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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 37, janvier-février 2005

L’école de Fillon : apartheid social sur fond d’économies budgétaires

Mis en ligne le 18 janvier 2005 Convergences Politique

Le 12 janvier 2005, la loi sur l’école de François Fillon a été adoptée en conseil des ministres. Après les retraites, l’ex-ministre des « affaires sociales » s’attaque donc à l’école. Passées les formules creuses sur « l’école de demain » (« une école plus juste, plus efficace, plus ouverte »), le préambule du projet de loi annonce clairement l’objectif : faire des économies. Les 14 propositions qui suivent ne visent qu’à montrer sous un jour favorable l’appauvrissement des enseignements qui en découle. En fait « d’adaptation » de l’école aux évolutions des élèves, il s’agit bien plutôt d’adapter les enseignements à un système scolaire privé de moyen, en faisant payer d’abord la note aux élèves et établissements les plus pauvres.

Dégraisser... voire même désosser le mammouth

L’éducation nationale coûterait trop cher (23% du budget de l’Etat, paraît-il) pour des résultats décevants. Aujourd’hui 20% d’une classe d’âge sortiraient du système scolaire sans diplôme, 15% seraient en échec scolaire à l’entrée en 6e, etc. Il serait donc temps de mettre le holà à ce gaspillage et de mettre l’éducation nationale au régime. Le « dégraissage du mammouth » pratiqué sous les gouvernements précédents (formule de l’ex-ministre socialiste Claude Allègre) étant visiblement jugé insuffisant.

Et cela commence par des baisses d’effectifs. Baisses justifiées selon Fillon par la chute du nombre d’élèves, notamment dans le second degré. Il serait question de 45 800 élèves en moins dans les collèges et lycées à la rentrée 2005. Une diminution proportionnelle (d’environ 3 500 donc ?) du nombre d’enseignants s’imposerait alors. Simple question d’arithmétique ? Eh bien non, puisque Fillon annonce la suppression... de près de 7 500 postes ! Quant au premier degré, qui devrait au contraire voir arriver 45 000 élèves de plus, il se contentera de 700 postes supplémentaires, soit... un enseignant pour 65 élèves.

Mais quelques « erreurs » d’arithmétique n’empêchent pas un esprit comptable. Fillon réalise ainsi en 2005 une économie de 5000 postes, portant à 20000 le nombre de postes d’enseignants supprimés depuis 3 ans. Et ce n’est qu’un début, car d’ici 2012, plus de la moitié des enseignants partiront en retraite. Le gouvernement a déjà annoncé qu’il n’en remplacerait que le tiers. Plusieurs années de plans sociaux en perspective !

Toutes ces économies devraient se traduire non seulement par des classes surchargées (une réalité depuis belle lurette en lycée, les classes de plus de 30 élèves sont la règle !) mais aussi par des fermetures de classes et d’écoles dans l’enseignement primaire (on scolarise déjà de moins en moins les enfants de 2 ans et à terme il est question de supprimer la maternelle), par la suppression dans l’enseignement secondaire de certains cours ou certaines options ainsi que de nombreux dédoublements [1]. L’enseignement professionnel en fait particulièrement les frais, avec la fermeture de filières voire même d’établissements. Rien qu’à Paris, une quinzaine d’établissements seraient concernés, dont quatre fermés.

Les suppressions de postes ne concernent pas que les enseignants. L’encadrement dans les établissements est en diminution avec la disparition de 9000 surveillants qui bénéficiaient de l’ancien statut de MI-SE dans le second degré, et de 6500 emplois-jeunes [2], ainsi que le recrutement a minima des documentalistes, infirmières, médecins scolaires et conseillers d’orientation psychologues (moins 50 à la rentrée 2005). Et surtout la loi de décentralisation qui devrait s’appliquer pour les personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) à partir de janvier 2005 est lourde de menaces : ayant désormais le statut de fonctionnaires territoriaux, ces personnels peuvent se voir imposer une plus grande « mobilité ».

Au total selon les syndicats, ce sont 30 000 emplois d’adultes qui auront disparu en 3 ans dans les lycées, collèges et écoles. L’économie est de taille !

Une école encore plus ségrégative

Rien d’étonnant quand les coupes budgétaires prévues conduisent à supprimer certaines options ou à reléguer comme options certaines matières ! Ce n’est évidemment pas la raison invoquée par Fillon. Il lui en fallait une plus présentable, qui fasse passer sa loi pour une « réforme », et non une régression. Il s’agirait donc, selon lui, de prendre à bras-le-corps la « crise de l’école ».

Les objectifs du « collège unique » et celui d’amener 80 % d’une classe d’âge au bac devraient être révisés, le quart des élèves sortant du système scolaire sans diplôme. Si la « massification scolaire » des années 1980-1990 s’est traduite par l’élévation du niveau d’études moyen, elle n’a en effet jamais réduit les inégalités scolaires entre jeunes de milieux sociaux différents. Celles-ci se sont même accentuées, conséquence de la dégradation de la situation dans les quartiers populaires, devenus pour beaucoup de véritables ghettos où le taux de chômage dépasse souvent les 50 %. Ainsi, le taux de bacheliers s’élèverait aujourd’hui à 90 % chez les enfants de cadres et à 60 % chez les enfants d’ouvriers et d’employés (l’écart se creuse encore dans l’enseignement supérieur). Fillon se flatte de donner une réponse réaliste à l’échec patent du système scolaire ? Que non ! Sa réforme ne fait qu’entériner la situation. Au lieu de donner les moyens (financiers pour commencer) de former convenablement tous les élèves, elle se contente d’adapter l’école à ses différents publics, de proposer des enseignements différenciés en fonction des « talents » des élèves (lire avant tout leur milieu social).

