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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 144, mars 2022 > DOSSIER : La guerre de Poutine contre l’Ukraine

DOSSIER : La guerre de Poutine contre l’Ukraine

L’Allemagne en marche vers un réarmement massif

Mis en ligne le 10 mars 2022 Convergences Monde

Nous publions dans ce dossier les introductions à la réunion-débat en ligne du 6 mars 2022 organisée par Convergences révolutionnaires.


Déjà avant le 24 février, l’Ukraine a occupé les médias en Allemagne. Mais depuis le début de l’invasion de Poutine, la guerre en Ukraine est quasiment le seul sujet traité. Elle soulève beaucoup d’émotion et d’inquiétudes, elle a chamboulé la politique extérieure de l’Allemagne et elle fait massivement descendre des gens dans la rue. Encore hier, samedi 5 mars, 30 000 personnes ont manifesté à Hambourg. Le dimanche précédent, le 27 février, une manifestation gigantesque a eu lieu à Berlin (un demi-million disent les organisateurs, la police parle prudemment de « centaines de milliers »). C’était organisé par une union « sacrée » (l’Église en faisait partie) d’organisations comme Amnesty International, Greenpeace et les syndicats. Manifestation de « soutien à l’Ukraine » où se mélangeaient pêle-mêle l’affirmation pacifiste et la revendication d’envoyer des armes ou de durcir les sanctions contre la Russie. La communauté ukrainienne à Berlin avait déjà mobilisé plusieurs milliers de personnes autour de ces revendications les jours précédents. Vœux qui ont été exaucés dimanche dernier, j’y reviendrai.

Ce qui est intéressant, c’est du côté de la gauche de la gauche et de l’extrême gauche, où il existe un anti-américanisme qui remonte à la guerre froide, qui a traditionnellement marqué les esprits en Allemagne. Pour tous les « anti-impérialistes » dans le pays, l’ennemi principal ce sont les États-Unis et l’Otan (ce qui peut se comprendre car militairement l’impérialisme allemand a toujours reposé sur ces derniers) : par exemple en 2014, au moment de l’annexion de la Crimée, un grand nombre de courants révolutionnaires allemands ont repris la version poutinienne des événements. Actuellement, il reste des partis staliniens qui continuent à présenter l’Otan comme le principal responsable de la guerre actuelle, mais l’extrême gauche trotskiste (et pas que trotskiste) dénonce cette fois clairement Poutine dans cette guerre, tout en faisant de la propagande contre l’Otan.

Le 24 février au soir, jour du déclenchement de l’invasion russe, une manifestation spontanée de l’extrême gauche à Berlin a rassemblé autour de 500 personnes. Depuis il y a eu trois autres manifestations avec quelques centaines de personnes à chaque fois, avec la pancarte « Poutine ET OTAN : pas touche à l’Ukraine ». Et il semblerait que cette guerre rapproche les petits groupes d’extrême gauche, en tout cas une partie d’entre eux.

J’en viens maintenant à la position du gouvernement allemand et de la bourgeoisie allemande. Ces derniers mois et jusqu’au 24 février, l’Allemagne était, parmi les pays de l’Otan, le champion des négociations avec la Russie. L’Allemagne refusait de livrer des armes à l’Ukraine et était opposée à des sanctions économiques trop dures contre la Russie. Encore fin décembre, le chancelier actuel, le social-démocrate Olaf Scholz, avait expliqué que le gazoduc Nord Stream 2 était une « entreprise économique privée » qu’il faudrait tenir à l’écart des discussions politiques.

Cette position allemande, assez différente de celle des États-Unis, mais peut-être aussi de celle de la France, s’explique par des intérêts économiques. L’année dernière, la part de la Russie dans le commerce extérieur de l’Allemagne était de 2,3 %. Pas très importante, mais pas tout à fait négligeable. Siemens, BMW, Daimler possèdent (comme Renault) des sites en Russie. En tout, les investissements allemands en Russie sont chiffrés à 20 milliards d’euros, les exportations allemandes étant de 26,6 milliards en 2021. En fait, le commerce avec la Russie a déjà diminué ces dernières années après l’annexion de la Crimée et des sanctions de l’UE.

