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Accueil > Les articles du site > Réunion publique du 29 novembre 2020 sur la loi de sécurité globale

La hargne et la trouille du pouvoir face aux lycéens de 15 ans !

Mis en ligne le 2 décembre 2020 Article Politique

Je suis étudiante. On a vu ces derniers temps les flics contre les mobilisations et cortèges étudiants. On les a même vus (fait assez nouveau) pénétrer dans les universités, comme à Nanterre pour disperser une AG à coups de matraque, à la suite de quoi ce sont des étudiants, militants ou non, qui ont été traduits en justice et condamnés à diverses peines, amendes ou emprisonnements, même si c’est avec sursis… J’évoque ici le cas de camarades de l’université de Nanterre, dont Victor et Roga. Leur feuilleton juridique n’est pas terminé.

Mais je voulais parler surtout, ici, de la répression toute particulière qui frappe les plus jeunes, lycéennes et lycéens de 15 à 17 ans. Parfois des images parlent d’elles-mêmes (celles-là même qui embêtent le gouvernement !) même si bien souvent les exploits policiers à la porte des lycées ne sont pas montrés aux journaux de 20 heures.

Exploits policiers récents face aux lycéens mobilisés

C’était le 5 novembre dernier. C’est une semaine de rentrée particulière à la fin des vacances de la Toussaint, car en plein « confinement »… certes pas pour les lycéens puisque le gouvernement avait décidé dès la rentrée de septembre que les établissements scolaires resteraient ouverts. Tant pis pour les clusters ! D’où des appels à « bloquer » de la part d’organisations lycéennes et de réseaux lycéens, c’est-à-dire appels à se rassembler à la porte des « bahuts » pour discuter et imposer des protocoles sanitaires suffisants – en accord avec les enseignants prêts eux aussi à se mobiliser sur cette question – et qui l’ont fait pour beaucoup.

Au lycée Saint-Exupéry à Lyon, une vingtaine de lycéens se retrouvent tôt le matin pour mobiliser contre les protocoles sanitaires insuffisants. Rapidement, ce n’est pas une ni deux mais trois voitures de la BAC qui arrivent, pour mettre fin au blocage. Et la police municipale est là aussi en renfort… Les lycéens doivent être bien menaçants !

Les forces de police chargent violemment : certains élèves sont projetés au sol. Dix sont plaqués contre les grilles de l’établissement et subissent un contrôle d’identité. Les plus indignés refusent de rentrer à huit heures malgré la levée du blocage et restent devant la grille. Un attroupement se forme peu à peu, avec pancartes, slogans écrits sur les murs, fumigènes…

La suite des évènements peut sembler irréaliste pour ceux qui ne suivent pas l’actualité des mobilisations sur les lycées. On va la raconter telle que décrite par les lycéens eux-mêmes dans leur communiqué du 7 novembre (soit deux jours après les faits) :

« La police charge, les élèves partent en courant dans des rues adjacentes. La BAC les poursuit en voiture, ils renversent deux élèves qu’ils arrêtent, ainsi qu’un.e autre lycéen.e quelques mètres plus loin. Les lycéen.nes interpellé.es se retrouvent assis.es par terre et menotté.es, un.e des deux élèves est giflé.e et son téléphone lui est confisqué. Un.e des élèves interpellé.es se fait cogner la tête contre les murs à plusieurs reprises par la police, il est plaqué.e au sol puis fouillé.e. De part ce fait, un.e élève les insulte et est tout de suite interpellé.e puis mis par terre à côté de ses camarades arrêté.es. Un.e lycéen.e photographie ses camarades menotté.es et est tout de suite interpellé.e par la police. Son appareil photo lui est confisqué et fouillé ainsi que son téléphone, iel est ensuite arrêté.e. »

Ce déferlement de violence, face à une protestation légitime, est déjà scandaleux en soi mais cela ne s’arrête pas là. Sept lycéens passeront la nuit au commissariat. À 15 ans, certains cumuleront jusqu’à trente-et-une heures de détention. Après des gardes à vue éprouvantes (physiquement et psychologiquement), ils sont mis en examen. Aujourd’hui ils attendent leur convocation au tribunal, après un premier passage devant le juge. Ils sont accusés de « participation à une manifestation armée en vue de commettre un délit, organisation d’une manifestation non déclarée, outrage à agent, violences sur agent et dégradation de biens publics » … Rien que ça !

