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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro spécial, décembre 2019

Iran : « À bas la dictature, la pauvreté, la corruption et l’injustice »

Mis en ligne le 10 décembre 2019 Convergences Monde

À la suite de l’Irak et du Liban, les classes populaires d’Iran se sont retrouvées massivement dans la rue le 15 novembre. Le triplement du prix de l’essence annoncé la veille par le régime a été la goutte d’eau. Des milliers d’ouvriers, de chômeurs, d’étudiants, de retraités, mais aussi une partie de la petite-bourgeoisie, ont défilé dans plusieurs dizaines de villes du pays. La contestation a immédiatement dépassé la question du prix de l’essence. C’est toute la colère accumulée contre le chômage, les salaires de misère (quand ils sont versés), l’inflation galopante, ainsi que le ras-le-bol de la corruption qui se sont exprimés à travers des slogans visant directement le régime.

La répression a été immédiate et brutale. Gaz lacrymogènes, flashballs, mais aussi snipers sur les toits, voltigeurs à moto, mitrailleuses et chars d’assaut : tous les moyens ont été déployés, de la police, mais aussi des forces paramilitaires des « gardiens de la révolution », les pasdarans, dont les troupes d’élites répriment déjà en Irak, et les bassidji, la milice de « volontaires » recrutée parmi les chômeurs pour réprimer.

Le régime a surtout cherché à réduire la contestation au silence en la privant de moyens de communication. Dès le 17 novembre, l’ensemble du réseau internet était coupé, seuls les sites sous contrôle du pouvoir restaient accessibles, les journalistes habilités restant seuls à pouvoir se connecter au reste du monde. Les chaînes Telegram, qui servent de canaux habituels d’information sur les mouvements sociaux en Iran, sont restées pour la plupart muettes pendant près d’une semaine.

Les quelques vidéos qui ont pu sortir du pays ont néanmoins montré que la jeunesse ne s’est pas laissé faire. Des groupes importants de jeunes, et moins jeunes, ont bloqué des routes, dressé des barricades et riposté face à la police. Des centaines de stations-services, commissariats, bâtiments publics, banques, commerces appartenant à des dignitaires du régime ont été incendiés, autant de bâtiments symbolisant, aux yeux des manifestants, le pouvoir et l’oppression. Néanmoins, une partie de la casse est aussi le fait de la police, notamment d’immeubles résidentiels, d’écoles et de mosquées, dans le but de décrédibiliser les manifestants.

Lorsque le réseau a été progressivement rétabli et que les vidéos ont circulé à nouveau, beaucoup, y compris dans le pays, ont découvert l’ampleur de la contestation… et de la répression. Le bilan réalisé par Amnesty International ne cesse de s’alourdir : 208 morts au 2 décembre. Le nombre de blessés, incalculable, est tel que l’Organisation iranienne de transfusion sanguine a appelé en urgence à des dons de sang. Le nombre d’arrestations est estimé à 7 000 par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Ces détenus, dont certains ont déjà témoigné avoir été torturés, risquent la peine de mort ou de lourdes peines de prison.

Le régime s’est félicité d’avoir maté un « complot » de l’étranger. Mais les discours sur l’ingérence américaine et israélienne ne bernent plus grand monde. Tout pourrait redémarrer très vite. Samedi 7 décembre, les étudiants de Téhéran étaient de nouveau dans la rue, derrière une banderole affirmant « Iran, France, Irak, Liban, Chili… Le même combat, arrêter le néolibéralisme », avec pour slogans : « Les étudiants sont conscients, à l’unisson avec les travailleurs », « Les rues sont sanglantes, la liberté a été sacrifiée ».

Une explosion de colère qui n’a pas surpris

Depuis le retour des sanctions américaines, en mai 2018, la situation est de plus en plus catastrophique pour les classes populaires. L’inflation officielle est de 40 % depuis janvier, et de 120 % pour les biens de première nécessité. Avec l’essence, ce sont tous les prix qui s’envolent, du fait de l’augmentation des coûts de transport. Quand le salaire moyen équivaut à 300 euros, et le salaire minimum à 166 euros, il est quasiment impossible de s’en sortir. D’autant que le manque de matières premières et de pièces, causé par l’embargo, sert aux patrons à justifier des fermetures d’usines, alors que le chômage est déjà pléthorique. La production a connu une chute drastique en quelques mois. Les classes populaires sont ainsi les premières à payer la politique agressive de Trump.

