Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 116, décembre 2017

La Catalogne en campagne électorale

13 décembre 2017 Convergences Monde

Dans le numéro 115 de Convergences révolutionnaires, nous avions consacré un dossier à la situation en Catalogne, « S’opposer à la politique répressive de Rajoy, soutenue par Paris, Berlin et Washington, sans s’aligner sur le nationalisme catalan ». Car s’opposer aux coups de matraque de Rajoy, à l’occasion du référendum organisé par le gouvernement catalan le 1er octobre, ne signifie pas devoir défendre la perspective d’une Catalogne indépendante. D’autant plus que, si l’aspiration à l’indépendance s’est accrue ces dernières années en Catalogne, elle est bien loin d’être unanime. La fuite en avant des nationalistes bourgeois catalans vers l’indépendance entamée en 2012 vise d’abord à cacher leurs politiques anti-ouvrières et d’austérité à la tête du gouvernement autonome de la Généralité de Catalogne. Les classes populaires auraient bien besoin d’une politique de classe indépendante, et de faire entendre leurs revendications, face à tous les nationalistes. L’article qui suit ne revient pas sur l’ensemble de ces questions et est consacré aux tout derniers événements et, surtout, à la façon dont se présentent les élections du 21 décembre au Parlement catalan.

On efface tout et on recommence

Le 27 octobre dernier, le Parlement catalan votait une symbolique déclaration d’indépendance. Quelques heures plus tard, le gouvernement espagnol déclenchait l’application de l’article 155 de la Constitution : le gouvernement catalan était destitué, le parlement dissous et des élections ont été convoquées.

Le gouvernement de la Généralité catalane n’a pas cherché à s’opposer à la mise sous tutelle des institutions catalanes et la reprise en main s’est déroulée sans heurts. Le président Carles Puigdemont et quatre de ses ministres sont partis à Bruxelles, et y attendent une décision de la justice belge sur une demande d’extradition (décision définitive qui parviendra, au plus tôt, en janvier 2018). Oriol Junqueras, le vice-président de la Généralité, et sept autres ministres ont été mis le 2 novembre en prison préventive. Tous sont accusés d’un délit de rébellion, passible de trente ans de prison.

Rajoy n’a pas hésité à utiliser les moyens répressifs de l’État pour affirmer qu’il n’était pas question d’indépendance de la Catalogne, ni même question de demander l’avis de la population catalane sur cette question. Mais il ne ferme pas non plus la porte à de futures négociations au sommet, après les élections de décembre. Le 8 novembre, une journée d’action contre la répression avec un appel à la grève générale à l’initiative d’un petit syndicat indépendantiste, qui a été peu suivi, a été marquée surtout par d’importants blocages de routes organisés par l’aile la plus militante de l’indépendantisme, avec une réponse policière très faible.

Il n’est pour l’heure plus question d’interdire les partis indépendantistes, comme le réclamait en octobre dernier une partie de la droite espagnole. La tutelle des institutions catalanes se fait relativement discrète, le gouvernement central se contentant de laisser l’administration gérer les affaires courantes en attendant le résultat des élections de décembre.

Du côté des politiciens indépendantistes, c’est le début de quelques remises en question. La déclaration d’indépendance était uniquement « politique », affirme-t-on. Finies, les promesses d’une indépendance obtenue vite et sans heurts, grâce aux sourires et aux urnes, et à un soutien d’une communauté internationale qui ne manquerait pas de venir aider la Catalogne. Certains reconnaissent même que le résultat du référendum du 1er octobre (90 % de Oui, mais avec une participation de 40 % seulement) n’était pas suffisant pour aller vers l’indépendance.

Match trois contre trois et la balle au centre

Tout le monde politique catalan, y compris les indépendantistes, a en ligne de mire les élections convoquées par Rajoy. Une élection très disputée, avec sept listes qui devraient obtenir une représentation parlementaire. Une sorte de retour à la routine électorale politicienne.

D’un côté il y a trois listes indépendantistes : un parti de droite, celui du président sortant de la Généralité, Carles Puigdemont ; un parti dit social démocrate, ERC (Gauche républicaine de Catalogne) et une formation indépendantiste d’extrême gauche, CUP (Candidature d’unité populaire).

