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La SNCF improvise les mesures sanitaires mais garde le cap de la rentabilité sur le dos des cheminots et des usagers

21 avril 2020 Article Entreprises

Le samedi 18 avril se tenait une réunion en ligne de cheminots du NPA de différents services et différentes régions. Cette deuxième rencontre à distance a permis d’échanger sur les attaques patronales en cours et à venir et sur les moyens de s’y opposer.

Nous reproduisons ce compte-rendu publié initialement sur le site du NPA

La crise du coronavirus a exacerbé les problèmes d’organisation de la SNCF. Saucissonné en différentes entreprises, entités, activités, chacune d’entre elles ayant pour objectif la rentabilité, le groupe ferroviaire, comme l’hôpital public, n’a pas connu de gestion unifiée de la crise sanitaire, laissant l’initiative à des dirigeants locaux plus ou moins inspirés.

Mais derrière la diversité des situations dans cette entreprise très éclatée, les cheminots retrouvent des constantes, la principale étant que c’est la solidarité qu’ils ont réussi à maintenir entre eux malgré les tentatives nombreuses de les diviser qui a permis à bien des travailleurs du rail de défendre leur peau.

Dans le rail comme ailleurs, le travail est un foyer de transmission !

Même pour les élus CSE, difficile d’accéder aux informations sur les collègues touchés par la maladie. Sur la région de Paris-Est, deux collègues de la sous-traitance sont décédés du Covid-19, et la direction, dans sa communication très tardive sur ces décès, n’a même pas pris la peine de mentionner le nom des collègues : un agent de sécurité qui travaillait dans les locaux de Paris-Est et un agent de nettoyage du tram-train dans le 93. Un collègue a passé douze jours en réanimation.

Sur la zone des gares de Montparnasse et d’Austerlitz, même constat : c’est dans le secteur du nettoyage où la situation est la plus grave, un secteur dominé par la sous-traitance et dont l’organisation n’est pas en général la priorité des militants syndicaux, sauf effort volontariste de camarades qui combattent le corporatisme. Même avec des données partielles et limitées aux seuls cheminots de la SNCF, on remarque des chaînes de contamination propres au lieu de travail : certains foyers sont très importants sur des sites bien délimités. Par exemple, peu de cas dans un atelier du 13e arrondissement de Paris quasiment à l’arrêt car on y répare les rames « corail », mais bien plus dans l’atelier de Trappes (78) qui s’occupe des trains de banlieue et qui est resté en activité même réduite.

Partout les mesures sanitaires sont très insuffisantes même si certaines, indispensables, ont été imposées à la direction au gré des protestations et des droits de retrait. Au début du confinement le 16 mars, rien. Aujourd’hui les cabines de conduite sont désinfectées chaque jour, des lingettes sont mises à disposition des conducteurs et les relèves sur une même machine sont limitées.

On reste loin des prescriptions réglementaires établies par la SNCF elle-même à l’occasion du risque pandémique de grippe H1N1. En théorie on parle de virucides, de masques FFP2 pour tous les collègues au contact du public… Dans la pratique on attend la réalisation de la promesse d’obtenir deux masques chirurgicaux par service – ces masques qui deviennent inutilisables après un encas ou une cigarette.

La légèreté sur les masques se retrouve même dans les préconisations communiquées par la direction : pour les conducteurs, un kit d’intervention auprès de voyageurs malades contient des gants, du gel et deux masques chirurgicaux, qui sont conseillés non pas pour se protéger d’une infection mais pour en protéger les autres…

Habitudes chamboulées, stress, circulations inhabituelles, la situation explique la recrudescence des « événements sécurité ». Un accident mortel, qui ne serait pas arrivé dans un autre contexte, a emporté un cheminot lors de la première semaine du confinement dans l’Est, de nombreux autres incidents n’ont heureusement pas eu de conséquences aussi définitives.

Cette semaine un « guide méthodologique » rédigé à l’intention de la hiérarchie mais qui circule très largement, illustre l’application des gestes barrière dans différents métiers. Mais la plupart de ces recommandations sont inapplicables. La question de l’organisation du travail dans cette situation de risques sanitaires est épineuse. Seuls les cheminots eux-mêmes peuvent y répondre, en coordonnant leurs expériences de terrain et à condition de ne pas être limités par des considérations de budget à tenir, de rentabilité ou de politique du chiffre. Pour organiser les mesures sanitaires dans le ferroviaire et leur contrôle, les cheminots ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Et une telle organisation serait en soi un plan de lutte, bien nécessaire, qui devra être rythmé comme tel, à l’image des grèves des années précédentes, par des AG interservices quotidiennes et une coordination entre elles.

Le 11 mai, toutes et tous confinés comme des sardines dans les transports ?

Si les grandes lignes sont prévues de rester en service réduit jusqu’en juillet, les « trains du quotidien » devront être à nouveau opérationnels dès le 11 mai, date de fin du confinement décidée par l’exécutif – ou plutôt date de fin des opérations qui permettent le déconfinement, bien que celles-ci soient à peine entamées.

