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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 98, mars-avril 2015

L’Aide sociale à l’enfance sacrifiée

23 mars 2015 Convergences

Épinglé en 2009 par la Cour des comptes [1], le fonctionnement de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) fait couler beaucoup d’encre. Les six milliards de budget dépensés « sans que l’on cherche à contrôler les acteurs, ni l’efficacité des interventions » sont agités tel un épouvantail. Une proposition de loi a été déposée l’été dernier visant à « sécuriser le parcours des enfants placés », les auteures, sénatrices PS et UDI, invoquant même la création d’un « Conseil national de la protection de l’enfance »… Beaucoup de bruit pour dissimuler une difficulté majeure : outre les inégalités territoriales criantes, les budgets étant alloués par les départements, c’est surtout l’insuffisance des moyens face à l’ampleur de la tâche qui saute aux yeux des travailleurs sociaux [2].

D’un côté, le nombre de familles en difficulté augmente et, de l’autre, les organismes sociaux sont saturés. À titre d’exemple, en 25 ans, le nombre d’appels au 119 (« Allô enfant en danger ») a tout bonnement triplé [3]. Quant au 115, numéro d’urgence sociale sur lequel les travailleurs sociaux se rabattent souvent pour trouver un hébergement aux jeunes, il est totalement saturé. Début février, le personnel du 115 de Seine-Saint-Denis (93), en grève pour le première fois, signalait 19 000 appels quotidiens, parmi lesquels moins de 500 peuvent être honorés, après un temps d’attente de plusieurs heures parfois.

Face à l’extrême pauvreté qui augmente et, surtout, au peu de solutions pérennes d’aide sociale proposées par l’État [4], les « écoutants » du 115, impuissants, en sont réduits à gérer la misère. De l’autre côté du téléphone, il n’est pas rare, pour les travailleurs sociaux, de passer la journée à tenter d’obtenir une place pour un jeune sans aucun soutien parental. « Il n’y a pas de place, Madame, rappelez à 22 heures ». On est tenté de rester trois heures de plus au boulot, mais on sait que ça ne changerait rien. Et l’on se résigne à envoyer le jeune à la rue… avec 20 euros d’une « caisse noire » que les collègues alimentent de leurs poches.

À cela s’ajoute le fait que l’appareil judiciaire, seul capable d’ordonner une mesure de protection mais de plus en plus surchargé, se désengage, laissant les éducateurs de l’ASE bricoler des solutions. À défaut d’une mesure imposée aux familles par le juge, comme le placement nécessaire d’un enfant sans consentement des parents, en cas de fratricide par exemple, l’ASE doit souvent se débrouiller en mettant en place de simples visites d’un éducateur à la famille. Et pour cause, aux yeux de l’État, une mesure de protection de l’enfance « coûte cher ». Pour un placement, il faut compter entre 100 et 700 euros par jour et par enfant suivant le tarif et le degré de spécialisation du foyer. Le très nécessaire travail avec les familles et le maintien du lien parents-enfant deviennent ainsi un prétexte pour justifier les économies.

Coupes budgétaires

De façon générale, comme dans l’ensemble de la Fonction publique, la protection de l’enfance subit une baisse importante des budgets, parfois au mépris même des conventions signées avec les associations. C’est le cas dans le Finistère, où la sauvegarde de l’enfance subit 750 000 euros de restrictions budgétaires répartis sur le Semo (Services en milieu ouvert), les Maisons de parents et les salariés de la principale association du secteur, Don Bosco, lesquels perdent ainsi 25 % de leur budget.

Ces restrictions budgétaires ont des conséquences directes. Entre autres, les délais de traitement et de déclenchement des mesures sont de plus en plus longs. À Paris, comptez entre six mois et un an pour une aide éducative à domicile. Sauf si c’est une « mesure d’urgence », auquel cas, c’est un traitement express : dans les trois mois en moyenne ! C’est donc aussi la qualité du suivi du jeune qui s’en ressent. Avec entre 30 à 40 jeunes dans sa « file active » – c’est-à-dire à suivre simultanément – comment un travailleur social peut-il assurer un suivi sinon rigoureux, du moins minimum ?

Beaucoup refusent de se résigner. Parmi eux, par exemple, les travailleurs sociaux du Finistère réunis en assemblée générale ont appelé à construire la mobilisation, qui culminera avec une journée d’action le 17 mars. Des salariés de plusieurs structures de Rouen étaient en grève en décembre dernier pour leurs conditions de travail et les conditions d’accueil des personnes à la rue. Leurs collègues de Limoges, de leur côté, avaient déjà pris les devants cet été avec une mobilisation d’ampleur (voir l’article ci-contre).

La lutte des « Jeunes mineurs étrangers »

Mais ce sont aussi certains « usagers » des services de la protection de l’enfance qui se battent pour que ce mot retrouve un sens. En l’occurrence, les « mineurs isolés étrangers », selon la formule sous laquelle la loi les regroupe.

