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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 59, septembre-octobre 2008

La Poste marchand de sommeil

Mis en ligne le 2 octobre 2008 Convergences Entreprises

Planté parmi des cités de Nanterre (92), le foyer Siegfried, un gros bâtiment de quatorze étages, grisâtre et décrépit, surplombe le quartier. Dans le sombre hall d’entrée, une salle commune désespérément vide : « De toute façon, c’est comme la salle de muscu, ça fait des années qu’on n’y a plus accès. C’est toujours fermé !... » , souligne un résident. Au fond, sur les deux ascenseurs, un seul fonctionne. L’autre est en réfection depuis des mois.

Dans les étages, de longs couloirs sombres et sinistres ; deux douches et deux toilettes par étage (soit pour douze chambres) ; aucune salle de réunion ou autre lieu de convivialité, pas même de cuisine collective alors qu’il est interdit de cuisiner dans les chambres, le tout dans un état de délabrement et de saleté avancé. Il n’y a qu’un seul employé pour assurer l’entretien des 14 étages. « Là, ça fait quinze jours qu’il est malade et pas remplacé, donc c’est encore plus dégueulasse que d’habitude... » , explique une autre résidente.

Bref, il s’agit d’une sorte de foyer-dortoir sinistre et anonyme où personne ne se connaît, avec néanmoins certaines spécificités pour le moins étranges.

Drôles de petits arrangements

D’abord, son montage immobilier : contrairement aux autres foyers, les murs n’appartiennent pas à La Poste, mais à une société immobilière, Aximmo, qui loue le bâtiment à une association de type loi 1901 dénommée l’Agefoh (Association de gestion des foyers d’hébergement) qui ressemble fort à un écran de fumée : La Poste en est l’unique adhérent, le président de l’Agefoh est un cadre supérieur de La Poste et elle est domiciliée dans les locaux du Service logement de La Poste.

Autre spécificité, le foyer Siegfried facture de l’électricité à des tarifs délirants, plus chers que ceux pratiqués par EDF (jusqu’à 190 € mensuels), alors que les résidents n’ont pas d’abonnement individuel à EDF, donc pas de relevé individuel ; et que dans tous les autres foyers la redevance mensuelle est nette de toute charge. Ici, La Poste pratique donc ce qui semble s’apparenter à de la revente d’énergie, ce qui est totalement illégal. Cela fait des années que cela dure et les sommes ainsi détournées doivent représenter un montant colossal, dépassant largement la centaine de milliers d’euros.

Par ailleurs, comme si la facture n’était pas assez salée, les gestionnaires du foyer ont eu la bonne idée d’imposer la souscription à une assurance d’habitation, alors que le règlement régissant les foyers conseille (et seulement conseille) aux résidents d’être couverts par une simple « sécurité civile ». Chose curieuse, presque ubuesque, ce même règlement interdit la pose d’un second verrou sur les portes, et annule par ce simple fait toute couverture du risque de cambriolage puisque les assurances ne fonctionnent que si le logement est protégé par deux « points de sécurité ». Cette élégante solution permet par contre à l’Agefoh de laisser aux résidents (et à leurs propres assurances) les viles questions financières liées à un dégât quelconque.

Enfin, dernière particularité, le quatorzième et dernier étage est occupé par la direction départementale de La Poste des Hauts-de-Seine (DOTC 92) où elle a aménagé bureaux et salle de réunion, alors qu’elle n’est pas propriétaire des lieux et ne paye pas de loyer pour cet usage. En termes juridiques, on pourrait évoquer... l’abus de bien social caractérisé.

Le comité de résidents

Cela fait des années que les résidents se plaignent du coût exorbitant en regard de la prestation fournie. Comme le dit l’un d’eux, « déjà que La Poste nous exploite au boulot, en plus elle nous escroque sur le logement !... » .

