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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 127, juin-juillet-août 2019

L’Inde de Modi : oppression, propagande guerrière et grand capital

Mis en ligne le 15 juin 2019 Convergences Monde

L’extrême droite hindouiste du BJP de Narendra Modi (premier ministre), exploitant les tensions avec le Pakistan, vient de remporter une victoire écrasante lors des élections législatives d’avril-mail, malgré une profonde crise sociale. Le BJP de Modi, donc, emporte 303 sièges de députés sur 543. Exclusions des listes électorales, intimidations et irrégularités ont jalonné la campagne au terme de laquelle 43 % des nouveaux députés élus sont impliqués dans des affaires criminelles. Force est de constater le réel soutien électoral dont bénéficient, plus que jamais, les nationalistes hindouistes : c’est l’un des nœuds du problème. Dans le même temps, son adversaire principal, le Parti du Congrès, n’obtient que 52 sièges, et la plus grosse organisation « communiste » – on dirait ici de gauche – ne conserve que trois élus.

Une campagne belliciste

L’intensification de la guerre contre la population à majorité musulmane du Kashmir, un attentat important contre l’armée indienne en février, des frappes aériennes de l’armée indienne au Pakistan dix jours plus tard (les premières depuis 1971) et un soldat-otage à libérer : pas de quoi provoquer une guerre entre deux puissances nucléaires mais de quoi nourrir les fureurs patriotiques et permettre de construire une atmosphère de nationalisme déchainé soigneusement cultivée par le gouvernement. Cette ambiance a marqué tout le pays, notamment la campagne électorale avec des écrans géants saturés d’iconographies bellicistes dans les stations de métro, des chants de stars à la gloire de l’armée, des images d’enfants kashmiris saluant des militaires, et l’apologie de la guerre.

Contrairement à sa campagne lors des élections générales de 2014, Modi n’a presque pas fait semblant d’être le candidat du développement et de la croissance. L’essentiel a été basé sur la démagogie nationaliste, le chauvinisme et les discours haineux. La figure de proue du BJP lors de la campagne était Pragya Singh Thakur : elle est la principale accusée d’attentats terroristes qui avaient ciblé des musulmans et fait 10 morts en 2008.

Toute cette propagande belliciste et haineuse à l’encontre des musulmans notamment a été une façon pour Modi de donner le change. En effet, tandis que se développaient – moins vite que prévu – des corridors industriels pour firmes multinationales, chômage et misère, touchant particulièrement les femmes et les ruraux, résument essentiellement son mandat. En 2014, il avait promis de créer 20 millions d’emploi par an. Or 11 millions d’emplois ont été détruits l’année dernière : une première depuis 1993.

Des mobilisations paysannes massives, allant jusqu’à inclure des propriétaires terriens auparavant aisés, ont marqué ces dernières années. Et le BJP subissait des revers électoraux importants dans les élections régionales de décembre 2018, notamment dans des États ruraux. Le parti du Congrès promettait d’ailleurs dans sa campagne d’annuler les dettes paysannes pour s’adresser à ceux ayant accès au crédit, c’est-à-dire les propriétaires terriens établis, tout en évoquant un improbable revenu minimum pour les plus pauvres. Directement impliqué dans les violences contre les minorités depuis des décennies, le parti du Congrès apparaissait, néanmoins, peu crédible.

L’extrême droite au service du grand capital

Le lendemain de son élection, Modi fut félicité sur Twitter par Bill Gates vantant le « développement ». Modi est outrancièrement le candidat de la grande bourgeoisie et l’indice boursier indien a atteint des records à l’annonce des résultats électoraux. L’année dernière, le BJP aurait reçu 80 % de l’argent finançant les partis nationaux et attiré 93 % des dons supérieurs à 250 euros soit 17 fois plus que le Congrès [1]. En dépit des mauvais résultats économiques, la bourgeoisie indienne trouve son compte dans la terreur qu’entretient le BJP à l’encontre d’une classe ouvrière montante et d’un monde rural souvent ruiné.