Quittons maintenant Lyon pour Paris, dans le dixième arrondissement. C’était deux jours plus tôt, le 3 novembre. Les lycéens du lycée Colbert, se retrouvent à sept heures à la porte de leur établissement, pour les mêmes raisons. Lorsque la police arrive, déjà plus de 200 lycéens sont attroupés devant les grilles, dont certains d’autres lycées proches, car des liens existent, notamment du lycée Bergson où la mobilisation n’a pas fonctionné du fait de l’intervention de la direction. À noter que cette direction a brandi la menace terroriste et la dangerosité que représenterait un attroupement devant l’établissement pour dissuader les élèves de se mobiliser : n’importe quoi.

Au lycée Colbert donc, rapidement, les flics chargent. Une vingtaine de lycéens se prennent 135 euros d’amende pour « non-respect du confinement ». La semaine suivante, lors d’une nouvelle tentative dans le même lycée, la police est là encore plus tôt pour éviter l’installation du rassemblement à la porte. Elle finira par gérer elle-même l’entrée dans l’établissement après charges et violences en règle. Et des flics d’inspecter les carnets de correspondance, les emplois du temps et sacs, bref d’organiser l’entrée de huit heures. Ambiance…

Au lycée Brassens à Paris la même semaine, les cris de « pacifiques ! » des lycéens sont vite recouverts par des bruits de bottes et des gaz lacrymogènes. Deux lycéens de 15 ans sont interpellés, violemment. Ils n’étaient pas parmi les organisateurs de quoi que ce soit, ils serviront d’exemple.

Escalade policière à la porte des lycées

Depuis quelques années, on assiste ainsi à un durcissement de la répression des mobilisations et manifestations lycéennes. Lors de chaque mouvement ou évènement politique depuis 2016, des lycéens – certes des minorités mais non négligeables – tentent de mobiliser leurs établissements. La police, d’un mouvement à l’autre, a monté d’un cran ses méthodes d’intimidation et de répression. Heureusement qu’en face les lycéens aussi apprennent. Notons que ceux qui ont organisé les blocages contre les protocoles sanitaires cet automne sont souvent ceux qui étaient à l’initiative des débrayages contre les E3C en janvier dernier.

Revenons d’abord dix mois en arrière, à janvier 2020, avec la lutte d’enseignants (par la grève des examens) et de lycéens contre les E3C (nouveau style d’examens de contrôle voulu par Blanquer) où les flics se sont permis d’entrer dans les lycées…

La mobilisation à la porte étant d’expérience périlleuse, des lycéens avaient privilégié d’intervenir et de protester à l’intérieur même des établissements, à l’occasion des épreuves. Au-delà des personnes un peu ou très politisées, le mouvement touchait tous ceux qui ne voulaient pas passer leurs E3C dans ces conditions d’impréparation et de grève. Cela porta la mobilisation dans les salles d’épreuves devenant parfois des lieux de discussion permettant aux lycéens de s’organiser et de décider collectivement de comment faire. La répression n’a pourtant pas manqué, les flics n’hésitant pas à pénétrer directement dans des établissements et à engager des poursuites contre des lycéens. Gardes à vue comme première méthode pour calmer les jeunes (et les moins jeunes), mais ensuite des poursuites judiciaires, pour en ajouter ! Cela permet de cibler des « têtes », d’individualiser la répression, mais ce faisant de faire peur à toutes et tous, surtout face à des mineurs, à fortiori de 15 ans.