L’hiver dernier, deux résidents ont effectué des démarches individuelles (courriers à l’Agefoh, prise de renseignements auprès de l’Adil, refus de payer les augmentations de redevance...) qui se sont soldées par l’assignation de l’un d’entre eux au Tribunal pour non-paiement. Ils ont alors saisi la CGT du centre de tri de Nanterre et se sont organisés en comité de résidents avec l’appui de SUD-PTT-92, et de la CGT-PTT-92. Depuis fin mars, une quinzaine de réunions ont eu lieu de façon régulière, réunissant entre dix et vingt-cinq résidents. Le comité a fait circuler une pétition, et a recueilli une soixantaine de dossiers pour exiger le remboursement de l’électricité. Mais il a surtout permis un certain nombre d’avancées.

Les reculades successives de La Poste

Au départ, le président de l’Agefoh jurait qu’il n’y avait aucune irrégularité et qu’il était normal que les résidents paient l’électricité, qui plus est à ce tarif. Peu après, il recontactait tout affolé les syndicats, prêt à négocier les trois cas les plus litigieux pour étouffer l’affaire, mais en refusant de recevoir les résidents en audience au motif que ceux-ci seraient « incontrôlables ».

Par la suite, trois audiences, épiques de mauvaise foi, ont eu lieu avec des résidents, à l’issue desquelles la direction du Service logement de La Poste annonçait dans un courrier (bourré de fautes d’orthographe) qu’à partir du mois de juin les résidents ne paieraient plus d’électricité. Elle cherchait encore à s’en tirer en acceptant de rembourser uniquement ceux dont la redevance et l’électricité dépassent 33 % (ramenés à 30 % lors d’une audience ultérieure) de leurs revenus, c’est-à-dire très peu de monde. Les résidents ont continué à exiger le remboursement intégral de l’électricité, faute de quoi l’affaire serait mise sur la place publique. Nouvelle pirouette de la part de l’Agefoh qui finalement veut bien rembourser rétroactivement, mais uniquement à partir de juillet 2005, et sous certaines conditions. Elle a par ailleurs levé les poursuites judiciaires engagées envers un des résidents.

Mais les postiers du foyer veulent continuer leur action jusqu’au remboursement intégral. Ils exigent par ailleurs le remboursement des assurances locatives qu’ils n’avaient pas à payer, ainsi qu’une amélioration des conditions d’hygiène et la création de lieux de vie collective. Ils seront fixés sur les résultats début octobre, lors d’une nouvelle audience avec l’Agefoh qui semble maintenant prête à les rembourser au plus vite, afin de se débarrasser définitivement de cette affaire encombrante.

Pierre OLIVIER


Des foyers… de mécontentement

Les foyers d’hébergement pour postiers débutants datent de l’époque où La Poste recrutait encore des fonctionnaires par voie de concours nationaux. Ces foyers leur permettaient de se loger à moindre frais en région parisienne pendant quelques années, en attendant leur retour en province par mutation. Depuis plusieurs années ces concours ont disparu et La Poste ne recrute plus que des CDI (ou des CDD, voire des intérimaires). Dans la même logique de privatisation et de course à la rentabilité, elle se débarrasse aussi progressivement de toutes les activités jugées non rentables (comme la restauration d’entreprise ou le social), pour se « recentrer sur le cœur de métier » .

Ainsi, nombre de ces foyers d’hébergement ont disparu en Île-de-France, d’autant que leur revente permet à La Poste de réaliser de juteuses plus-values immobilières. Or les maigres salaires des postiers (1059 € net mensuels pour un CDI débutant) ne leur permettent pas de se loger en région parisienne, surtout que le parc locatif HLM proposé par le GIC-La Poste (équivalent du 1% patronal) est largement insuffisant, condamnant de fait beaucoup de postiers à rester indéfiniment dans ce mode d’hébergement pourtant « provisoire » .

Une des particularités de ces foyers est qu’étant un mode d’hébergement provisoire, la redevance mensuelle augmente tous les ans pour inciter les résidents à ne pas y rester (une mesure d’ « ordre pédagogique » d’après un responsable régional). Résultat : certains payent près de 400 € par mois pour une chambre de 11 m2 (sans douche ni WC), et 500 € pour un studio de 20 m2.

P.O.

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