent tous ceux qui ont retourné leur veste et sont pour la révolution après coup. « Avant le 14 janvier, les médias disaient des jeunes assassinés que ce sont des bandits. Après le 14 janvier, des martyrs. […] Les gens qui prétendent faire la démocratie, ce sont eux-mêmes qui ont terrorisé le peuple. […] Avant, la Tunisie, elle ne pardonnait pas, maintenant, elle pardonne... ses crimes. Alors qui veut que ça brûle ? Ce sont eux. Nous voulons qu’ils soient jugés. […] Ils font maintenant le comité de défense [le conseil local de protection de la révolution d’El Kef]. Ce sont à 40 % des RCDistes. ». Ils dénoncent aussi la corruption de la police, qui reste la même et qu’ils n’acceptent plus.

Leur problème est surtout de maintenir la révolution en attendant que la population les rejoigne. « Maintenant ils veulent nous faire taire en disant ‘Ça y est, Ghannouchi est parti, Ben Ali est parti, on est cool, on est tranquille.’ [ …] Le peuple sympathise, mais la culture de l’expression est étrangère, donc on doit insister jusqu’au moment où le peuple s’engage. […] Nous jouons le rôle de matière combustible pour que la révolution soit toujours chaude. Nous n’allons pas céder. »

Ils n’ont pas d’illusions dans l’armée : « Nous ne sommes pas débiles. L’armée, avec la police, a tué beaucoup de Tunisiens. Les États-Unis veulent que l’armée reste un peu loin. Ce n’est pas vrai que notre armée nous aime. On ne peut pas remercier quelqu’un parce qu’il ne nous a pas tués. […] À quelques kilomètres, il y a un village où il n’y a plus ni armée ni policiers. Un soldat a tué un jeune il y a deux jours. On a tout brulé. Les soldats, les policiers prétendent garder la sûreté, mais ils mentent. Ils ne veulent pas que les gens bougent. »

Ils rejettent les élections comme quelque chose d’extérieur destiné à les faire rentrer dans le rang : « La question, ce n’est pas le vote. La question c’est comment on déracine les RCDistes, parce qu’actuellement, tout le monde sait bien qu’ils travaillent encore, qu’ils sont bien organisés et qu’ils attendent seulement une petite chance pour tout reprendre. […] Après le 24 juillet, je pense que n’importe quelle manifestation va être déviée et que la police va être plus féroce que ça. Donc, on a ce temps-là pour tout reprendre. Ils ont envie de faire vite. […] On va voir ce qu’ils vont faire, sinon on va changer de stratégie. Avant le 14 janvier, il y avait des manifestations dans les rues. Maintenant les moyens ont changé, il y a les tentes, le sit-in, mais, franchement, je ne pense que ça ne va pas donner grand-chose, parce que Essebsi insiste bien pour qu’on passe au vote le 24 juillet. Et ça, c’est bizarre, parce que le RCD peut gagner de façon démocratique. » Pour eux, il faut d’abord détruire l’ancien pouvoir jusqu’au bout et, ensuite, il sera possible de construire quelque chose : « Avant de semer en terre, il faut labourer ».

Ils discutent un peu de la situation économique. En parlant des patrons locaux et responsables politiques : « Ils veulent que les gens se calment. Ils disent ‘On va s’occuper de vous’. Eux, ils ne veulent pas vraiment changer. Nous voulons tout restructurer […] Ils disent que nous sommes au top du développement. Ces gens-là appartiennent toujours à Ben Ali. » Ils dénoncent l’irrationalité de l’économie qui se fait en fonction d’intérêts particuliers de gouverneurs ou patrons. La région du Kef produit du blé, qui est envoyé à Sousse ou Sfax pour être transformé et ils le revendent ici. Leur objectif ? « On veut partager les richesses de façon égale. […] Ils peuvent faire New York ici, ce n’est pas ça qu’on veut. Il faut que le peuple s’implique. »

« On va la faire prochainement la deuxième révolution, ça ne va pas tarder. »


[1Les prénoms ont été changés

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Numéro 76, juin-juillet 2011