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DOSSIER : L’Inde : nouveau « miracle » de l’économie capitaliste ?

L’essor de l’informatique en Inde : un nouveau partage du travail mondial

Mis en ligne le 10 mai 2007 Convergences Monde

Un spectre hante de plus en plus les bureaux du monde développé : la crainte de la délocalisation. Elle semblait jusque là réservée aux travailleurs non qualifiés de l’industrie, confrontés à la concurrence des usines à très bas coûts salariaux des pays pauvres. Mais un certain nombre de techniciens, de cadres, d’ingénieurs subissent désormais l’essor d’une sous-traitance internationale.

C’est qu’en modifiant leur organisation du travail et grâce aux progrès de l’informatique et des technologies de communication, les grandes entreprises ont élargi les activités qu’elles peuvent délocaliser : le BPO, pour business process outsourcing (en français « externalisation des processus métiers »), la finance et la comptabilité, les centres d’appel, la gestion des tâches administratives sans contact avec le client (le back-office) – comme la gestion des dossiers de santé chez Axa Grande-Bretagne. Et même des activités encore plus qualifiées, comme la recherche et développement. Pour cela les entreprises fragmentent et uniformisent les processus de production pour constituer des briques partout réutilisables. Ensuite elle externalisent des activités. Des chantiers entiers sont confiés à des sociétés prestataires de services... jusqu’en Inde.

Car l’Inde symbolise parfaitement cette nouvelle sous-traitance internationale. C’est tout particulièrement vrai des services informatiques. L’Inde reçoit 40 % des délocalisations de ce type d’activité à destination des pays en voie de développement. Grâce à la maîtrise de l’anglais, à la rémunération faible du travail et au nombre important d’ingénieurs sortis des écoles, elle est devenue le fournisseur d’un cinquième des exportations de logiciels dans le monde. Certaines activités informatiques sont certes plus facilement délocalisables que d’autres : on ne déplace pas la maintenance des postes de travail informatiques, même si on peut la confier à un fournisseur. Par contre, pour la maintenance ou le développement de logiciels informatiques, il est possible de le faire à n’importe quel bout de la planète. Tout ce qui peut être traité à distance par ordinateur semble susceptible d’être externalisé.

Lorsque bien des grandes firmes américaines ferment leurs portes le soir, les analystes indiens traitent et vérifient les opérations de la journée [1]. L’année dernière IBM annonçait simultanément des suppressions de postes aux États-Unis et la création de 14 000 emplois en Inde dans les cinq ans à venir. Microsoft recrute 2 000 développeurs de logiciels à Bangalore. Il y aurait désormais moins d’ingénieurs dans la Silicon Valley aux États Unis qu’à Bangalore en Inde… au point que dans les bureaux américains menacés de délocalisation une nouvelle expression fait florès : « se faire bangaloriser » !

Des entreprises françaises regardent à leur tour vers l’Inde. Capgemini, une grosse société française de service en ingénierie informatique (une « SSII »), prévoit d’y employer plus de 40 000 personnes d’ici 2010.  [2] Bien qu’à l’heure actuelle les SSII françaises n’emploient qu’une fraction de leur main d’œuvre dans des pays à bas coût [3], elles ont des bureaux en Roumanie, au Maroc, en Espagne, au Vietnam, mais également en Inde. À fins exploratoires…

Inversement, les sociétés informatiques indiennes se développent : Tata Consultancy Services, Infosys (70 000 salariés) ou Wipro s’implantent dans le monde entier. Par exemple Infosys est présent dans 17 pays, dont le Canada, où les sociétés américaines cherchent à profiter de coûts de production plus faibles.

Mais cet essor a aussi ses limites. Chaque année 2,5 millions d’étudiants sortent des universités indiennes, environ 350 000 sont spécialisés dans les nouvelles technologies, ce qui risque d’être peu à court terme, alors que de nombreuses entreprises étrangères viennent s’implanter. Selon une étude du consultant McKinsey, il pourrait manquer 500 000 informaticiens spécialisés d’ici à 2010 [4]. Les grosses sociétés indiennes ont des difficultés à retenir leurs informaticiens, et la demande supérieure à l’offre crée les conditions des hausses de salaires.

Une Silicon Valley à côté des bidonvilles …

Quant aux États fédéraux indiens, qui ont attiré les investissements des sociétés informatiques, comme le Karnataka pour Bangalore, ils sont critiqués pour leur manque d’infrastructures. Ils n’ont pas investi dans les transports collectifs pour emmener les employés au travail à l’heure, sur des routes qui sont défoncées ou impraticables à cause des inondations par manque de drainage ou d’un système de collectage des eaux usées. Manque de nouveaux logements et d’accès à la médecine. La fourniture d’électricité reste catastrophique, entraînant de nombreuses coupures de courant. Les entreprises doivent avoir leurs propres générateurs. La construction d’un nouvel aéroport vient seulement d’être programmée. Dans une ville comme Bangalore, en 2006, 1 500 compagnies informatiques emploient environ 26 000 personnes, à côté des 700 000 travailleurs du textile et du bâtiment, sur un total de 7 millions d’habitants, vivant le plus souvent dans les 700 bidonvilles [5] de l’agglomération. L’externalisation de l’informatique en Inde, très médiatisée, se heurte aux capacités de développement du pays.

Enfin, si l’Inde est devenue le premier exportateur de services informatiques du monde (plus de 20 % du marché mondial, devant l’Irlande et les États-Unis), ce pari sur une spécialisation dans quelques niches technologiques au sein de la nouvelle division mondiale du travail ne doit pas faire oublier que ce secteur représente finalement seulement 3 % du PIB, et un peu plus d’un million d’emplois directs, dans l’océan du milliard d’Indiens. Le capital financier a certes tout avantage à externaliser l’informatique. Mais ce secteur sera-t-il capable de se développer encore davantage, et surtout d’entraîner une partie appréciable de l’immense société indienne ? À voir…

Christine SCHNEIDER


[1Le Monde, 8 octobre 2003, « L’Inde met ses cerveaux au service de l’industrie occidentale »

[2Libération 20 mars 2007, « Capgemini, l’appel de l’Inde »

[3Mc Kinsey Global Institute, juin 2005, « Comment la France peut-elle tirer parti des délocalisations de service ? »

[4Problèmes Économiques 14 mars 2007, La Documentation française « L’Inde entre mondialisation et question sociale »

[5Frontline, du 22 oct. 2006 « The Two Bangalore », www.flonnet.com

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