Ce projet de légitimation de l’échec scolaire, s’articule autour d’un certain nombre de mesures :

  • L’organisation de l’enseignement à partir du primaire en plusieurs strates

La première consiste en un « socle commun de connaissances et de compétences » qu’il faudra maîtriser pour pouvoir accéder aux autres étages, c’est-à-dire à des approfondissements ou à une diversification dans d’autres domaines. Ces compétences minimales se résument à savoir lire, écrire, compter, parler anglais, utiliser un ordinateur ainsi que « vivre ensemble au sein de l’école et de la république » [3]. Ce socle commun ressemblera inévitablement à une sorte de Smic scolaire pour les jeunes qui « n’auront pas le niveau » (dont un bon nombre sont issus des milieux populaires) : l’école n’aura à leur offrir qu’une formation minimale et quelques leçons de morale « citoyenne » [4] (dispensées dans le cadre d’un « partenariat » plus étroit avec la police et la justice) pendant que les autres pourront bénéficier d’un enseignement approfondi et varié.

  • Une orientation précoce

Les élèves qui n’auraient pas dépassé le « socle commun » seraient encouragés à choisir l’apprentissage en alternance. L’objectif d’ailleurs est de doubler le nombre d’apprentis d’ici cinq ans, en le portant à 500 000 [5]. L’école se donne donc pour tâche de déscolariser des masses d’élèves qui, après leur période d’apprentissage, se retrouveront sur le marché du travail sans réelle qualification, condamnés aux petits boulots (une solution efficace à l’échec scolaire !). A ceux-là, Fillon fait miroiter une « formation tout au long de la vie », qui viendrait compléter la formation minimale acquise lors de leur scolarité [6].

  • Après la 3e, des filières professionnelle, technologique et générale plus étanches

Il sera plus difficile encore qu’aujourd’hui de passer de l’une à l’autre, et notamment de l’enseignement professionnel à l’enseignement technologique (et donc à l’enseignement supérieur). Là encore il s’agit de fermer des portes aux élèves des milieux populaires qui auraient quelques ambitions.

  • Réforme du baccalauréat

L’introduction du contrôle continu pour certaines disciplines au baccalauréat risque de dévaluer cet examen. Le bac aujourd’hui est une épreuve nationale et anonyme : quel que soit l’établissement d’origine des élèves, le diplôme a la même valeur. Le contrôle continu sera un sérieux pas de plus vers un diplôme à plusieurs vitesses : un bac obtenu dans un établissement de centre-ville jugé « bon » et exigeant dans ses notations sera mieux coté que celui décroché dans un lycée de banlieue jugé « laxiste ». La différence existant déjà aujourd’hui entre le bac technologique du lycée de banlieue populaire et le bac S de Henri IV !

Toutes ces mesures concourent vers le même point : l’éclatement des structures scolaires communes à tous dès le primaire (même si dans les faits, l’égalité entre l’école élémentaire d’une cité et celle d’un beau quartier de Paris est déjà toute relative), dans le but de « trier » le plus tôt possible les élèves, et d’orienter les « moins bons » -pardon ceux qui n’auront pas eu la chance de développer leur « talent » en sciences ou en dissertation- vers la voie professionnelle.

S’il ne s’agit évidemment pas d’idéaliser l’« école républicaine » qui reproduit (et fonde à sa façon !) le fonctionnement inégalitaire de la société dans lequel elle s’inscrit, on ne peut que constater qu’avec Fillon se profile une école de moins en moins publique et de plus en plus ségrégative. Une école qui semble davantage se soucier de répondre aux besoins du patronat (d’un côté sélectionner des jeunes destinés à des études longues, qualifiés -les futurs cadres- et de l’autre disposer d’une main-d’œuvre peu qualifiée, et du coup mobile et bon marché) que d’assurer « la réussite de tous les élèves », précepte pourtant affiché dans la loi.

A nous, enseignants, parents et élèves, de nous montrer tout aussi fermes dans la riposte.

13 janvier 2005

Agathe MALET


[1Quant à la création de dédoublements en langue au lycée dont se targue Fillon, elle ne se ferait que sur la suppression des TPE (travaux pratiques encadrés), enseignement interdisciplinaire dont bénéficient les élèves de Terminale.

[2Les surveillants et les emplois-jeunes sont certes remplacés par 9800 assistants d’éducation, mais cela fait quand-même un déficit d’environ 12 000 emplois.

[3Les matières comme l’éducation physique, les arts plastiques, la 2e langue vivante, la technologie, l’histoire-géographie, les sciences, tout en étant intégrées dans le socle commun, sont organisées dans un compartiment à part sous l’appellation « disciplines obligatoires », et se trouvent ainsi relativisées par rapport aux disciplines dites « indispensables ».

[4Un Contrat individuel de réussite éducative (CIRE) leur sera proposé, consistant en 3 heures de soutien hebdomadaire... financées partiellement par les heures d’Itinéraires de découverte (dispositif interdisciplinaire inscrit dans l’emploi du temps des classes de 5e et 4e) et, selon toute probabilité par tout ou partie des moyens des ZEP (établissements difficiles classés « zone d’éducation prioritaire » et qui à se titre bénéficient de moyens supplémentaires).

[5Objectif du plan Borloo de « cohésion sociale ».

[6Au moment où gouvernement et patronat viennent de concocter avec les syndicats un « accord national » sur la formation professionnelle... qui la ravale à une portion bien plus congrue, en particulier en limite les possibilités sur les heures de travail

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