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La domination des vieux pays impérialistes et l’émergence de la Chine

28 septembre 2021 Article Économie

Le marché mondial n’est pas un long fleuve tranquille sur les rives duquel les populations de la planète se partageraient équitablement un flux de richesses qui s’écoule harmonieusement parmi elles. C’est plutôt une mer agitée pleine de pirates qui tentent par tous les moyens de sauvegarder leurs chasses gardées malgré les discours lénifiants sur le « libre échange sans entrave » qui servirait l’intérêt général.

D’abord il faut noter que les vieux pays impérialistes d’Europe occidentale, d’Amérique du Nord et d’Asie assurent les trois quarts du commerce mondial. Qui plus est, en valeur, les échanges commerciaux se font, pour l’essentiel, à l’intérieur de trois zones, à savoir l’Union européenne et l’Europe de l’Ouest (37 % du total), les États-Unis, le Canada et le Mexique, réunis au sein de l’Accord de libre-échange nord-américain, l’Alena (20 %) et, enfin, le Japon et une partie de l’Asie (Corée du Sud, Singapour, Taïwan) qui « pèse » environ 15 %.

Pour dire les choses autrement, l’essentiel du commerce mondial s’effectue en priorité entre une grosse cinquantaine de pays les plus riches, sur un total de 193 États que compte la planète, et concerne un peu plus d’un milliard d’individus sur une population mondiale estimée à 7,3 milliards de personnes. Ce qui reflète l’accumulation de la richesse dans une minorité de pays et de la pauvreté dans le reste du monde.

Si, parmi les dix principaux acteurs du commerce mondial, la Chine et Hong Kong [1] occupent désormais la première place, huit autres sont liés aux vieilles puissances impérialistes. Cinq se trouvent en Europe de l’Ouest (Allemagne 3e, Pays-Bas, 5e, France, 6e, Royaume-Uni 8e, Italie 10e), un dans l’Alena (les États-Unis, 2e), et deux autres en Asie (Japon 4e, République de Corée, 9e).

Ce poids des puissances impérialistes traditionnelles se reflète aussi dans le fait que ce sont leurs monnaies qui sont les plus utilisées dans les échanges internationaux. En 2018, le dollar était à lui seul la monnaie dans laquelle se faisaient plus de 40 % de ces échanges, l’euro 33 % et la livre sterling 7 %. Le reste se partageait entre le yen japonais (3,5 %) et le yuan chinois (1,9 %), ce dernier au même niveau que les dollars canadien et australien et que diverses autres monnaies nationales.

Le dollar reste tout puissant

Le dollar américain s’impose toujours au niveau des opérations commerciales, mais son poids est encore plus écrasant dans les opérations de change qui s’effectuent à 87 % en monnaie américaine. En outre, 75 % des billets de 100 dollars circulent en dehors des États-Unis et le dollar entre à 60 % dans les réserves des banques centrales des différents pays. L’impérialisme américain utilise la prépondérance de sa monnaie (et sa puissance militaire) pour interdire, totalement ou partiellement (c’est-à-dire pour certains produits dits stratégiques), sous peine de sanctions, aussi bien à certains pays qu’à certaines banques et à certaines firmes industrielles de commercer avec des États qui figurent sur sa liste noire (par exemple Cuba et l’Iran). Une entreprise qui passerait outre ce veto – voire qui emploierait des collaborateurs américains dans ses transactions – se verrait fermer le marché nord-américain, serait éventuellement condamnée à de lourdes amendes par les tribunaux US, ces sanctions pouvant être étendues à ses clients, fournisseurs, investisseurs, etc. Et bien peu de capitalistes sont suffisamment téméraires pour défier Washington, « business is business » !

L’euro tente de concurrencer le dollar dans les échanges internationaux. Il n’y est que partiellement parvenu. En valeur, on estime qu’entre 20 et 25 % des billets en euro sont détenus hors zone euro, principalement dans les pays européens limitrophes. Quant aux réserves des banques centrales en euros elles sont de l’ordre de 20 %, soit trois fois moins que celles libellées en dollars.