Issus du RRS, organisation hindouiste paramilitaire initialement fondée en 1925 sur le modèle mussolinien et aujourd’hui solidement implantée dans l’appareil d’État, le BJP et Modi ont particulièrement ciblé, durant cinq ans, les plus pauvres de la société indienne : Adivasis (tribaux), Musulmans, Dalits (intouchables) ayant le tort d’être également des travailleurs migrants des régions les plus pauvres de l’Inde ou du Bengladesh. Les discours de haine de députés ou ministres ont explosé. On estime qu’ils ont augmenté de près de 500 % entre 2014 et 2018, et neuf sur dix sont prononcés par les politiciens du BJP. Marquant le pays depuis la fin des années 1970, les crimes contre les ennemis des hautes castes hindoues se sont encore multipliés.

Répression et assassinats d’intellectuels et de militants

Aux ordres des parlementaires et de la police, les tueurs ont rarement hésité à poster sur internet les vidéos de leurs exactions. S’en prenant souvent aux plus pauvres, ils ont aussi ciblé de multiples intellectuels, le plus souvent athées ou rationalistes, assassinés en toute impunité. La répression s’abat systématiquement sur un leader ouvrier musulman comme Rukumudeen, président du syndicat des travailleurs de Daikin à Neemrana dans le corridor Delhi-Mumbai, ou un militant de gauche dalit, comme Fago Tanti paysan sans terre tué par le BJP au Bihar.

Les traces d’opposition, notamment dans les universités, visent à être effacées : posséder un livre de Marx ou Mao est une preuve à charge. Défendre les droits des Kashmiris ou des Dalits, c’est être poursuivi pour sédition comme « élément antinational ». Heureusement, les étudiants de gauche ou issus des minorités ne se sont pas laissé faire. Les Dalits ont organisé de multiples blocages et manifestations. Mumbai a été complètement bloqué durant deux jours en janvier 2018 et plusieurs villes l’ont également été dans les mois suivants par les grèves et protestations de Dalits.

La classe ouvrière pourrait rebattre les cartes

Durant tout le mandat de Modi, les principaux syndicats du pays ont organisé rituellement des grèves ouvrières dans de nombreux endroits du pays et se voulant nationales, restreintes dans leur portée car limitées à deux jours. Malgré les débâcles électorales, les appareils issus du stalinisme gardent ainsi une certaine influence. Suivies dans les secteurs organisés comme les mines de charbon, les banques et les transports, ces grèves ont également touché des secteurs informels où sont employé la majorité des travailleurs, mais également des localités industrielles ou des entreprises où le poids des syndicats est moindre voire inexistant ce qui impliquait de faire face à la répression.

Plus impressionnante sont les grèves sauvages. Celles ayant touchées l’industrie textile de Bangalore en 2016 sont parmi les plus marquantes [2]. Ces grèves avaient mobilisé plus de 100 000 ouvrières souvent migrantes et dalits, et ont occupé la scène politique. Elles avaient fait reculer le gouvernement de Modi s’attaquant à leurs pensions. Un fait, parmi d’autres, montrant que la classe ouvrière d’Inde, de plus en plus nombreuse et combative, peut faire reculer le patronat et tracer d’autres perspectives pour l’ensemble de la société du sous-continent indien.

1er juin 2019, Kris Miclos


Les deux partis nationaux

L’Indian National Congress, habituellement appelé le Congrès, est le parti historique de la bourgeoisie indienne : le parti de Gandhi, de Patel, et de la famille Nehru. Fondé en 1885, il s’est mis à la tête du processus d’Indépendance puis a dominé sans partage, à l’échelle nationale, les institutions de l’Inde indépendante jusqu’aux années 1970 avant de devoir imposer l’État d’urgence de 1975 à 1977 puis de devoir partager le pouvoir, notamment avec le BJP, et finalement lui laisser les clefs depuis 2014.

