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20 ans de réformes contre l’hôpital public

20 ans de réformes

Juppé, Sarkozy, Fillon, Bachelot… Valls, Touraine, mêmes dégâts

Mis en ligne le 8 décembre 2016 Convergences Politique

Les suicides d’infirmiers se sont succédé au cours de l’été. En cause, le sous-effectif dans les établissements, une baisse de la durée moyenne de séjour qui intensifie les tâches, une pression accrue pour réaliser plus rapidement les actes afin qu’ils demeurent ‘rentables’. Ce contexte est celui d’au moins deux décennies de réformes contre le monde du travail hospitalier, qui ne promet pas de s’améliorer au vu des déclarations tonitruantes des favoris de la primaire à droite (retour aux 39 heures, suppressions de postes de fonctionnaires…)

Certes, Fillon se démarque en prévoyant carrément le déremboursement de toutes les pathologies ‘non graves’, mais Juppé, dès 1996, avait déjà pris beaucoup d’avance en matière d’attaques contre l’hôpital public… tout comme Marisol Touraine, actuelle ministre de la santé, qui ne s’est pourtant pas privée de clouer au pilori ses petits camarades sur twitter pendant le dernier débat des primaires en lançant « François Fillon, vous proposez la privatisation de la santé, assumez-le ! ». Ce qui lui a valu un flot de réponses médusées, du type : « Mais madame, enfin… vous l’avez déjà fait ».

Les GHT : « Armes de restructuration massive »

Prévus par la loi Touraine du 26 janvier 2016 « relative à la modernisation de notre système de santé », les Groupements hospitaliers de territoire (GHT) ont été mis en place au 1er juillet. Désormais obligatoires, ils rassemblent autour d’un « établissement support » plusieurs hôpitaux. 135 GHT sont prévus sur le territoire national. L’objectif ? « Rationaliser l’offre de soins » (en éliminant les ‘redondances’ de services) et « mutualiser » les services supports (blanchisserie, labos, pharmacie, etc.), quand ils ne sont pas déjà externalisés [1]. S’il est vrai que la curée n’est pas nouvelle, les GHT en sont à l’évidence une technologie de pointe !

Dans le contexte de restrictions budgétaires confirmées par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l’automne, la mise en place des GHT vise avant tout à supprimer des postes. La preuve par l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), qui fait figure de laboratoire. La création de groupes hospitaliers y est déjà ancienne et est comptable d’un bilan d’environ 1 000 postes dissous chaque année.

Et qui dit fusion de sites hospitaliers, dit éclatement des équipes, adaptation à de nouvelles organisations du travail, tyrannie de la polyvalence… Bref, un nivellement par le bas des conditions de travail. D’autant que les GHT visent à mettre les hôpitaux en concurrence, avant même leur entrée en vigueur, pour déterminer qui sera l’hôpital support (voir l’article sur le GHT du 93-95). Dans cette course à la rentabilité, tous les coups sont permis… surtout contre les salariés.

« L’hôpital-entreprise » à droite comme à gauche

2009 - C’est lors d’un déplacement dans les Vosges à Neufchâteau, que Nicolas Sarkozy, alors président de la République, lance la réforme de l’hôpital. « Il faut à l’hôpital public un patron, et un seul » déclare-t-il, histoire de flatter les directeurs des hôpitaux et de lancer le projet de loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST ou loi Bachelot), que, précise-t-il « Roselyne conduira avec maestria ».

Le volet hospitalier de cette loi Bachelot met en place la « gouvernance d’entreprise ». « Conseil de surveillance », « directoire »… l’hôpital public ne répond plus à des besoins, il gagne des marchés. Cap rentabilité. Claude Evin, ancien ministre socialiste de la Santé, alors président de la Fédération hospitalière de France, monte au créneau pour défendre la loi, « qui va dans le bon sens, comme le pilotage du système de santé par le biais d’Agences régionales de santé (ARS) »… Il se retrouvera à peine un mois plus tard promu à la tête de la plus capitale d’entre elles, l’ARS d’Île-de-France.

2012 - Arrive la gauche, avec Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé, en mai 2012. Faut-il abroger cette loi HPST, comme François Hollande l’avait promis ? « Un hôpital qui n’a pour horizon que la contrainte financière, est un hôpital qui a le blues et qui n’avance plus », explique-t-elle alors. Non seulement la loi n’est pas abrogée, mais elle est complétée par la loi Santé de janvier 2016 et ses fameux GHT, ainsi que par la supervision du plan de casse des 35 heures et des conditions de travail à l’AP-HP, mené par Martin Hirsch. Trois vitres brisées à l’hôpital Necker lors des manifestations contre la loi Travail au printemps 2016, c’était pour Marisol Touraine une affaire d’État ; mais 22 000 suppressions de postes chez les soignants, c’est une réforme de la santé !

Course aux parts de marchés sous l’égide des ARS

Les Agences régionales de Santé (ARS), une idée de Sarkozy ? En réalité, les ordonnances Juppé de 1996 avaient déjà autorisé l’installation d’ARS, à titre expérimental. Véritables préfets nommés par le gouvernement et révocables à chaque conseil des ministres, les ARS, regroupant administration des caisses d’assurance-maladie et représentants des pouvoirs publics, sont l’instrument que se donne l’État pour avoir la main sur l’exécution des politiques d’austérité. De quoi relativiser le pouvoir des directeurs d’hôpitaux enivrés par la promesse du président Sarkozy de devenir les « seuls patrons à l’hôpital »… Mis sous tutelle, les plus lucides d’entre eux se réconfortent en voyant certains médecins chefs de pôle assumer à leurs côtés les mesures de réduction de personnel. « C’est beaucoup plus confortable », confie l’un d’entre eux [2].