Même si les 340 millions d’habitants de la zone euro représentent toujours le premier marché du monde, aussi bien au niveau des biens que des services, devant celui formé par les 390 millions qui vivent dans les pays de l’Alena (dont les échanges ont été multipliés par trois depuis sa création en 1994), il n’empêche que la monnaie européenne n’est jamais parvenue à menacer sérieusement la domination du roi dollar.

L’émergence de la Chine

La guerre commerciale qui a opposé l’Amérique de Donald Trump à la Chine de Xi Jinping – et qui se poursuit aujourd’hui sous Biden, pas forcément de façon plus feutrée – a remis la Chine au premier plan de l’actualité internationale.

Ce pays a accédé tardivement au marché mondial. Il n’est devenu membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qu’en 2001. Jusqu’alors, une grande partie de ses échanges avec le reste du monde s’effectuait par le biais de Hong Kong, (colonie britannique installée sur son territoire dont elle n’a récupéré la souveraineté qu’en 1997). Ce territoire, de 1 100 km2 (la taille d’une petite ville comme Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais), peuplé de 7,5 millions d’habitants, sert de porte d’entrée et de porte de sortie à la Chine sur le monde, notamment en direction des pays développés du monde occidental et asiatique. Cette position pivot a permis à Hong Kong de se hisser au 7e rang du commerce international et de devenir la 3e place financière du monde derrière Londres et New-York, en abritant les succursales des plus importantes banques du monde, qu’elles soient américaines, suisses, nippones, luxembourgeoises, allemandes ou françaises. De plus, depuis janvier 2020, ces banques peuvent ouvrir des succursales en Chine continentale sans plus avoir besoin de s’associer à un partenaire chinois.

La construction d’un État fort

À travers la marche au pouvoir du Parti communiste chinois qui a abouti à la révolution maoïste de 1949, la Chine s’était dotée d’un solide appareil d’État que le régime totalitaire a renforcé dans les années 1950 et qui a été capable de résister à la pression des puissances impérialistes occidentales : il a conservé le contrôle sur l’ensemble de l’économie chinoise et, après la mort de Mao, l’ouverture de la Chine aux investissements étrangers réalisée par Deng Xiaoping s’est faite là encore sous contrôle, entre autres en imposant aux investisseurs des partenariats avec des firmes chinoises.

Pays largement sous-développé jusqu’au début de ce siècle, doté d’une population qui atteint aujourd’hui 1,4 milliard de personnes, la Chine a d’abord été attractive pour les capitaux étrangers qui ont trouvé sur place une main-d’œuvre à très bon marché. Au début du xxie siècle, elle est donc devenue en quelques années « l’atelier du monde » qui produisait à bas coût vêtements, appareils électroménagers, téléphones portables, etc. Mais les donneurs d’ordre restaient les firmes étrangères vers lesquelles étaient réexpédiés les produits assemblés sur place.

Ensuite l’État chinois, aidé en cela par les capitaux chinois basés à Hong Kong (ou de Taïwan entre autres via Hong Kong) a favorisé l’émergence d’une bourgeoisie locale, en aidant à mettre sur pied des entreprises privées qui sont étroitement surveillées par le pouvoir et dont les patrons sont, en général, des membres éminents du Parti communiste chinois.

Cela a conduit à la création d’un marché intérieur largement limité à la zone côtière mais suffisamment étendu pour inciter les constructeurs automobiles étrangers ou les firmes spécialisées dans les produits de luxe à s’installer sur place pour vendre leurs produits aux nouveaux millionnaires chinois et à la nouvelle « classe moyenne ». Puis, grâce notamment aux commandes d’État, Pékin a mis le pied à l’étrier des capitalistes nationaux susceptibles de concurrencer leurs concurrents étrangers, non seulement sur le marché intérieur mais aussi sur les marchés étrangers.

Dans le même temps, l’État chinois investissait massivement dans la recherche, en subventionnant à la fois les universités scientifiques et les centres de recherche-développement des grands groupes, tout en attirant les chercheurs étrangers, notamment japonais.

