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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 39, mai-juin 2005

Irak : la démocratie... embourbée

Mis en ligne le 2 mai 2005 Convergences Monde

« George W. Bush a-t-il raison ? » se demandait, le 26 mars, dans les colonnes du Monde l’ancien ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine. L’Europe à été sceptique en 2004 devant le plan de « Greater Middle-East » du président américain, dit-il, mais il faut reconnaître que, même si c’est « à partir de justifications aussi mensongères et par des procédés aussi brutaux » Bush a déclenché « un processus prometteur », un mouvement « vital pour les peuples arabes » dont nous, Français et Européens, « devrions nous sentir plus nettement et plus visiblement partie prenante, avec les Américains et autant qu’eux »...

Plus plat vis-à-vis de l’impérialisme américain qu’un socialiste français tu meurs ! Blair mis à part, évidemment.

Un gouvernement fantoche fait de bric et de broc

Mais l’ex-ministre socialiste n’est pas seul à apporter son soutien à Bush en nous servant la fable de l’armée américaine en train « d’enraciner la culture démocratique » en Irak. Chirac ou Schröder aussi se sont empressés de saluer les élections irakiennes du 30 janvier dernier, faites sous contrôle des troupes d’occupation. Après le gouvernement provisoire mis en place par les Américains il y a un an, un vrai gouvernement, démocratiquement élu, allait en sortir.

Mieux valait le dire vite. Car, malgré les pressions de George Bush, il a fallu près de deux mois et demi de tractations entre les leaders des divers clans régionaux ou religieux qui collaborent avec les autorités américaines pour qu’un partage des postes puisse être entériné, début avril, par le vote du nouveau parlement.

La présidence de la république a été attribuée à un nationaliste kurdes, Jalal Talabani, le même qui s’était allié à Saddam Hussein à la fin des années 60 pour combattre son rival Barzani, puis allié à l’Iran à la fin des années 90 quand celui-ci demandait l’aide du gouvernement irakien, avant que tous deux misent en 2003 sur l’opération américaine et se retrouvent, momentanément sans doute, bras-dessus bras-dessous pour proclamer solennellement la réunification du Kurdistan le 3 février 2005. Talabani est affublé de deux vice-présidents, l’un chiite l’autre sunnite.

La présidence du parlement est revenue au leader d’un parti islamiste sunnite proche des Frères musulmans et, accessoirement, ancien dirigeant d’une compagnie d’investissement à Los Angeles. Lui aussi affublé de deux vice-présidents, l’un chiite et l’autre kurde du parti de Barzani.

Enfin un chiite, Ibrahim Al-Jaafari, a été nommé Premier ministre : exilé à Londres pendant 20 ans, il est présenté comme « islamiste modéré », mais chef d’Al-Daawa, mouvement chiite qui a organisé nombre d’attentats, contre l’ambassade d’Irak à Beyrouth, par exemple, ou contre les ambassades de France et des États-Unis du temps où ces pays soutenaient Saddam Hussein dans la guerre contre l’Iran.

Quant au gouvernement, nommé enfin le 29 avril, trois mois après les élections, il est encore incomplet : pas de ministre des armées, par de ministre des pétroles, et deux des trois postes de vice-premier ministres non pourvus. Un seul fait marquant : le retour, avec le titre de Vice-Premier ministre, de l’affairiste véreux Ahmed Chalabi, promu par les Américain en 2003 au premier « Conseil intérimaire de gouvernement », avant de tomber en disgrâce en 2004 et d’être poursuivi en justice pour fausse monnaie.

Une guerre sans fin

Le 9 avril dernier, deuxième anniversaire de la chute de Bagdad, une manifestation y aurait regroupé près de 300 000 personnes demandant le départ des troupes d’occupation.

« Je pense que nous avons grand besoin des Américains et des autres soldats alliés en Irak jusqu’à ce que nous soyons capables de reconstruire nos forces de sécurité » a riposté le nouveau président de la République, Jalal Talabani, sur les antennes... de CNN.

Face au bourbier irakien, les « autres soldats alliés », justement, commencent à se défiler. Le contingent espagnol est parti il y a un an. Les gouvernements bulgare, ukrainien et polonais, ont programmé le retrait de leurs troupes entre mars et la fin de l’année 2005. Certes leur participation est un soutien à Bush plus politique que militaire. Leurs contingents, 450, 1 300 et 1 700 hommes respectivement, sont négligeables aux cotés des 150 000 GI américains, et les gouvernements en question invoquent le coût trop élevé, pour eux, des opérations. Mais leur désir de s’en évader est caractéristique d’une guerre qui s’enlise.

