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Moyen-Orient

L’eau, une arme de guerre contre les Palestiniens

16 octobre 2021 Article Monde

Dans un tweet paru sur son site le 26 septembre dernier l’organisation pacifiste israélienne Breaking the silence (Briser le silence), créée et animée par des soldats israéliens démobilisés, posait cette question : « Savez-vous combien vous payez l’eau ? Si vous étiez un Palestinien vivant dans les collines du sud d’Hébron (en Cisjordanie occupée), vous en connaîtriez le prix au centime près. » Et de répondre : « Là-bas, l’eau coûte entre 10 et 15 dollars le mètre cube (de 8,6 à 13 euros) jusqu’à un bon tiers de ce qu’une famille peut gagner en un mois. Les Israéliens paient 2,15 dollars (1,86 euro) le mètre cube, soit en moyenne 1,3 % des revenus d’une famille. » [1] C’est-à-dire qu’un Arabe palestinien peut payer l’eau cinq à six fois plus cher qu’un Juif israélien.

Quelques jours plus tard, le 1er octobre, dans une tribune libre publiée par le quotidien Haaretz (Le Pays) sous le titre Israël déclare la guerre à l’eau palestinienne, une militante israélienne des droits humains, Natasha Westheimer, donnait quelques indices pour expliquer cette situation. Elle racontait par le menu les actions menées conjointement par les colons sionistes et l’armée israélienne pour priver d’eau des villages palestiniens de Cisjordanie occupée et contraindre leurs habitants au départ pour s’approprier ensuite leurs terres. Tout y passait : destructions de citernes, remblaiements de puits, saccages de canalisations et de réservoirs, attaques de camions citernes amenant l’eau, refus de raccorder au réseau d’eau des habitations palestiniennes, refus d’accorder des autorisations pour creuser de nouveaux puits, etc. Dans le même temps, les colonies sionistes déclarées « illégales » par la justice israélienne avaient accès à l’eau sans problème.

Enfin, le 2 octobre, quelque 400 manifestants – palestiniens et militants de gauche israéliens – manifestaient en Cisjordanie pour réclamer que les habitants du petit village de Khirbet al-Mufkara puissent avoir librement accès à un approvisionnement en eau. Plus tôt dans la semaine, ce même village avait été attaqué à coups de pierres et de bâtons par une centaine de colons sionistes venus de la colonie « illégale » voisine de Avigayil. Et les colons en question avaient pris soin de saboter l’arrivée d’eau, entrant même dans les maisons pour cisailler les canalisations, casser les robinets, détruire les éviers et les toilettes, etc.

Le 2 octobre, les manifestants, qui brandissaient des banderoles en arabe, hébreu et anglais, demandaient à ce que les onze familles du village soient reliées aux réseaux d’alimentation en eau potable et en électricité, ce que les autorités israéliennes ont refusé jusqu’à présent.

Tout cela pourrait passer pour des simples faits divers. Il n’en est rien. En fait cela s’insère dans la politique systématique menée par l’État sioniste depuis sa création pour utiliser l’eau comme arme de guerre contre les Palestiniens.

Un constat évident pour tout le monde

Le 27 octobre 2009, Amnesty International [2] publiait un rapport en anglais intitulé « En eaux troubles – les Palestiniens se voient dénier un accès équitable à l’eau » et dressait un constat accablant des pratiques « discriminatoires » envers la population palestinienne, imposées par les autorités israéliennes. L’État juif, soulignait l’ONG, utilisait plus de 80 % de l’eau provenant de l’aquifère de montagne, limitant l’accès des Palestiniens à 20 % de cette réserve. Amnesty révélait aussi que la consommation en eau des Palestiniens était à peine de 70 litres par personne et par jour, soit nettement moins que les 100 litres recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), contre plus de 300 litres pour les Israéliens. Dans certaines zones rurales, ajoutait l’ONG, les Palestiniens survivaient avec à peine 20 litres par jour. Plus de quarante ans après l’occupation de la Cisjordanie, ajoutait Donatella Rovera, autrice du rapport, 180 000 à 200 000 Palestiniens des communautés rurales n’avaient pas accès à l’eau courante. Cette situation était d’autant plus choquante, insistait-elle, que « quelque 450 000 colons utilisent autant, sinon plus d’eau, que l’ensemble de la population palestinienne, estimée à 2,3 millions ».