Cela lui a permis de faire émerger à l’international des firmes spécialisées dans la reconnaissance faciale – Megvii, SenseTime et Yitu –, valorisées chacune à plus d’un milliard de dollars et qui vendent leurs logiciels à une soixantaine de pays, principalement des dictatures et régimes autoritaires du monde entier. De même, Huawei (dont on connait les démêlées avec les États-Unis), devenu le numéro un mondial des équipements de télécoms, a fait de la technologie 5 G sa priorité.

Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Les produits électroniques fabriqués en Chine, même les plus sophistiqués, se font semble-t-il pour l’essentiel, dans le cadre de contrats passés avec les grands groupes occidentaux, notamment les américains Nvidia, Google, Intel et Xilink. Ce n’est souvent que la dernière étape – l’assemblage du produit –, qui est réalisée sur le sol chinois. La Chine fait venir massivement les composants électroniques de pays voisins comme le Japon et la Corée du Sud, (elle réalise 53 % de ses échanges extérieurs avec les pays asiatiques) et exporte ensuite les produits finis vers l’Occident.

Cette dépendance a été illustrée récemment par la grave pénurie de puces électroniques (indispensables au fonctionnement des smartphones, des automobiles, des ordinateurs, etc.) qui a touché l’économie mondiale du fait notamment de la pandémie. On s’est alors rendu compte que sur les quinze premiers acteurs mondiaux de ce marché, huit se trouvaient aux États-Unis, deux à Taiwan, deux en Corée du Sud, un au Japon, un en Allemagne et un aux Pays-Bas… et aucun en Chine. Or, sans ces puces, c’est l’ensemble de l’industrie – électronique bien sûr, mais pas seulement, loin s’en faut, les puces étant désormais indispensables à la plupart des produits industriels – qui est paralysée. De ce point de vue la Chine, loin de s’être émancipée du marché mondial, en reste étroitement dépendante. Ses rapports avec les États-Unis sont donc complexes. Tout en tentant de lui interdire de prendre pied dans des secteurs qu’il estime vitaux, l’impérialisme américain entend bien, dans le même temps, profiter du marché chinois, tant au niveau de la main-d’œuvre, des matières premières que de la consommation. C’est pourquoi, à la politique d’endiguement en vigueur à l’époque de la guerre froide, a succédé une ère où collaborations et affrontements alternent ou coexistent, et cela sous les présidences de Bush, Obama, Trump ou Biden.

L’ouverture des routes de la soie

C’est en 2013 que le gouvernement chinois a dévoilé son projet de « Nouvelles routes de la soie » dont le nom officiel est « Initiative ceinture et route ». Il s’agit de mettre sur pied un ensemble de liaisons maritimes et ferroviaires reliant la Chine à l’Europe. Le rail passerait par le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni pour aboutir aux Pays-Bas. Selon Pékin 3 700 trains de marchandises reliaient la Chine à l’Europe occidentale en 2007, chiffre qui a grimpé à 12 000 en 2020 et devrait s’établir entre 15 000 et 16 000 cette année. Pour l’essentiel, ces trains transportent des machines-outils, des objets en textile et des pièces détachées pour l’automobile.

Quant à la voie maritime, elle partirait de Chine pour aboutir à Venise avec des escales asiatiques (Vietnam, Indonésie, Malaisie, Inde et Sri Lanka), africaine (Kenya) puis, via le canal de Suez, européenne (Athènes). Depuis 2016, le port d’Athènes, le Pirée, a été privatisé et est passé aux mains de l’entreprise chinoise Cosco. Il est devenu la principale porte d’entrée des marchandises chinoises en Europe.

Officiellement, cette politique a pour but de promouvoir la coopération pacifique entre les pays de l’Eurasie et de l’Afrique et de les faire tous bénéficier des bienfaits du commerce international. Plus prosaïquement, il s’agit pour la Chine de s’assurer par ce biais des débouchés pour ses produits. Elle investit donc massivement dans des projets d’infrastructures (outre le contrôle du Pirée, il y a eu la prise de participation dans des entrepôts de conteneurs dans les ports de Rotterdam aux Pays-Bas, Zeebrugge et Anvers en Belgique, Dunkerque, Le Havre et Marseille en France), la construction de gazoducs et de voies ferrées en Asie centrale (Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizistan), dans le Sud-Est asiatique (Vietnam, Thaïlande, Sri Lanka) mais aussi le lancement de chantiers de routes, canaux, chemins de fer, ports et zones industrielles en Afrique.