Au lycée Ella Fitzgerald à Vienne (dans le Rhône), toujours durant les E3C en janvier dernier, les lycéens rentrent dans l’établissement pour demander l’annulation des épreuves. Les policiers n’hésitent pas à entrer eux aussi ! Suite à quoi le proviseur lui-même porte plainte contre les lycéens, appelés à comparaitre devant le juge d’un tribunal pour violences envers le personnel de l’établissement et le matériel. Après une première comparution devant le juge, ils sont tous les six mis en examen et sont en attente de procès.

Ces exemples ne sont pas des cas isolés. Il est difficile de savoir combien de lycéens ou étudiants sont aujourd’hui concernés par des poursuites judiciaires. La méthode est de plus en plus utilisée depuis les Gilets jaunes.

Nouveau saut en arrière : au début de la lutte des Gilets jaunes, en 2018. Des lycéens – notamment de banlieue – ont voulu montrer leur soutien au mouvement, de différentes façons. Le lundi 3 décembre 2018, dans un moment d’enthousiasme, quelques lycéens de Roman Rolland à Ivry sur Seine ont ainsi tagué « Macron démission » sur le tableau des absences devant le lycée. La sanction est immédiate : 36 heures de garde à vue pour six jeunes ! Avec les violences qui vont avec… Quant à la principale du lycée, elle accompagne cette politique en portant plainte. Face à quoi, en solidarité avec leurs camarades, les lycéens de Romain Rolland bloquent deux semaines leur lycée. D’autres tags contre la proviseure, pas toujours du meilleur goût certes, apparaitront rapidement dans l’établissement et feront l’objet de nouvelles poursuites judiciaires et de perquisitions des mois plus tard.

Le 6 décembre 2018, un fait patent et spectaculaire de répression apparaît sur le devant de la scène, un fait qui choque. 151 lycéens de Mantes-la-Jolie, dont certains âgés de 15 ans, sont mis à genoux, les mains sur la tête, pendant des heures, puis interpellés pour avoir osé bloquer leur lycée ! Dans la vidéo, on entend un policier affirmer « voilà une classe qui se tient sage ! ». Le but : décourager les concernés et faire exemple pour les autres : « Voilà ce que vous risquez ! »

Apprentissage de la lutte !

Cette répression policière et judiciaire frappe généralement dans le silence le plus total. La direction des établissements, quand elle n’accompagne pas la répression en portant directement plainte contre les élèves ou en les livrant aux flics (comme on l’a vu à Lyon, Vienne ou Ivry), n’hésite pas à envoyer les CPE ou la direction « intermédiaire » mettre des coups de pression aux jeunes, et à multiplier les convocations.

Côté enseignant, c’est souvent le silence. Sauf quand, cas spécifique, une équipe syndicale et combative se saisit de l’affaire, ce qui reste du domaine de l’exception.

Côté parents, les risques de répression – y compris judiciaire – ont un effet direct. Même les parents les plus tolérants qui soutiennent leurs enfants et savent qu’ils ont raison, finissent par s’inquiéter des conséquences potentielles… Et d’intimer à leurs enfants de rentrer dans le rang « pour leur avenir ». À la pression de l’État s’ajoute alors la pression parentale.

Les brigades de la BAC qui débarquent sur les lycées pour faire peur et arrêter les lycéens après s’être fait largement la main – signalons-le – sur les jeunes de banlieue, sont en service commandé. Les ordres viennent de haut. Ils sont employés à une politique bien précise qui vise à dissuader les jeunes de protester, de s’organiser pour refuser des politiques contraires à l’intérêt général, de militer… en misant sur la peur que les mobilisations policières peuvent leur inspirer.

Ainsi les premières expériences de mobilisation s’accompagnent-elles des premières rencontres avec les forces de répression. Qui dissuadent… ou enseignent et aguerrissent !

Alix Nilabli

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