Si le gouvernement pense avoir résolu le problème des salariés en congé spécial pour garde d’enfant – sur la Ligne C du RER, cela concerne presque 40 % des conducteurs – en ouvrant les écoles à marche forcée (démontrant par-là dans quelle haute estime il tient l’éducation, réduite au rôle de garderie du Medef), comment faire respecter gestes barrière et distance sociale dans les transports en commun ?

Problème épineux qui nécessiterait d’augmenter considérablement l’offre de transport et le nombre de travailleurs qui la rendent possible, qui poserait la question d’étapes supplémentaires vers le retour à la normale, en exigeant la fermeture des productions non essentielles qui sont restées ouvertes, en prolongeant la mise en sommeil de celles qui ont fermé, en aménageant les horaires dans les autres...

Délicat et coûteux. Mais les patrons de la SNCF, de la RATP, de Keolis et de Transdev ont une solution plus économique : dans un courrier adressé à Édouard Philippe, ils ont demandé (et les demandes de ces messieurs sont des exigences) de rendre le port du masque obligatoire dans les transports. En précisant bien qu’ils ne s’engagent pas à les fournir ; qu’il faudra taxer les contrevenants d’une amende (une mesquinerie à laquelle de nombreux contrôleurs se refusent déjà) ; et que cette solution miracle viendrait remplacer les mesures de distanciation sociale. Pour le moins contradictoire avec les préconisations du ministère de la santé, mais on n’est pas à une contradiction près. Dans sa conférence de presse fleuve du dimanche 19 avril, le premier ministre a annoncé avoir retenu cette proposition !

En attendant le 11 mai, le déconfinement c’est maintenant ! En première ligne, les cheminots de l’équipement, qui interviennent notamment sur les voies et ceux de la maintenance des trains dans les ateliers.

Les chantiers ferroviaires ne se sont jamais vraiment interrompus. D’après la direction ils avaient été réduits aux interventions essentielles à la sécurité des circulations restantes. Mais depuis deux semaines, au nombre de collègues qui travaillent sur les voies, il semble qu’il y ait eu un glissement de l’essentiel à l’accessoire. Dans le Grand Est les opérations de ballastage ont repris pour permettre de lever les limitations temporaires de vitesse sur certains tronçons. Essentiel ?

Les plus gros travaux, ceux qui impliquent en général Bouygues ou Vinci comme sous-traitants sont programmés en été. Les cheminots des bureaux d’étude travaillant depuis chez eux, planchent dessus en amont et, pour ne pas les retarder, il leur est demandé de se déplacer pour se rendre sur place pour réaliser les tâches impossibles à assurer en télétravail.

Les chantiers d’investissement (par opposition à l’entretien) reprennent déjà plein tube, à l’image du projet très contesté de liaison CDG express. Un comble quand on sait qu’il y a eu une absence totale d’investissement dans la régénération du réseau ces trente dernières années, ce qui explique son état déplorable.

Dans ces services, des réactions sont disparates : d’un côté les droits de retrait continuent, sans que la direction n’ose les mises en demeure ou sanctions, de l’autre certains collègues pris à la gorge financièrement se sentent tenus de venir travailler pour engranger les primes qui forment une partie importante de la rémunération. Le mouvement s’entretient de lui-même dans les transports : plus le travail reprend, plus il y a de monde dans les trains, plus il y a de monde et plus il faut ajouter des trains… Ce qui inquiète aussi dans les postes d’aiguillage, confinés et surpeuplés en temps normal et dont certains, comme à Marseille, ont dû recourir à la menace du droit de retrait pour obtenir de travailler en effectif réduit afin de respecter les distances de sécurité. Quelles conditions pour un retour à la normale ? La première serait de ne pas se précipiter…

C’est peut-être au contrôle que le droit de retrait a été le plus utilisé et ce dès le 16 mars, voire avant dans certains endroits pour imposer la fin des opérations de contrôle. À Tours, depuis le 16 mars, une partie des contrôleurs sont en droit de retrait et les absents dans le cadre de garde d’enfants ne reprendront pas le travail le 11 mai. Ces cheminots mobilisés ne transporteront pas les travailleurs pour les protéger contre l’exposition au Covid-19.

De fait la question des conditions de cette reprise à la fois pour les cheminots et pour les usagers sera au centre des bagarres qui reprendront, nous le souhaitons, le 11 mai ou en tout cas au moment du retour physiquement au travail de tout l’effectif cheminot. Les réactions sont nombreuses autour des conditions de travail dans le ferroviaire, mais aussi plus généralement à propos du retour des enfants à l’école ou des conditions dans lesquelles organiser un transport qui ne propage pas la maladie. De ces préoccupations individuelles pourront naître des discussions collectives, puis des revendications, à condition que des militants se mettent en position de proposer au plus vite de renouer avec les AG que bien des cheminots ont fréquenté deux mois d’affilée pendant le mouvement contre la retraite à points.