Mais les sanctions ne sont pas seules en cause. La corruption généralisée aggrave nettement la situation, de même que les dépenses pour la recherche nucléaire, les institutions religieuses ou les interventions militaires au Liban, en Irak, au Yémen ou en Syrie, dénoncées par les manifestants. Après la signature de l’accord sur le nucléaire avec Obama en 2015, il y a eu une accélération des réformes de libéralisation de l’économie : poursuite des privatisations d’entreprises d’État (souvent nationalisées pour éviter un contrôle direct par les ouvriers après le départ des patrons en 1979), régionalisation du salaire minimum, externalisation des services de santé, d’éducation et sociaux, etc. Les classes populaires n’avaient en rien profité de la levée des sanctions, y compris la libéralisation des fonds gelés aux USA depuis 1979, qui avaient servi en premier à importer des voitures de luxe pour les responsables du régime. Du prix de l’essence, les revendications se sont donc immédiatement étendues à l’emploi, l’augmentation des salaires et des pensions de retraites, ainsi que l’arrêt des privatisations.

D’autant que depuis deux ans, les luttes ouvrières se multiplient en Iran. Les enseignants sont en lutte contre le manque de moyens dans les écoles, les ouvriers pour exiger les salaires impayés, mais aussi les retraités, qui subissent de plein fouet l’inflation. Grèves et manifestations se succèdent et font face à la répression. De nombreux militants ouvriers, enseignants, étudiants sont en prison. Le 1er mai 2019 a été l’occasion de rassembler ces colères, mais la manifestation, à l’appel de plusieurs syndicats clandestins, a été rapidement dispersée par la police, avec plusieurs dizaines d’arrestations. Depuis, les condamnations tombent [1], dont la dernière, début décembre, contre Neda Naji à 5,5 ans de prison (une peine « légère » au vu des précédentes).

Un régime aux abois

Si le régime use de la répression, c’est qu’il est plus fragile que jamais. Tous les chefs du régime, des conservateurs aux « réformateurs » en passant par les « modérés » (la clique actuellement au pouvoir), en sont conscients. Il a suffi que Khamenei soutienne la hausse du prix de l’essence pour que les réformateurs retirent leur amendement au parlement qui demandait de reculer face à la rue. Face à la contestation du régime, il s’agit de serrer les rangs.

Le soutien populaire du régime islamique, qui tenait à coups de discours anti-américains facilités par les sanctions, s’est érodé devant la débauche de luxe au sommet des institutions et après que la courte levée des sanctions entre 2015 et 2018 a montré qu’elles n’étaient pas seules en cause du délabrement économique. La révolte populaire du nouvel an 2018 [2], qui avait touché des milieux jusque-là plutôt favorables au régime, en avait témoigné.

L’incurie du régime touche tous les domaines : en plus des fermetures d’usines liées au manque d’investissements autant qu’aux sanctions, des milliers d’immeubles sont proches de l’effondrement, l’État a été incapable de réagir face aux inondations désastreuses du printemps dernier et, actuellement, ce sont les nuages de pollution qui menacent la population, obligeant le gouvernement à fermer les écoles et universités dans les grandes villes samedi 30 novembre.

Si la répression est la première arme du gouvernement, celui-ci est contraint de faire quelques gestes. Ainsi, en octobre, deux militants ouvriers, Esmail Bakhshi et Sepideh Gholian, qui venaient d’être condamnés à 14 et 18 ans de prison, avaient dû être libérés sous caution. Et le régime fait maintenant mine d’aider les plus pauvres en promettant du lait gratuit dans les écoles.

C’est aussi face aux puissances impérialistes que le régime doit en rabattre. D’autant que la contestation a gagné les pays où il cherche à étendre sa sphère d’influence : au Liban, où le Hezbollah s’est discrédité au pouvoir, et en Irak, où le Premier ministre soutenu par l’Iran a dû démissionner face à la rue. Partout, ce sont notamment les populations chiites qui manifestent contre l’emprise de l’Iran, empêchant le régime de jouer la carte de la division religieuse. Le régime affaibli se voit contraint de faire un pas vers les USA et ses alliés. Le 3 décembre, le président Rouhani affirmait n’avoir aucun problème à renouer des liens avec l’Arabie saoudite, son principal rival dans la région, pour coopérer au « maintien de l’ordre », en particulier pour conclure un accord de paix au Yémen (par-dessus la tête de la population concernée bien entendu). Le 4, il s’est dit prêt à négocier dès que les États-Unis auront mis fin aux sanctions. Le 7, c’est un échange de prisonniers avec les USA qui contentait Trump, lui arrachant un tweet : « Vous voyez, nous pouvons parvenir à un accord ensemble. » Est-ce le début d’un rapprochement qui pourrait conduire à la fin des sanctions ? À voir. En tout cas, les travailleurs et la jeunesse n’ont rien à en attendre et leur mobilisation est seule à même de faire tomber cette dictature réactionnaire et anti-ouvrière.

7 décembre 2019, Maurice Spirz


[1Lire « Iran : de la prison pour avoir exigé des salaires impayés », L’Anticapitaliste hebdo no 490, septembre 2019.

[2Lire Convergences révolutionnaires no 117, janvier-février 2018.

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