Ces jeunes migrants, fuyant la violence dans leur pays d’origine, se mobilisent en ce moment même pour leur prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance, pourtant prévue par la loi. En lieu et place du logement, des soins de santé, et de l’éducation que la loi leur garantit, ils sont jetés à la rue, livrés à la précarité et au danger, car le manque de moyens dans les structures d’accueil ne permet pas de les accueillir. À Paris, face à la mobilisation de ces jeunes aidés par les associations, la mairie n’a mis en place qu’une solution d’hébergement provisoire – un gymnase. Et, si certains professeurs solidaires se mobilisent également et font grève, comme ceux du lycée Hector-Guimard (19e arr.), cela ne permet malgré tout que des dépannages temporaires.

Devant les délais interminables pour l’inscription et les moyens totalement arbitraires employés (tests osseux notamment, condamnés depuis des années par la Commission des Droits de l’Homme et le Comité consultatif national d’éthique), les jeunes ont fini par occuper, à Paris, la permanence (PAOMIE) chargée de déterminer leur âge en vue d’une admission à l’ASE. Maintenir ces jeunes à la rue est intolérable, leur prise en charge doit être arrachée.

12 mars 2015, Joan ARNAUD et Sylvia GUILENA


Conseil général de la Haute-Vienne (Limousin) : Les travailleurs sociaux réagissent contre la suppression de l’aide sociale à l’enfance pour les jeunes majeurs isolés

En octobre 2014, le Conseil général de la Haute-Vienne (87), vote à l’unanimité, Front de gauche compris, la suppression de l’aide sociale à l’enfance pour les jeunes majeurs isolés entre 18 et 21 ans qui n’auront pas été suivis par le Conseil général du département (CG87) dès l’âge de 15 ans. Mesure discriminatoire qui remet en cause le travail social du personnel pour l’insertion de ces jeunes en difficulté et va mettre à la rue des dizaines de jeunes à l’âge de 18 ans. Sur les 80 mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, c’est une quarantaine d’entre eux qui sera frappé par cette décision applicable dès avril 2015.

Fin novembre 2014, les travailleurs sociaux déclenchent une grève de quinze jours

Ils occupent le parvis du Conseil général pour s’opposer à cette décision. La présidente du CG87 (PS), qui se cache derrière les baisses de dotation de l’État, campe sur sa position et refuse toute négociation. Pire, elle explique que ne pas prendre cette mesure, c’est faire le jeu du FN ! Devant ce mur, les travailleurs sociaux cessent l’occupation du parvis et, sous la houlette des syndicats FSU-CGT-SUD, s’en remettent aux voix juridiques pour annuler cette décision. Ils n’en organisent pas moins des rassemblements les 16 janvier et 13 février 2015 où plus de 200 personnes manifestent leur indignation.

Les travailleurs sociaux ne comptent pas en rester là. Ils ont mis en place un réseau de soutien aux jeunes majeurs pour faire face, par de nouvelles mobilisations, aux situations individuelles désastreuses qui se profilent à l’horizon pour ces jeunes en difficulté. Mais, si la mobilisation ne monte pas au cran supérieur après les élections départementales, ces jeunes se retrouveront à la rue.

René SENS


« Bonsoir Monsieur, c’est le 115 de Seine-Saint-Denis... On est désolé mais nous n’avons pas trouvé de solution pour vous cette nuit ». Au bout du fil, l’homme encaisse. « D’accord, c’est comme hier alors », répond une voix épuisée. « Où allez-vous dormir ? », s’enquiert Ousmane, qui lui conseille, « comme il va faire froid », de se réfugier aux urgences de l’hôpital. « Dehors, à côté du collège pour les enfants », répond son interlocuteur, qui ajoute avant de raccrocher : « Merci de m’avoir rappelé, à demain. »

Extrait du reportage « En Seine-Saint-Denis, le ‘115’ à bout de souffle », visuel interactif, LeMonde.fr, du 15 février 2015.


[1« La protection de l’enfance », Rapport de la Cour des comptes, octobre 2009.

[2Le nombre de jeunes pris en charge par les services de protection de l’enfance était estimé à environ 296 000 fin 2011, dont 275 000 mineurs (48 % d’entre eux sont placés en familles d’accueil ou établissements) et 21 000 jeunes majeurs. M. Meunier, M. Dini, « Protection de l’enfance : améliorer le dispositif dans l’intérêt de l’enfant », rapport publié au nom de la Commission des affaires sociales en juin 2014.

[3« Enfance en danger : en 25 ans, le 119 a triplé son nombre d’appels », AFP, 28 janvier 2015.

[4« Aujourd’hui il faut compter huit ans en moyenne pour obtenir une place dans un centre d’hébergement d’urgence. Donc, en réalité, on gère des listes d’attente », confie le directeur du 115 du 93, Abilio Brazil. (Le Monde, 14 février 2015).

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