De l’autre, trois listes hostiles à l’indépendance : deux de droite, le Parti Populaire de Rajoy, et une formation proche, appelée Citoyens, puis la branche catalane du Parti socialiste.

Entre ces deux clans hétéroclites se trouve la liste de gauche formée par Catalunya en Comú (Catalogne en Commun, CeC), le parti de Ada Colau, la maire de Barcelone et par Podem (‘Nous pouvons’, branche catalane de Podemos, le parti de Pablo Iglesias qui en Espagne fait figure de ce qu’on appelle la « gauche de la gauche »).

Quelle place pour les questions sociales ?

Cette liste commune formée par la maire de Barcelone et Podem s’est retrouvée sous les feux des critiques des deux camps, les deux sommant CeC de choisir son camp.

D’un côté, les indépendantistes critiquaient le « ni-ni » de Ada Colau. Ils s’en prenaient au projet de référendum « négocié » qu’elle défend, illusoire puisque, à Madrid, on n’était pas prêt à négocier un tel référendum. Contester la déclaration d’indépendance, c’était contester le résultat du vote du référendum, d’après eux, sans appel.

De l’autre côté, les nationalistes espagnols ont attaqué CeC (et leurs alliés de Podemos) comme des alliés des indépendantistes puisqu’ils se prononçaient pour un référendum d’autodétermination et qu’ils se joignaient à des rassemblements appelés par les indépendantistes contre la répression.

Dans les élections du 21 décembre, la liste de CeC veut mettre en avant « l’agenda social », les budgets de l’enseignement public, de la santé, les droits des travailleurs, l’égalité hommes-femmes, la question du logement, la question de l’emploi et de la précarité, etc.

L’intention est louable. Mais la question sociale est considérée par CeC dans une perspective exclusivement électorale et institutionnelle. Il faudrait voter pour la liste de gauche, pour faire un bon gouvernement de la Généralité. Et on commence déjà à parler des alliances possibles (avec une partie des indépendantistes s’ils abandonnent leur attitude « unilatérale » et avec le parti socialiste) et la formation d’un gouvernement de gauche à la Généralité.

Une alliance des gauches ?

Ce genre de gouvernement de gauche, la Catalogne en a connu déjà, entre 2003 et 2010, lorsque les socialistes du PSC gouvernaient en coalition avec les indépendantistes d’ERC et les éco-socialistes d’ICV. C’est ce gouvernement qui avait commencé à mener une politique d’austérité, avant que la droite catalaniste d’Artur Mas et de Puigdemont ne prenne le relais.

À la mairie de Barcelone, on a vu comment Ada Colau s’est vite adaptée à son rôle de gestionnaire, notamment en se comportant comme n’importe quel patron face à la grève du métro en 2016.

CeC, toute neuve que soit cette formation, n’offre rien de plus que les vieilles illusions de la gauche réformiste sur les changements par la voie électorale. Pas étonnant que, dans une jeunesse catalane révoltée, on puisse trouver les indépendantistes anticapitalistes de la CUP plus radicaux (alors même que ces derniers ne proposent en fin de compte que de soutenir la droite nationaliste catalane).

Quant à la position « ni-ni » sur la question de l’indépendance, elle est surtout motivée par les calculs électoraux, pour ne rompre ni avec un public petit-bourgeois de gauche, sensible à l’indépendantisme, ni avec un public plus populaire, qui l’est souvent bien moins. Au risque finalement de ne retrouver l’assentiment ni des uns ni des autres, et de donner l’impression de n’avoir rien de clair à défendre.

