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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 109, décembre 2016

Jack London, écrivain, ouvrier, vagabond, révolutionnaire un temps…

Mis en ligne le 8 décembre 2016 Convergences Culture

Il y a un siècle, le 22 novembre 1916, mourait Jack London. Auteur de « Croc blanc » ou « L’appel de la forêt », il n’a pas écrit que pour la jeunesse. On oublie souvent son parcours d’écrivain engagé, sorti des quartiers pauvres de Californie, qui a consacré une partie de sa vie à la défense des idées socialistes révolutionnaires, même s’il s’en est ensuite écarté.

Tour à tour marin sur les océans, vagabond sur routes aux États-Unis, chercheur d’or en Alaska, reporter de guerre, photographe, militant socialiste et grand écrivain alcoolique…

Jeunesse, errance et petits boulots

Jack London est né en 1876, en pleine explosion du capitalisme américain, qu’il a vécue dans un milieu pauvre de Californie. Son enfance est chamboulée par l’abandon de son père, une mère abîmée par ses deux tentatives de suicides et des déménagements à répétition au gré des différents emplois de son beau-père. Le jeune Jack n’en découvre pas moins la littérature à neuf ans, à la bibliothèque municipale d’Oakland.

Il commence à travailler dès 15 ans dans une usine de conserves. Dur contact avec la brutalité et l’injustice du sort de la classe ouvrière. Il fréquente ensuite les pilleurs d’huîtres de la baie de San Francisco [1] avant de s’embarquer à 17 ans comme marin pour une chasse aux phoques sur les côtes japonaises.

Quand Jack revient à San Francisco en 1894, une énorme crise économique frappe les États-Unis. Il travaille dans une fabrique de jute pour un dollar la journée de dix heures. Puis il trouve un poste un peu mieux payé à la centrale électrique des tramways d’Oakland. Nuit et jour, il alimente en charbon un fourneau. Il s’aperçoit qu’il fait le travail de deux ouvriers que son contremaître a licenciés un peu plus tôt, poussant l’un d’eux au suicide. Cette découverte attise son esprit de révolte. Il démissionne et se joint aux manifestations de chômeurs. Il prend la route avec 2 000 ouvriers de San Francisco vers Washington, puis il continue seul un voyage à travers l’est des États-Unis pendant sept mois et fait la dure expérience de la prison pour vagabondage [2].

Vers le socialisme

Après son retour en Californie, à l’âge de 19 ans, Jack entre au lycée d’Oakland. Il vise l’université, travaille en même temps pour gagner sa vie et commence à s’intéresser aux écrits socialistes. En 1896, il entre au Socialist Labor Party et commence à défendre en public les idées socialistes révolutionnaires. Il ne fait qu’un semestre à l’université, déçu des idées politiques et sociales superficielles à son goût de ce milieu. Malgré des difficultés familiales qui l’obligent encore à un dur labeur dans une blanchisserie, il commence à écrire des nouvelles, des articles pour la presse.

Du Grand Nord aux succès littéraires

À San Francisco, la rumeur d’un Eldorado dans le Klondike (territoire canadien près de l’Alaska) provoque une folie générale. Des aventuriers partent pour le Grand Nord à la recherche de filons d’or. Jack London en fait partie, en 1897-1898. Encore l’occasion, quelques années plus tard, d’écrire des récits d’aventures inspirées de son périple dans ces espaces sauvages – récits qui séduisent quelques journaux et magazines. Il arrive enfin à être publié et commence à vivre de sa plume. Dans ces mêmes années, Jack London donne des séries de conférences pour défendre le socialisme et la révolution. Il publie un recueil de nouvelles engagées : La Guerre des classes.

En cette première décennie du xxe siècle, les idées socialistes et révolutionnaires prennent de l’élan, la révolution éclate en Russie en 1905, le parti socialiste américain compte quelque 100 000 adhérents, même si tous ses membres n’en sont pas, comme Eugène Debs, à rêver de « grève générale », pour London en tout cas, c’est la période la plus engagée [3].