Le Bharatiya Janata Party (BJP), est issu du RSS (« corps de volontaires nationaux »), une organisation d’extrême droite hindouiste fondée en 1925. Le BJP, a de plus en plus pesé sur la vie politique nationale à partir des années 1990. En 1992, les nationalistes hindouistes mobilisaient 150 000 émeutiers pour attaquer une mosquée en ruine, censée être bâtie sur un lieu saint hindouiste, pour exacerber les violences antimusulmanes. En 1998, ils prenaient la tête d’un gouvernement de coalition à l’échelle nationale…


Les principales minorités

La minorité musulmane grouperait 200 millions de personnes soit 15 % de la population du pays. Une élite, souvent ancienne, se distingue du reste de la minorité mais dans les villes les populations musulmanes sont les plus touchées par le chômage, peinent à accéder à un logement, sont regroupées dans des quartiers spécifiques.

Tout en bas de la stratification sociale de la société hindoue basée sur des subdivisions liées à la pureté et la profession, les Dalits (ou Intouchables) sont également 200 millions. Bénéficiant de quota, notamment pour l’accès aux emplois publics, certains ont réussi à intégrer les classes moyennes. L’essentiel de la minorité reste constitué de paysans sans terre.

Les Adivasis (ou tribaux) sont 100 millions. Vivant dans des régions pauvres, reculées et forestières, ils ont souvent assez peu à voir avec le reste de la société indienne et sont notamment victimes des grands projets industriels souvent miniers se développant sur leurs espaces de vie.


Pour aller plus loin

  • The Wire

Le magazine de gauche très lu par les classes moyennes, en ligne et en anglais : https://thewire.in/

  • Christophe Jaffrelot, L’Inde de Modi : national-populisme et démocratie ethnique

Fayard, Mars 2019, 352 p., 25 €.

Le dernier livre du principal universitaire français spécialisé dans la région, un peu pénible dans ses analyses de politistes sur le populisme, un bon moyen de se plonger dans l’actualité la plus récente de l’Inde.

  • Arundhati Roy, Le Ministère du Bonheur Suprême

Gallimard, 2018 (2017), 544 p., 24 €.

Tel un compte à rebours, Modi hante ce récit d’Arundhati Roy multipliant les personnages et donc les scènes de vies, les réflexions individuelles, les références historiques, mythiques, cinématographiques ou culinaires. Le roman et sa narration précise, parfois exigeante, plonge le lecteur dans des existences de protagonistes convenus ou surprenants. Des destinées sur lesquelles pèsent le poids des évènements internationaux comme le 11 septembre ou la guerre d’Irak et surtout nationaux : le massacre de Sikhs, organisés par le Congrès en 1984, les pogroms contre les Musulmans du Gujarat planifiés par le BJP en 2002, les exactions quotidiennes contre les Chamars, collecteurs de carcasses d’animaux. Des univers du Kashmir à ceux du Kérala, en passant par Delhi et les forêts de l’Inde centrale, les subtilités d’Arundhati Roy dans la dénonciation de l’oppression sonnent justes. Fondant par elles seules l’intérêt de l’ouvrage, les descriptions de l’occupation militaire et de la guerre au Kashmir, où chacun est à portée d’un fusil c’est-à-dire une cible, ne cachent, notamment, rien des difficultés de l’émancipation nationale et des ravages de l’islamisme.


[1Beaucoup de chiffres cités sont issus d’une déclaration d’avril 2019 de Radical Socialist, petite organisation se revendiquant du trotskysme, lié à la IVe Internationale (ex-SU) et implantée à Calcutta : « Defeat the BJP. Strengthen the Working Class, Left and All Progressive Movements », http://www.radicalsocialist.in/arti...

[2« Munnar Tea Plantation & Bangalore Garment Worker’s Struggles ? From a Gender Perspective », article, discutant les enjeux de grèves de femmes du Sud de l’Inde en 2016, d’une publication, For a Proletarian Party, d’un petit groupe indien issu du stalinisme, ayant le mérite d’essayer d’analyser les enjeux politiques du sous-continent d’un point de vue de classe : http://www.foraproletarianparty.in/...

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