Se démarquer des nationalistes pour défendre une position de classe

Des communistes révolutionnaires auraient à se démarquer fermement de tous les nationalistes, qu’ils soient catalans ou espagnols. Ils ne s’efforceraient pas à les mettre autour d’une même table, pour chercher la voie du dialogue, comme l’avançait Ada Colau qui proposait ses services comme médiatrice. Ils auraient à combattre implacablement le nationalisme espagnol de Rajoy, et s’affirmer, sans réserve, pour le droit à l’autodétermination et contre toutes les mesures répressives. Mais aussi, ils auraient, pas moins clairement, à dénoncer les marchands d’illusions indépendantistes qui ont mené des politiques aussi anti-ouvrières que celles de Rajoy et qui voulaient entraîner les classes populaires dans leur bras de fer avec le gouvernement de Madrid. Ils auraient à dire que l’indépendance n’apporterait rien de bon à la population. Ils auraient à agir contre toutes les divisions qui minent la classe ouvrière de Catalogne.

À la différence de CeC, ils ne feraient pas leur un certain « catalanisme », propageant ainsi l’illusion qu’une plus grande autonomie de la Catalogne serait, en soi, positif. Ils n’auraient pas un programme pour « la Catalogne » mais bien pour les classes populaires. Et surtout un programme de luttes, pas de gouvernement.

Le résultat des élections du 21 décembre est bien incertain, comme l’ensemble de la situation catalane. La polarisation entre pro- et anti-indépendance dans ces élections pourrait bien réduire CeC à la portion congrue. On peut s’inquiéter de la montée dans les sondages du vote pour Ciutadans, parti de droite qui pourrait apparaître, y compris dans un milieu populaire déboussolé, comme un vote utile contre les indépendantistes. Il est possible que le PSC, avec son positionnement de « modération », parvienne à redevenir le parti de premier plan qu’il avait cessé d’être. Si les sondages annoncent pour l’instant un effritement du camp indépendantiste (environ 45 % pour la totalité des trois listes indépendantistes), il n’est pas exclu non plus qu’ils connaissent un sursaut et se retrouvent en mesure de gouverner à nouveau la Généralité.

2 décembre 2017, Michel CHARVET


Les trois listes indépendantistes

Du côté des indépendantistes, il y aura trois candidatures :

« Junts per Catalunya » (Ensemble pour la Catalogne), est la liste menée depuis Bruxelles par Carles Puigdemont. Ce dernier n’a pas réussi à réunir derrière lui tout l’indépendantisme avec une liste unique. Cette liste en est un ersatz, faisant une large place à des représentants de la « société civile », comme le leader de l’association indépendantiste ANC, en prison. Le parti de Puigdemont, le PDeCAT (parti des démocrates européens de Catalogne), de droite, est très peu mis en avant.

Le parti ERC (gauche républicaine de Catalogne), social-démocrate, se présente en coalition avec d’autres petites formations indépendantistes et aussi quelques personnalités indépendantes (comme le porte-parole du mouvement pour l’accueil des réfugiés, Ruben Wagensberg). L’ERC d’Oriol Junqueras espère bien dépasser la liste de Puigdemont et prendre la tête du camp indépendantiste. Mais Puigdemont compte sur son statut de « Président en exil » pour ne pas avoir à céder la place.

La CUP (candidature d’unité populaire), formation indépendantiste d’extrême gauche, présente aussi sa candidature. L’ironie du sort veut que cette formation qui se veut la plus radicale est celle qui ne contient aucun candidat emprisonné (si la CUP amenait son soutien au gouvernement, elle n’y participait pas).


Les trois listes hostiles à l’indépendance

Du côté des formations hostiles à l’indépendance de la Catalogne et favorables à la mise en œuvre de l’article 155, ceux que certains appellent le « bloc constitutionnaliste », il y a aussi trois listes.

La liste du PP (Parti populaire, le parti de Mariano Rajoy), se place sur un terrain voisin de celle de Ciutadans (Citoyens). Ces deux formations se concurrencent sur le terrain du nationalisme espagnol. Ciutadans essaye de doubler le PP sur sa droite, par exemple en menant campagne contre un prétendu endoctrinement dans les écoles publiques catalanes.

La liste du PSC (le Parti des socialistes de Catalogne, la branche catalane du PSOE, le parti socialiste ouvrier espagnol) a un ton assez différent. Si le PSC soutient l’application de l’article 155, il se pose en défenseur de l’autonomie catalane, et demande même son extension, en avançant l’idée d’une administration fiscale catalane assumant l’intégralité de la collecte des impôts.