L’État orchestre la privatisation

La loi Bachelot avait supprimé la notion de service public pour ne garder que des « missions de service public » pouvant être prises en charge par tous types d’établissements, offrant ainsi sur un plateau tout un champ d’activités aux cliniques. Rattachées à une série d’obligations par la loi Touraine, ces missions sont toutefois rémunérées par de conséquentes enveloppes de financement public. Sans compter la mise à disposition au privé d’innombrables structures de l’hôpital public. Hôtellerie privée au sein même des hôpitaux publics, profitant d’ailleurs de la pénurie constante de lits en leur sein, pépinières de start-ups de la santé, à l’instar de celle ouverte en novembre à l’hôpital Cochin de Paris avec cinq étages de bureaux flambants neufs à des tarifs de location inégalables, etc. La « régulation régionale » opérée par les ARS : une ingérence dans les petites affaires des établissements privés de santé, mais une bien douce ingérence !

Ce « retour en force de l’État » vise à mieux arbitrer entre public et privé… au profit du privé. L’État devient commanditaire, par le biais des ARS, de prestations à des acteurs publics ou privés, dont il exige la rentabilité et l’efficience, en organisant la concurrence entre eux… et contre eux-mêmes.

Le boom de l’ambulatoire

Un exemple, l’ambulatoire, très prisé car très rentable [3]. Dans un entretien aux Échos en avril 2014, Marisol Touraine annonçait des objectifs pour « doubler le rythme de croissance  » de la chirurgie ambulatoire, qui permet à un patient d’être opéré dans la journée, sans passer la nuit à l’hôpital. « Si on retient l’objectif fixé par le gouvernement de 62,2 % des opérations en ambulatoire en 2020, il y a mécaniquement une surcapacité de 35 000 lits en France, dont près de 20 000 dans le public », explique Gilles Bontemps, directeur associé de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux [4], alors que d’ores et déjà, près de 10 000 lits de chirurgie ont été fermés dans les hôpitaux publics entre 2004 et 2014 – soit une diminution de 30 % en dix ans.

La tarification à l’activité, ou la course à la productivité

C’est à partir de 2004 qu’est introduite graduellement une tarification à l’activité (T2A) dans l’ensemble des établissements. Jusque-là, seuls les cliniques privées étaient rémunérées à l’acte pour les honoraires des praticiens, ce qui a engendré un partage des activités : à l’hôpital les séjours les plus longs, et aux cliniques les activités ‘à actes’, plus rentables (cardio, chirurgie, obstétrique, etc.). Depuis 2008, l’ensemble des hôpitaux publics (hormis les hôpitaux psychiatriques) sont soumis à ce mode de financement. C’est l’activité des hôpitaux qui détermine leurs recettes.

La tarification à l’activité dépendant d’une enveloppe budgétaire contrainte, les pouvoirs publics peuvent faire varier les tarifs à la baisse si le volume d’activité augmente. Résultats des courses : plus les hospitaliers sont productifs en raison d’une guerre effrénée à la rentabilité entre hôpitaux, et plus les tarifs baisseront, entraînant un besoin de produire encore plus, et donc de s’épuiser encore plus au travail ! Un véritable cercle vicieux.

Ses effets sur le personnel et les patients

Une étude [5] montre que la productivité du personnel hospitalier (soignants et non-soignants) a augmenté de 10 % entre 2007 et 2009, c’est-à-dire la période charnière suivant la généralisation de la tarification à l’activité.

Mais derrière le « tout productivité » se cache aussi de véritables reculs médicaux. Les risques induits par cette T2A sont en premier lieu des taux de complications accrus, comme l’indique la croissance du taux de réadmission à 30 jours depuis son introduction [6]. De manière générale, cette tarification à l’activité provoque une stratégie de raccourcissement de la durée de séjour des patients âgés ou avec risques de complications. L’optimisation des coûts va se nicher jusque dans les moindres détails : par exemple, des économies sur la diététique (nombre de services de restauration ont le même budget depuis 15 ans, en dépit de l’inflation, pour des repas avec jusqu’à seulement 50 % de l’apport calorique nécessaire) ou encore l’arrêt de certains services aux patients, parfois aussi basiques que l’obtention d’une brosse à dent ou de shampoing, créneau sur lequel se jettent les boîtes privées naturellement !

27 novembre 2016, Joan ARNAUD


[1L’externalisation des fonctions linge, déchets et restauration concerne déjà 25 % des établissements publics.

[2« Si la loi HPST m’était contée… », André Grimaldi, Les Tribunes de la santé, n o 46, 2015.

[3En 2015, près de 2 séjours sur 3 sont effectués dans un établissement privé commercial (Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, 2015).

[4L’agence gouvernementale si bien nommée, instituée sous Sarkozy en juillet 2009.

[5« Activité, productivité et qualité des soins des hôpitaux avant et après la T2A », avril 2013, IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé).

[6Exemple de l’infarctus aigu du myocarde : le taux de réadmision est passé de 23,7 à 27,2 % entre 2003 et 2009 (étude de 2013 de l’IRDES).

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