Mais ce sont surtout les importations qui sont importantes et la première matière importée est le gaz. À la différence de la France, l’Allemagne en est fortement dépendante. Le gaz représente 27 % du mix énergétique en Allemagne, donc plus d’un quart. Et 55 % de ce gaz proviennent de la Russie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Allemagne voulait ce nouveau gazoduc Nord Stream 2. En fait les gazoducs existants qui relient la Russie et l’Europe de l’Ouest sont loin d’être saturés. Mais les deux tiers de leurs capacités passent précisément par le territoire ukrainien. Ce qui augmente le coût, car l’Ukraine prélève des forfaits de transit, et peut peser par sa propre politique sur l’exportation – en la circonstance l’acheminement – du gaz russe. Le nouveau « tube » qui traverse la mer Baltique, dont la construction a été achevée en septembre dernier, arrange donc Poutine et l’industrie allemande. Il a coûté environ 10 milliards d’euros. Mais il ne va pas démarrer de sitôt. Suite à l’invasion de l’Ukraine, il est inclus dans les sanctions. Par contre, à ce stade, le reste du gaz continue à couler, y compris à travers Nord Stream 1, dont Nord Stream 2 devait juste doubler la capacité.

Mais ce n’est pas le seul changement dans la politique allemande. Pour mémoire, le gouvernement actuel est une coalition entre la social-démocratie de Scholz, le parti des Verts, dont la ministre de l’extérieur Baerbock et le ministre de l’Économie et des questions climatiques Habeck, et le parti libéral (qui détient le ministère des Finances).

Dimanche dernier Olaf Scholz a tenu un discours « historique » au parlement. Il y a utilisé cinq fois le terme « Zeitenwende » qu’on peut traduire par « tournant historique » ou « changement d’époque ». Il a annoncé la livraison d’armes à l’Ukraine, des armes anti-chars américaines (Stinger)… et armes de l’époque soviétique ! (qui faisaient partie des stocks de l’ex-armée est-allemande).

Et surtout il a annoncé un réarmement massif et inouï. La création d’une « capacité extraordinaire » de 100 milliards d’euros d’un seul coup pour l’armée allemande, inscrite dans la constitution allemande – la droite s’est déjà dite favorable au changement de la Constitution. Ces 100 milliards sont à comparer avec le budget militaire de l’Allemagne de l’année dernière qui était de 46,9 milliards d’euros. Scholz a annoncé qu’en plus de cette « capacité extraordinaire », le budget annuel serait augmenté et passerait au-dessus de la barre de 2 % du PIB que l’Otan avait fixée il y a quelques années pour ses pays membres. Plus de 2 % du PIB, cela voudrait dire une augmentation du budget militaire annuel de plus de 50 % par rapport à aujourd’hui.

Quelles sont les raisons de ce réarmement massif ? Scholz compte probablement utiliser l’indignation actuelle face à la guerre de Poutine pour faire avancer un projet que les dirigeants allemands ont depuis longtemps en tête : développer à nouveau une force militaire qui aille de pair avec la force économique. Le fait que l’Allemagne a dû abandonner sa propre politique et s’incliner devant les États-Unis au moment où les armes ont commencé à parler, a probablement joué dans ce virage militariste.

Depuis longtemps, des politiciens allemands parlaient de « prendre plus de responsabilité au niveau international ». Quand Trump était à la tête des États-Unis, certains nous expliquaient qu’il était un peu fou et que pour cette raison l’UE et l’Allemagne devraient avoir davantage de poids militaire. Merkel en avait rêvé, mais c’est maintenant, avec la guerre en Ukraine, qu’ils osent passer à l’acte.

Ce qui est notable, c’est qu’à nouveau un gouvernement social-démocrate avec participation des Verts brise un tabou antimilitariste. Les Verts en Allemagne ne sont pas seulement issus du mouvement écologiste, mais aussi du mouvement de la paix très fort dans les années 1980. C’est pourquoi leur participation est précieuse pour endormir les sentiments pacifistes dans la population allemande. Déjà lors de la grande première de l’immixtion de de l’armée allemande dans une entreprise guerrière depuis la Deuxième Guerre mondiale (en 1999 au Kosovo), sociaux-démocrates et Verts gouvernaient ensemble.

En ce qui concerne le parti de gauche oppositionnel, Die Linke, il est très embarrassé par cette guerre et elle fait apparaître de grandes tensions internes. De par son passé stalinien, ce parti véhiculait des illusions par rapport à la Russie de Poutine et il garde dans son programme électoral la revendication d’une sortie de l’Otan. Ce serait même le principal obstacle que les autres partis dits de gauche mettent à sa participation gouvernementale, au niveau fédéral. Du coup, une partie du personnel dirigeant de Die Linke veut utiliser la guerre actuelle pour se débarrasser de ce positionnement anti-Otan « gênant », tandis que d’autres y tiennent.

Ce que ce « tournant historique » va signifier pour la situation de la classe ouvrière en Allemagne, il est trop tôt pour le dire. Mais le ministre des Finances a déjà annoncé qu’il faudra « faire des sacrifices »…

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