En ce qui concerne ce dernier continent, Pékin a d’ailleurs accordé très généreusement des prêts à nombre de pays africains pour réaliser ces travaux, le plus souvent confiés à des entreprises chinoises qui emploient une main-d’œuvre venue de Chine. Le remboursement se fait par le biais des dettes publiques, c’est-à-dire au moyen des impôts prélevés sur les populations. Cette « générosité » a fait que la Chine est devenue en 2020 le premier partenaire économique du continent africain… mais aussi le premier créancier des pays pauvres. Sa part dans la dette totale due par les pays pauvres aux membres du G20 [2] est passée de 45 % en 2013 à 63 % en 2019, le deuxième créancier, le Japon, restant loin derrière, stable à 15 %. En fait, par le biais du remboursement des dettes publiques, la Chine prend largement part à l’exploitation féroce des pays du Tiers Monde.

Du rêve à la réalité

La Chine est désormais le premier exportateur mondial devant l’Union européenne et les États-Unis. Son produit intérieur brut (PIB) – qui mesure plus ou moins la richesse nationale produite à l’intérieur du pays – se plaçait en 2019 à l’échelle internationale en troisième position (15 % du PIB mondial) derrière ceux de l’Union européenne (22 %) et des États-Unis (23 %). Les chiffres ajustés pour tenir compte du pouvoir d’achat dans chaque pays donnent même la première place à la Chine (PIB en parité de pouvoir d’achat). Cela démontre une remarquable progression économique du pays, progression liée à un État hyper-centralisé capable de mobiliser tout à la fois des ressources naturelles, des ressources financières et une main-d’œuvre abondante et bon marché. Reste à croire sur parole les dirigeants chinois qui affirment que leur pays dépassera les États-Unis en 2049 (pour le centième anniversaire de la victoire de Mao Zedong).

De la propagande à la réalité, souvent un fossé

D’abord parce que les prévisions économiques de ce genre, portant sur plusieurs décennies, sont toujours sujettes à caution. Ensuite, parce que, si la Chine est parvenue à se faire une place notable dans le monde dominé par l’impérialisme, elle arrive très tard dans un marché mondialisé que se sont déjà partagé depuis longtemps les États-Unis et leurs alliés, partage qu’ils sont prêts à défendre bec et ongles par des moyens économiques, diplomatiques… voire militaires. De plus, même en jouant sur les rivalités et les contradictions inter-impérialistes, elle ne peut réellement s’appuyer que sur des pays en voie de développement auprès desquels elle se fait la championne de l’ouverture économique, du libre-échange et du multilatéralisme contre la toute-puissance américaine. Mais, économiquement et politiquement, ces pays pèsent peu.

Enfin, elle reste elle-même un pays encore sous-développé sous divers aspects. Son revenu par habitant est l’équivalent de 9 608 dollars, soit environ six fois moins que celui d’un citoyen américain (62 606 dollars). Si l’on rapporte son PIB à sa population, elle se place à la 72e place au classement mondial 2020 du Fonds monétaire international, entre le Mexique et la Turquie. C’est même pire en rapportant son PIB en parité de pouvoir d’achat à sa population (elle est alors au 82e rang, derrière l’Azerbaïdjan ou l’Irak).

Intégré au marché mondial, Pékin a toujours accepté une règle du jeu largement imposée par les pays capitalistes avancés. À l’occasion d’une crise économique, politique ou autre, le régime chinois pourrait tenter de rebattre une partie des cartes à son avantage. Mais est-il en position de renverser la table ? Cela reste à voir !

J.L.


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[1En fait, dans ce classement mondial, les organisations internationales (OMC, FMI, Banque mondiale) différencient généralement la Chine (1e) et Hong Kong (7e).

[2Le G20, ou Groupe des 20, réunit les 20 pays les plus riches du monde. Il comprend l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, la France, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, le Japon, le Mexique, le Royaume-Uni, la Russie et la Turquie et enfin l’Union européenne représentée comme telle.

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