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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 91, janvier-février 2014 > Afrique du Sud

Afrique du Sud

La marche vers le pouvoir de l’ANC : Contrôler les travailleurs et les townships

Mis en ligne le 14 janvier 2014 Convergences Monde

La situation de l’Afrique du Sud s’est modifiée à partir des années 1970. Indépendance des dernières colonies africaines, Angola et Mozambique, mais aussi changements dans la société sud-africaine, développement industriel et croissance économique, accélération de l’urbanisation, même si c’est à la manière du Tiers Monde : tout cela a conduit à un renouveau des luttes, de la jeunesse mais aussi ouvrières.

Des organisations syndicales noires sont nées dans l’action et, bien que toujours officiellement interdites, ont directement négocié avec un patronat soucieux de faire reprendre le travail et acceptant de multiplier par quatre les salaires entre 1972 et 1975. Les syndicats noirs se développèrent et furent de plus en plus nombreux à être reconnus par les patrons, y compris le puissant patronat des mines, contraint de négocier avec le NUM, le syndicat des mineurs noirs.

En 1976, le gouvernement ayant cherché à imposer la langue afrikaans dans l’enseignement fruste dispensé dans les écoles des townships, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. L’immense bidonville de Johannesburg, Soweto, se souleva. Malgré une répression féroce, l’agitation dans les townships dura deux ans et reprit périodiquement et sporadiquement, dans différentes régions, durant toute la décennie qui suivit. Pour la première fois, le gouvernement dut reculer. Non seulement sur la question de l’enseignement en afrikaans, mais sur plusieurs des restrictions que l’apartheid faisait peser sur les Noirs, les Indiens ou les Métis.

Dans ces luttes, l’ANC, même fort de l’appui du Parti communiste, n’était certes pas absent, mais il n’était plus seul. À ce moment-là, il était loin de contrôler les organisations syndicales, encore moins les multiples formes d’organisation, embryonnaires ou pas, qui naissaient dans les townships. Jusque sur le terrain du nationalisme, des groupes étaient apparus, comme la Conscience noire, inspirée des Black Panthers américains, devenue célèbre dans le monde entier après l’assassinat par la police sud-africaine, en 1977, de son dirigeant, Steve Biko, et les manifestations qui suivirent dans les townships.

En s’appuyant et misant sur le mouvement des masses, la situation aurait sans doute appelé une tout autre politique que celle qui, en fin de compte, aboutit à la disparition de la ségrégation raciale officielle mais au maintien de la ségrégation sociale de fait, et, finalement, à un nouveau régime où misère et exploitation restent le lot de l’immense majorité des travailleurs noirs et des pauvres.

Dans les années 1970 et 1980, suite à la défaite américaine au Vietnam, la politique des USA s’infléchit, ces derniers cherchant (toujours pour affaiblir le poids de la bureaucratie soviétique sur le mouvement ouvrier international et surtout sur les mouvements nationalistes) à passer des compromis avec les alliés de l’URSS et les retourner plutôt que les combattre systématiquement de front. En même temps, il y avait une radicalisation du mouvement noir américain, une certaine reprise de la lutte de classe et des vagues de grèves dans les pays développés, des tensions dans les dictatures sévissant dans les pays africains après leur accession à l’indépendance. Les circonstances auraient été favorables pour que la classe ouvrière, en Afrique du Sud comme partout où elle était mobilisée, tente de prendre la tête des luttes de tous les opprimés. Mais aucune organisation n’a pu, ou su, offrir cette perspective aux travailleurs sud-africains, aux révoltés des townships – pas plus en Afrique du Sud qu’ailleurs dans le monde…

Au contraire, l’ANC réussit à reprendre le contrôle de toutes les formes d’organisation qui surgirent, créant à cette fin en 1983 le Front démocratique unifié. Sur le plan syndical, le PC se battit pour évincer des nouveaux syndicats les militants « gauchistes » (en général seulement purement syndicalistes), sans y parvenir partout cependant, et surtout pour prendre la direction de la centrale syndicale recréée qui devint, en 1985, le Congrès des syndicats sud-africains, le COSATU. C’est ainsi que se forma l’alliance ANC-PC-COSATU, devenu le pilier du gouvernement post-apartheid.

Les grèves succédant aux grèves, les boycotts aux émeutes, la répression ne pouvait suffire à assurer un ordre compatible avec la bonne marche des affaires des groupes capitalistes. Une partie de la bourgeoisie commença à négocier directement avec les représentants de l’ANC. C’est ainsi qu’Oppenheimer, le magnat du diamant et de l’industrie minière, engagé dans l’opposition « libérale » au régime, rencontra secrètement en 1986 les représentants de l’ANC en Zambie. Peu après, le président de la République sud-africaine, Botha, envoya, secrètement toujours, son ministre de la Justice rencontrer Mandela dans sa prison, début d’une longue négociation qui mena à la fin de l’apartheid et aux premières élections ouvertes aux exclus de l’apartheid et qui porta Nelson Mandela à la présidence.

Pendant ces négociations, l’ANC fit ou laissa faire le ménage au sein des organisations noires, y compris dans ses propres rangs. Exécutions et tortures eurent lieu dans les camps militaires de sa branche armée, l’Umkhonto we Sizwe, situés dans les pays voisins. Dans les townships, les exécutions sommaires par le supplice du « pneu enflammé » ne furent pas réservées aux seuls « collaborateurs » de la police et du régime. Dans le Natal, une véritable guerre civile entre militants ANC et partisans de Buthelezi, le chef de l’organisation nationaliste zouloue, fit des milliers de morts. L’ANC, par le biais de ses multiples organisations et du soutien sans faille du Parti communiste, avait bien pour préoccupation de montrer qu’il contrôlait les mobilisations d’autant plus qu’un accord avec les dirigeants du régime d’apartheid était en vue. C’est cette capacité, autant que les engagements à ne pas toucher aux rouages essentiels de l’appareil d’État, à la simple condition que ses partisans trouvent place aux côtés des hommes de l’apartheid dans l’armée, la police et la justice, qui a assuré la « transition démocratique ».

Les révoltes de la classe ouvrière d’Afrique du Sud faisaient craindre aux classes dirigeantes de tout perdre. Grâce aux dirigeants de l’ANC, ces classes n’ont eu qu’à partager un tout petit peu le pactole en laissant une nouvelle bourgeoisie noire exploiter les travailleurs à leurs côtés.

Les dirigeants de l’ANC, et d’abord Mandela lui-même, se sont beaucoup dépensés pour ce qu’ils ont appelé la « réconciliation ». Quand ils entendaient par là éviter les affrontements raciaux, Noirs contre Blancs, voire contre Métis, Indiens ou tous ceux qui pouvaient passer pour « favorisés » par l’ancien régime, ou encore entre ethnies, comme au Natal la guerre civile entre Zoulous et non-Zoulous, ils avaient certainement raison. Le tour de passe-passe, l’escroquerie, fut qu’au nom de cette « réconciliation » ils ont maintenu les institutions étatiques comme économiques destinées à priver, en Afrique du Sud comme dans toutes les démocraties bourgeoises, les travailleurs et les pauvres de leurs droits démocratiques ou sociaux.

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