Le PSC s’est allié avec des nationalistes catalans de droite qui avaient refusé de suivre Mas et Puigdemont dans la marche vers l’indépendance, mais aussi connus pour leurs positions réactionnaires sur le mariage homosexuel ou l’avortement.


Une « gauche de la gauche » à la catalane

La liste de gauche formée par Catalunya en Comú (Catalogne en Commun, CeC) et Podem (« Nous pouvons », branche catalane de Podemos), soutenue par la maire de Barcelone, Ada Colau, refuse d’être considérée dans le bloc indépendantiste ou dans le bloc « constitutionnaliste ».

Ada Colau s’était fait connaître par son rôle dans le mouvement contre les expulsions locatives, la PAH (plateforme des affectés par les hypothèques), dont elle était une des principales animatrices et la porte-parole. C’était l’une des figures les plus connues des mobilisations sociales qui s’étaient constituées dans la lignée de celle des Indignés.

Lorsque Podemos s’est constitué en 2014, Ada Colau avait décliné l’invitation à en être. Mais, en 2015, à la tête d’une liste de gauche, Barcelona en Comú, se situant un peu dans la lignée de Podemos (et avec son soutien), elle a remporté les élections municipales dans la capitale catalane, avec 25 % des voix. Aux élections législatives de 2015 et 2016, une liste de gauche (En Comú Podem) ayant des contours similaires, en coalition avec Podemos, s’est constituée et a obtenu près de 25 % des voix. En 2017, cette mouvance s’est constituée en une nouvelle formation politique, Catalunya en Comú [1].

On y retrouve les formations politiques non indépendantistes qui se situaient à la gauche du PSC, notamment ICV (Initiative pour la Catalogne-Verts, une formation éco-socialiste, héritière lointaine du PSUC, la branche catalane du parti communiste) mais aussi d’autres formations (notamment deux partis communistes eux aussi issus du PSUC).

Mais on trouve aussi des militants qui avaient participé à un mouvement appelé « Procés constituent » (processus constituant). Ce dernier, lancé en 2013 et animé notamment par Teresa Forcades (religieuse bénédictine et médecin) aspirait à préparer la Constitution d’une future Catalogne indépendante et anticapitaliste et organisait des réunions sur ce sujet avec un certain succès. Si Teresa Forcades n’a pas rejoint CeC, nombreux sont les anciens de cette mouvance à l’avoir fait (comme Xavier Domènech, professeur d’université et tête de liste de CeC).

Et, un peu comme pour Podemos, s’est agglutiné un milieu qui avait participé aux mobilisations des Indignés en 2011 et d’autres dans la foulée de ce mouvement.

Dans CeC coexistent des sensibilités assez diverses, notamment sur la question catalane. Certains sont presque indépendantistes, d’autres partisans d’une autonomie renforcée. Dans son programme, CeC met en avant l’idée d’une république catalane, mais plutôt vue comme une composante d’une république fédérale espagnole. CeC dit défendre le droit à l’autodétermination de la Catalogne, sous la forme d’un référendum « négocié », qui soit reconnu par tous, y compris par le gouvernement central. CeC s’est prononcé contre les mesures répressives de Rajoy et la mise en œuvre de l’application de l’article 155. Tout en dénonçant le gouvernement catalan « irresponsable » et sa déclaration d’indépendance. « Ni déclaration unilatérale d’indépendance, ni 155 », résumait Ada Colau.


[1Podem, la branche catalane de Podemos, a maintenu son indépendance organisationnelle et ne s’est pas jointe à la nouvelle formation. Après le vote de la déclaration d’indépendance, la direction locale de Podem, favorable à des accords avec des indépendantistes, a été désavouée par Pablo Iglesias, le dirigeant de Podemos. Ce dernier a décidé de passer par-dessus la direction locale et de lancer une consultation des adhérents qui a donné son aval à sa proposition de candidature commune avec CeC aux élections de décembre. Le secrétaire de Podem, Fachin, a démissionné du parti, en dénonçant une sorte de « 155 » dans Podemos.

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article