Le Talon de fer

C’est la période où London écrit Le Talon de fer, un livre particulièrement marquant. Un roman d’anticipation sociale qui décrit l’histoire future des États-Unis, dévastés par la crise économique, soumis au règne des monopoles ; et où apparaît une nouvelle forme de régime policier.

Lu aujourd’hui, ce livre écrit en 1906 apparaît visionnaire par rapport à l’histoire du XXe siècle marqué par la crise de 1929, le règne des compagnies géantes et les régimes fascistes.

À travers l’un des personnages, London expose avec force sa conception des idées marxistes sur l’économie politique et défend la nécessité de la révolution armée contre la bourgeoisie.

Pourtant, il affiche aussi dans cette œuvre une vision pessimiste de l’avenir, qui va choquer ses amis socialistes. Déjà un signe de déception, de perte de conviction dans le combat socialiste. [4]

Le dirigeant révolutionnaire russe, Léon Trotsky, découvrira ce livre trente ans après sa publication. Le Talon de fer le fascine pour sa puissance à envisager le parcours funeste du mouvement ouvrier mené par le réformisme et les déchaînements de violence qui vont frapper impitoyablement aux débuts du xxe siècle. Pour Trotsky, ce livre est profondément marqué par l’écrasement de la révolution russe de 1905 dans laquelle Jack London avait placé un grand espoir un an avant la rédaction de son roman.

L’homme blanc et le loup

London écrivait en 1910 que la camaraderie révolutionnaire « dépasse les frontières géographiques et transcende les préjugés raciaux » [5]. Pourtant, son œuvre est entachée d’ambiguïtés, à la fois défendre le prolétariat mais échapper à la « fosse sociale » [6], et surtout, de plus en plus imprégnée de jugements et de propos racistes. Sur les Japonais, les Coréens, les Noirs américains, il alimente les préjugés crasses de son époque sur la hiérarchie des races et tout particulièrement la supériorité de l’homme blanc. Dans la même veine, sa fascination pour la survie du plus fort et pour une sorte d’individualisme féroce. London s’est forgé une étrange vision du monde où les êtres hors du commun jouent souvent le rôle principal.

Le goût de l’aventure et l’esprit de révolte

Jack London, pour le meilleur plutôt que pour le pire, a influencé toutes les générations du XXe siècle par ses écrits sur la condition ouvrière, sur l’exploration du monde, sur la science et la science-fiction. Ses nouvelles d’anticipation ont ouvert l’imaginaire, tantôt vers un idéal d’égalité sociale, tantôt vers l’horreur d’un monde qui bascule dans la guerre bactériologique, la dictature policière, la crise économique mondiale voire le rétablissement de l’esclavage [7].

Il fut un auteur révolté, mordant contre le monde capitaliste, visionnaire quant aux possibilités de le changer, mais aussi individualiste forcené. Il a mené une vie de tête brûlée, comme il l’a fait inscrire sur sa tombe au cimetière d’Oakland : « J’aime mieux être un météore superbe plutôt qu’une planète endormie. La fonction de l’homme est de vivre, non d’exister. Je ne gâcherai pas mes jours à tenter de prolonger ma vie. Je veux brûler tout mon temps. » 

Ilan CARTIER


[1Un épisode de sa vie dont il s’inspirera onze ans plus tard pour écrire son roman les pirates de la baie de San Francisco.

[2Un périple qu’il racontera dans son livre Les vagabonds du rail paru en 1907.

[3À lire, la nouvelle Le rêve de Debs, écrite par London en 1909, où il imagine les mésaventures d’un riche notable perdu et désemparé au milieu d’une grève générale illimitée qui s’étend à tous les États-Unis.

[4London restera une sorte de membre d’honneur du Socialist Labor Party avant de démissionner en 1916, l’année de sa mort.

[5Ce passage est extrait de son texte poignant intitulé Révolution, dans lequel il fait l’état des forces du mouvement socialiste révolutionnaire à travers le monde en 1905.

[6Son roman autobiographique Martin Eden, publié en 1909, est le récit le plus éloquent sur cette contradiction entre solidarité ouvrière et désir d’ascension sociale.

[7À découvrir le recueil de nouvelles, Histoire des siècles futurs, publié en 1974 aux éditions 10-18.

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Numéro 109, décembre 2016