L’envie a démangé jusqu’à Berlusconi. Désarçonné par la mort de l’agent des services secrets italien, tué par l’armée américaine alors qu’il accompagnait une journaliste libérée, « il cavaliere » était allé jusqu’à annoncer, le 15 mars, sa décision de retirer les troupes italiennes, question de se dédouaner auprès de son opinion publique.... Avant d’être obligé de tourner casaque deux jours plus tard, rappelé à l’ordre par Bush.

Quant à Blair, à l’approche des élections législatives (le 5 mai prochain) il cherche à rassurer son opinion publique en promettant que d’ici un an, ou au pire deux, c’en sera fini et les soldats britanniques rentreront au pays.

Rien n’est moins sûr. Car il est plus facile de trouver quelques notables, comme Talabani ou Al-Jaafari, pour cautionner l’occupation que de construire une armée et une police irakienne qui puisse, contre le peuple irakien lui-même, prendre le relais des troupes d’occupation.

Armée et police irakiennes reconstituées ont maintenant des effectifs du même ordre de grandeur que les troupes américaines. Mais elles n’ont ni l’entraînement de ces troupes, ni surtout leur fiabilité, quand elles ne servent pas de fournisseurs d’armes à la résistance ou ne désertent pas. Et quand le nouveau président irakien Talabani se dit prêt à recourir aux « forces populaires » que seraient les peshmergas (milices kurdes) qu’il contrôle ou à des milices chiites contre les groupes armés sunnites, ce sont les USA qui ne sont plus d’accord : ils y voient poindre le règne de chefs de guerres rivaux qu’ils ne contrôleraient plus, les risques de sécession ou la prise de contrôle de la ville pétrolière de Kirkouk par les milices qui en revendiquent le rattachement au Kurdistan.

Le Greater Middle-East

Quant aux attentats et opérations militaires des groupes armés hostiles à l’occupation, loin de s’éteindre, ils se sont multipliés au cours des derniers mois. Si bien que c’est peut-être bien plus vers l’accroissement des effectifs américains en Irak, revendiqué par l’État-major, que vers la réduction progressive promise régulièrement par Bush que la guerre s’oriente.

Bush avait annoncé, au lendemain du 11 septembre, une « guerre longue contre le terrorisme ». C’est que son objectif ne se limitait absolument pas à Al-Quaida, ni à l’Afghanistan sans ressources, ni même à l’Irak. Il visait un plus grand contrôle de toute la région.

Les USA profitent de leurs deux guerres (celle d’Afghanistan n’est pas finie) à la fois pour faire une démonstration de force vis-à-vis de tous les pays de la zone et pour multiplier les bases militaires américaines dans la région. L’armée américaine a déjà pris pied en Ouzbékistan et installé une base aérienne de 3 000 hommes au Kirghizstan. Elle se prépare à ouvrir neuf nouvelles bases militaires en Afghanistan, suivant un accord imposé après une visite au président Karzaï d’un sénateur républicain chargé de la Commission des services armés, accompagné d’Hillary Clinton. Et elle a conclu des accords avec le Tadjikistan et le Kazakhstan pour utiliser leurs bases aériennes.

Contre la guerre de Bush

L’enlisement dans la guerre d’Irak est, pour ce jeu, une sacrée épine dans le pied. Mais pour l’instant, même si l’occupation ne cesse de fabriquer de nouveaux volontaires pour des attentats suicides et si elle ne peut venir à bout des groupes de résistance armée, l’armée américaine a l’avantage de n’avoir en face qu’une population politiquement désarmée, dont la révolte est dévoyée par les diverses coteries nationalistes ou religieuses qui aspirent au pouvoir.

Mais cette guerre d’Irak a déjà coûté à l’armée américaine 1 583 morts (sans compter entre 200 et 300 aux alliés) et plus de 12 000 blessés selon les statistiques officielles du Pentagone probablement inférieures à la réalité. Depuis le début de la guerre d’Afghanistan, un million de militaires américains se sont relayés dans les opérations et il a fallu puiser parmi les réservistes. Au point que l’État-major américain se plaint aujourd’hui de ne plus trouver assez de nouvelles recrues pour l’armée et surtout de volontaires pour les troupes de réserve.

Certes, la population américaine « semble plus préoccupée par la réforme des retraites, le procès de Michael Jackson et le prix de l’essence », commentait le journal Le Monde du 22 mars, « le mouvement antiguerre s’essouffle ». Peut-être. Mais en plus de ses victimes, morts et blessés, la guerre à un coût, qui n’est pas sans conséquence sur la réduction des dépenses sociales. C’est aussi aux États-Unis que Bush pourrait trouver des ennemis. Et Blair en Angleterre.

En se lançant dans ses grandes manœuvres au Moyen-Orient, Bush a fait, à tort ou à raison se demanderait Védrine, un pari. Aux travailleurs de le lui faire perdre.

29 avril 2005

Olivier BELIN

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