Et c’est là une évidence que partagent tous les observateurs qui se sont penchés sur la question, même ceux que l’on peut difficilement soupçonner de partialité à l’égard des Palestiniens. En décembre 2012, le socialiste Jean Glavany, qui se définit lui-même comme « ami d’Israël », présentait un rapport d’information au nom de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Il décrivait la question de l’eau comme « révélatrice d’un nouvel apartheid au Moyen-Orient ». Plus d’un mois après sa publication, avec la traduction de certains passages dans la presse israélienne, il provoqua un tollé dans l’État hébreu. Le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Ygal Palmor, déclara à ce propos au quotidien Haaretz que ce rapport était « rempli d’un verbe emprunt de propagande vicieuse, bien éloignée de l’esprit critique professionnel » tout en accusant Glavany d’avoir introduit le mot « apartheid » au dernier moment, à l’insu de ses collègues. Interrogé sur ce point par lemonde.fr [3] ce dernier nia avoir introduit le terme d’« apartheid » en douce mais l’assuma pleinement : « Je savais que cela ne leur ferait pas plaisir […], mais, à force de ne pas vouloir braquer, on laisse faire », avait réagi le député socialiste, qui affirmait souhaiter parler « du fond et pas de la forme du mot ». Lui et ses collègues s’étaient rendus pendant une semaine au Liban, en Jordanie, en Israël et dans les territoires palestiniens et avaient notamment rencontré sur place les ministres israélien et palestinien de l’eau, des diplomates et des ONG. La commission parlementaire était donc allée chercher les informations à la source, si l’on peut dire.

Dans le même article, Stéphanie Oudot, adjointe au département eau et assainissement à l’Agence française du développement, et spécialiste des questions d’eau qui avait travaillé pendant sept ans comme chef de projet dans la région, expliquait que si les accords d’Oslo II avaient bien créé un Comité mixte conjoint de l’eau (Joint Water Committee), réunissant Israéliens et Palestiniens et chargé d’encadrer en Cisjordanie les autorisations de forage des puits, dans les faits il ne s’était pratiquement jamais réuni. Et de conclure : « Dans la pratique, ce sont les Israéliens qui décident, et en général c’est en faveur des demandes israéliennes, pas palestiniennes ».

De son côté, Pierre Berthelot, chercheur à l’Institut français d’analyses stratégiques, estimait dans la revue Questions internationales [4] que « les Israéliens considèrent l’eau comme une question relevant de la sphère militaire, ce qui rend presque impossibles les débats ou les projets innovants et équilibrés qui restent dès lors relégués au second plan ».

Quatre ans plus tard, un entretien paru dans La Croix [5] entre Gidon Bromberg, directeur israélien de l’ONG Ecopaix Moyen-Orient (anciennement Les Amis de la Terre) et Ayman Rabbi, fondateur du Groupe palestinien d’hydrologie, évoquait la question « historique » de l’eau dans la région utilisée par Israël comme « moyen de pression et de domination » et notait que chaque été la compagnie israélienne Mekorot, qui vend aux Palestiniens 56 % de leur eau potable, réduisait l’approvisionnement de certaines zones palestiniennes de Cisjordanie pour favoriser les colonies juives. Et Bromberg en tirait le constat évident qu’Israël ne partageait pas l’eau de façon équitable avec les Palestiniens.

La réalité par l’image

En 2016, la photographe Laurence Geai participa au festival annuel de photojournalisme de Perpignan et rendit compte par ses photos, de ce qui était « Le partage inéquitable de l’eau entre Israël et la Palestine ». En préambule de cette exposition elle rappelait que selon un rapport de la Banque mondiale [6], un Israélien dispose en moyenne de quatre fois plus d’eau qu’un Palestinien. Si l’agriculture souffre naturellement de cette pénurie, le quotidien de certains habitants, notamment pour les communautés bédouines, est particulièrement contraignant, avec seulement 20 litres d’eau par jour et par personne. En témoignait cette photo stupéfiante qu’elle exposait : six camions citernes en rade dans un village bédouin de 112 personnes. Leurs puits étaient à sec, car les colons israéliens en avaient construit de plus profonds tout à côté. Chaque année, poursuivait-elle, l’armée israélienne détruisait les puits et les citernes fabriqués sans autorisation par les Palestiniens (or, les autorisations sont rares). Dans certaines régions de la vallée du Jourdain, l’eau était systématiquement déviée pour alimenter les colonies ou Israël. Dans la bande de Gaza, la situation était encore plus dramatique : 96 % de l’eau était impropre à la consommation, car gorgée de sel et polluée à cause du pompage excessif.