À la SNCF comme ailleurs, ce n’est pas aux travailleurs de payer la crise !

La « guerre contre le virus » n’a pas atténué la guerre sociale, bien au contraire. La SNCF a déjà prévu le déconfinement des entretiens et conseils de discipline dès le mois de mai, avec sanction pouvant aller jusqu’au licenciement contre des militants syndicaux et élus (région de Paris-Est).

Congés

La direction maintient ces mesures pour exercer une pression sur tous les cheminots, afin par exemple de leur voler cinq jours de RTT, posés de force au mois d’avril. Les réactions ont été diverses : d’un côté une certaine adhésion, très différenciée suivant les catégories et surtout portée par ceux qui ne travaillent pas depuis le début du confinement. De l’autre un fort rejet venant de ceux qui sont au boulot.

À la conduite au dépôt de Trappes, non seulement de nombreux cheminots ont refusé de poser ces cinq jours, mais ceux qui n’ont pas lâché le morceau et se sont organisés collectivement ont pu obtenir la restitution d’une partie des jours volés. La direction locale a choisi de reculer face à ceux qui ont bagarré, même si elle a gagné sur tous les cheminots qui n’ont pas réclamé.

À la gare Saint-Lazare une pétition mise en ligne par Sud-Rail a récolté presque 800 signatures en quelques jours : un succès, rapporté à l’effectif concerné. Dans la région de Strasbourg, les aiguilleurs se sont concertés pour envoyer tous la même lettre type de réponse à la direction, initiative qui a permis de marquer un refus collectif, même si elle n’a pas empêché sa mise en place.

À Marseille, alors que cette annonce avait déjà fait réagir, la direction locale a imposé un repos le lundi de Pâques à tous ceux qui n’étaient pas physiquement au poste, ce qui a mécontenté ceux qui comptaient se faire payer la fête. Partout les discussions ont rebondi après les déclarations du patron du Medef : il est devenu alors évident pour un milieu large que ces cinq jours n’étaient qu’un apéritif, une première étape qui en appelle d’autres.

Chômage partiel

D’autant que la SNCF elle-même ne fait pas autant de perte que ce qu’elle annonce : les subventions des collectivités au transport en commun sont maintenues en régions et elle peut profiter du chômage partiel qu’elle ne s’est pas privée de mettre en place. Comme en plus elle fait partie des entreprises à qui on a ordonné de ne pas verser de dividendes… à son seul actionnaire qui est l’État, cette crise ne lui coutera finalement pas grand-chose !

Ce qui n’empêche pas les tentatives crapuleuses : sur la région de Paris-Est, la direction voudrait mettre au chômage partiel rétroactivement depuis le 16 mars les cheminots programmés en « journées blanches » durant lesquelles les collègues étaient certes à la maison mais sollicités d’une manière ou d’une autre (appels téléphoniques de la hiérarchie, réunions en téléconférence, formation en e-learning, etc.).

Salaires

Une réflexion significative, entendue à l’atelier de Trappes : « Les ordonnances quand elles tombent on se les prend, mais la prime on n’y a pas droit… » Car en plus des aspects sanitaires, c’est le problème récurrent des salaires qui rejaillit avec les pertes de rémunérations variables liées au confinement. À Marseille, une pétition pour le maintien de la rémunération a recueilli 30 signatures en quelques heures dans un service de 50.

Si les primes de 1 000 euros relèvent d’une politique de salaire de la peur, la moindre des choses serait qu’elles soient généralisées à toutes celles et ceux qui ont travaillé dans cette période de confinement. Revendication qui s’accompagne nécessairement, à la suite des nombreux « coups de gueule » de soignants qui circulent largement en vidéo, de celle d’augmentation générale et uniforme des salaires : 500 euros en plus par mois pour tous !

Retraites

Les cheminots ont passé les mois qui précédaient le confinement en mouvement contre la réforme des retraites. Aux annonces économiques catastrophiques d’un recul de 10 % du PIB cette année, beaucoup se sont souvenus de la promesse de fixer le montant des pensions comme un pourcentage du PIB. Dans une récession comme aujourd’hui, on aurait eu droit à un rabot automatique de 10 % sur les retraites ?

Alors qu’une journée de grève était prévue le 31 mars, le confinement a coupé court aux tentatives des militants d’organiser la deuxième mi-temps de la mobilisation. L’annonce de Macron, contraint et forcé de suspendre la réforme dès le début de la crise sanitaire, est à mettre à l’actif de la mobilisation du monde du travail à laquelle les cheminots ont beaucoup contribué.

Il faudra montrer rapidement que cette lutte n’est pas oubliée, que ce rapport de force que nous avons construit n’a pas disparu. C’est ce qui permettra d’enterrer définitivement cette retraite à points et de combattre les sales coups qui commencent à pleuvoir au nom de la crise économique.

Correspondants

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