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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 95, septembre-octobre 2014 > Intermittents et précaires

Interview : Jours de colère aux « Nuits de Fourvière »

24 septembre 2014 Convergences Société

Musiciens depuis une vingtaine d’années Thibaud (chanteur et parolier, parfois bassiste) et Sofiène (guitariste) vivent de leur musique (partiellement, car ils sont aussi techniciens) grâce au statut d’intermittent du spectacle. Ils ont enchaîné le développement de plusieurs groupes de rock avec une certaine idée de l’engagement politique. Le dernier en date s’appelle R.A.B [1].

➤Convergences révolutionnaires : Être intermittent, qu’est-ce que ça veut dire dans votre situation à l’un et à l’autre ?

Sofiène  : moi je suis technicien et artiste, même si je fais plus d’heures de technicien que d’artiste, ce qui me permet de cumuler les deux types d’activités. Tu cumules et, là où tu as le plus d’heures, tu bascules de l’annexe 8 (technicien) à l’annexe 10 (artiste). Les calculs ne sont pas les mêmes, c’est deux statuts différents mais qui communiquent. Tu cotises dans les deux caisses et ensuite tu vas dans l’une ou dans l’autre en fonction du nombre d’heures. Ce qui change c’est l’indemnisation et pas le calcul pour l’obtention du statut.

Thibaud : Même chose pour moi. J’ai commencé par faire plus de cachets comme artiste. Quand tu es artiste indépendant, autoproduit, tu cours après le cacheton, tu te débrouilles comme tu peux et, de toute manière, à nos niveaux, c’est plus facile, plus sûr de passer par de la technique.

➤C.R. : Qu’est-ce que change cette réforme dans votre quotidien ?

T. : Mise à jour d’un plafond (autour des 4 800 euros) qui concerne 3 % des intermittents (Johnny Halliday par exemple) dont on ne fait pas partie. Le gouvernement pourrait vouloir le baisser jusqu’à des montants qui finiraient par concerner bien plus d’intermittents.

S. : Johnny Halliday n’est pas qu’intermittent, parce qu’il est producteur de ses propres spectacles, c’est-à-dire qu’il est patron et récupère le produit du travail des intermittents en tant que producteur, plus un cachet d’artiste, et, enfin, l’éventuelle indemnisation de Pôle emploi. S’il existe des « abus », c’est bien de la part de ce style d’artistes-producteurs…

T. : À part le plafond, ce qui a alerté les intermittents, c’est ce qu’ils appellent le différé d’indemnisation… c’est à dire qu’en plus des sept jours de carence obligatoires (à chaque fois que tu poses ton dossier d’inscription) on propose désormais de différer l’indemnisation, donc en fait de prolonger cette carence initiale, et de le faire chaque mois. Le différé peut aller jusqu’à une cinquantaine de jours.

S.  : Le différé, ça peut faire un trou de plus 500 euros, et donc, là, tu acceptes du travail parce qu’il te les faut ces 500 euros, ce qui va construire le différé du mois suivant, parce que tu as travaillé pendant ton différé et ainsi de suite. (…) Après une grosse période de travail, en l’occurrence après les festivals de juillet, tu te retrouves avec moins de 1 000 euros pendant deux mois et tu fais du « black », avec tous les risques que ça comporte…

➤C.R. : Comment vous êtes-vous organisés à Lyon, sur le festival des Nuits de Fourvière ?

T.  : Les comédiens du Printemps des comédiens à Montpellier, les premiers en grève, sont montés le 3 juin sur le festival pour nous entraîner avec eux. On a pu dans un premier temps organiser sur place des prises de paroles en direction des intermittents et du public. La direction des Nuits de Fourvière a d’ailleurs été assez habile pour nous laisser des temps de parole, sans se braquer. C’était pour limiter ou contrôler l’éventuel effet boule de neige sur les intermittents de Fourvière. Pour résumer, le directeur a fait en sorte qu’il y ait des prises de paroles mais pas de grève. On est revenu au patronat paternaliste : « Nous sommes une grande famille, ne vous tirez pas une balle dans le pied ».

S. : Un des problèmes, c’est que les intermittents ne parlaient que du différé d’indemnisation et qu’on avait besoin du statut d’intermittents parce que la culture, c’est vachement important. Sortis de ça, ils ne disaient rien. Avec Thibaud, on leur a dit « Faut arrêter avec ça, ça nous concerne nous, mais pas que… »

T. : On souhaitait parler de la manière dont on pouvait maintenir la pression, dans quelle mesure nous sommes les arbres qui cachent la forêt de ce qui arrive au code du Travail. On nous met en première ligne en voulant nous faire passer pour des privilégiés. Très bien ! Mais c’est le job de tous les salariés de parvenir à installer un véritable rapport de force, de se mettre ensemble et de dire ça suffit, c’est injuste, c’est cynique, c’est inhumain, c’est brutal, c’est violent, et on ne va pas se laisser faire ! Voilà ce qu’on a essayé de faire passer. On a essayé d’élargir quoi.

➤ C.R. : Sur l’élargissement, vous n’avez que partiellement convaincu ?

T.  : Effectivement. Mais on a essayé de poser le problème. On a pu organiser un vote, pour donner une tendance, sur le jour de grève nationale le 16 juin. Le vote a donné 80 % pour la grève, on était devant la préfecture face également à Rebsamen présent ce jour-là. Les cheminots nous ont rejoints, on s’est dit « C’est peut-être un bon début ». Mais les prises de paroles face au public ont quand même des limites : expliquer ce dont on discute depuis une heure à 4 500 personnes en cinq minutes, pas facile.

➤ C.R. : Du coup, quel bilan à l’issue du festival ?

T.  : Le bilan, c’est un jour de grève, des prises de paroles chaque jour, un concert de soutien le 19 juillet et pas mal de gens qui se sont retrouvés ensemble, qui ont pris conscience que la politique, elle entrait dans leur vie.

S. : Certains ont peut-être pris conscience que le différé, ce n’est pas le plus important, qu’on a affaire à une politique globale contre tous les salariés du monde. Nous, on fait cela toute l’année, on fait des groupes (de musique) qui parlent de tout cela. Et là, on a eu l’occasion d’en parler à d’autres.


[1R.A.B. : pour découvrir les significations de l’acronyme, rendez-vous sur www.facebook.com/durab

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