(Photo : camions citernes vides dans un village bédouin – Laurence Geai)

Dans ces conditions, comment se rafraîchir (dans un vulgaire évier), comment faire sa vaisselle, comment abreuver ses moutons et ses brebis (sinon en payant le mètre cube à un prix prohibitif, trois fois plus cher que les colons), comment, tout simplement, rincer ses WC, sinon en récupérant l’eau de sa toilette, comment accéder à l’eau potable sans l’aide des ONG, comment pomper l’eau d’un puits quand la pénurie d’électricité empêche la pompe de fonctionner correctement ou quand l’autorité israélienne a confisqué les panneaux solaires qui alimentaient la pompe ? Autant d’interrogations sur un quotidien inique. Et, dans le même temps, en Cisjordanie par exemple, une exploitation israélienne de 13 000 palmiers bénéficiait d’un système de micro-irrigation avec une eau bon marché provenant d’une usine de traitement.

En conclusion

La politique d’apartheid menée par l’État sioniste à l’encontre des Palestiniens revêt différents aspects et touche des domaines aussi divers que la terre, le logement, la santé, l’emploi, l’éducation, la culture, les droits civiques, etc. Mais ce racisme d’État n’est pas simplement destiné à humilier le peuple arabe de Palestine et à l’utiliser comme main-d’œuvre bon marché et corvéable à merci. Il se donne aussi pour objectif de contraindre le plus grand nombre possible de fellahs à abandonner leurs terres pour les transférer ensuite à des colons juifs. Et cette situation s’aggrave chaque année.

Et c’est là où l’eau est utilisée comme une arme majeure à l’encontre de cette population. Lui rendre la vie impossible, la contraindre à venir grossir les bidonvilles et les quartiers populaires de Cisjordanie, voire à quitter le pays, est un des buts politiques que s’est toujours fixé le mouvement sioniste depuis ses origines. Comme l’affirmait sans fioritures au Parlement israélien, la Knesset, le 13 octobre dernier Bezalel Smotrich, le leader du parti sioniste religieux, en s’adressant aux députés arabes : « Vous êtes ici par erreur parce que Ben Gourion n’a pas fini le boulot en 1948 en vous flanquant tous dehors. » Un sentiment largement partagé par la droite et l’extrême droite sionistes qui contrôlent le gouvernement.

Et on peut constater que chaque jour l’État hébreu poursuit son sale boulot sans être inquiété le moins du monde par une communauté internationale largement complice qui, dans le même temps et toute honte bue, prétend assimiler antisionisme et antisémitisme. Or affirmer que le régime imposé par les dirigeants sionistes aux Palestiniens est un régime d’apartheid n’a rien de raciste. C’est simplement constater une réalité qui saute désormais aux yeux de beaucoup, y compris au sein des communautés juives, en Israël et dans la diaspora.

Et, plus que jamais, nous sommes solidaires des Palestiniens et soutenons sans réserve la reconnaissance de leurs droits historiques sur leur terre.

Jean Liévin


[1Breaking the Silence (@BtSIsrael) 26 septembre 2021

[2Amnesty International, Troubled Waters – Palestinians Denied Fair Access To Water, https://www.amnestyusa.org

[3LeMonde.fr, 20 janvier 2012, « Israël-Palestine, le rapport français explosif sur la question de l’eau »

[4« Une nouvelle géopolitique de l’eau au Proche-Orient » de Pierre Berthelot, Questions internationales, no 153, janvier-février 2012, La Documentation française.

[5La Croix, 12 septembre 2016, Pourquoi l’eau est-elle un facteur de tensions entre Israéliens et Palestiniens ?

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