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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 129, novembre 2019 > Incendie de Lubrizol

Incendie de Lubrizol

Région parisienne

Il y a moins de trois mois, à Achères, une usine Seveso brûlait…

Mis en ligne le 29 octobre 2019 Convergences Entreprises

Le 3 juillet dernier, avant l’incendie de l’usine Lubrizol du 26 septembre à Rouen, un autre site classé Seveso brûlait à Achères dans les Yvelines (78) à une trentaine de kilomètres de Paris, tout près des grosses implantations PSA (Carrières, usine et pôle tertiaire de Poissy). Le Monde diplomatique, qui a fait un article le 27 septembre, parle d’un « désastre absolu qui ne suscite qu’une inquiétante indifférence » [1].

Le 3 juillet en effet un incendie s’est déclenché dans l’usine « Seine Aval » (SAV) du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siapp) à Achères. Ce site, comme celui de Lubrizol à Rouen, est classé « Seveso seuil haut » (qui mérite donc une surveillance particulière à cause des produits toxiques qu’il mobilise). Il s’agit de la plus grande station d’épuration d’Europe qui traite 60 % des eaux usées de neuf millions d’habitants de la région parisienne.

En quelques mois, c’est le quatrième incident grave (incendie ou explosion) sur le site. L’association Robin des Bois révélera que l’incendie du 3 juillet était en fait le onzième accident sur le site de SAV depuis le 10 avril 2017. L’usine avait fait l’objet de quatre mises en demeure du préfet des Yvelines en 2018 pour non conformité à la réglementation, notamment pour le manque de contrôle des tuyauteries et soudures.

Tout va bien madame la marquise…

Mais le soir même de l’incendie, la préfecture des Yvelines ne lançait qu’un tweet : « À ce stade, le nuage n’est pas toxique, pas de confinement nécessaire. » Il faudra pourtant quatre jours pour que l’incendie soit maîtrisé, et rien moins que l’immense échelle utilisée lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris quelques mois plus tôt. Tout cela dans un silence assourdissant de tous les médias nationaux.

Le bâtiment qui a brûlé est celui qui sert à la « clarifloculation » des eaux usées (procédé d’élimination des particules en suspension, notamment des phosphates). Il ne peut plus fonctionner qu’à 50 % de ses capacités. Selon Le Monde diplomatique, la direction du Siapp reconnaît qu’il faudra plusieurs années – de trois à cinq ans – pour reconstruire l’unité de clarifloculation : « Avec pour conséquence de graves pollutions de la Seine ».

Le lendemain, 4 juillet, le syndicat FO du Siapp expliquait : « La situation à SAV s’est fortement dégradée depuis plus de deux ans. Vendredi dernier, nous avons adressé à l’inspection du travail sept alertes de dangers graves et imminents (dont le Siapp n’a toujours pas tenu compte malgré ses obligations en la matière), pour des fuites de gaz ou des départs d’incendie. » De son côté, un journaliste du Courrier des Yvelines racontait : « Très vite après l’incendie, on a reçu des messages d’habitants nous signalant que des poissons morts flottaient partout en bord de Seine et que l’odeur était insoutenable. » Le 5 juillet, face à des journalistes locaux, le Siapp évoqua simplement « quelques dizaines de poissons morts ». Début octobre, on découvrait qu’il y en avait près d’une douzaine… de tonnes.

Incurie criminelle, omerta complice

La préfecture des Yvelines organisait une autre réunion le 5 septembre. C’est là que les journalistes apprenaient que c’était seulement ce même jour, deux mois après l’incendie, qu’une mission d’experts avait enfin pu accéder au cœur du site (inaccessible jusque-là pour des raisons de sécurité), pour tenter de comprendre l’origine de l’incendie. Début septembre, un responsable FO du Siapp rapportait plusieurs nouveaux départs d’incendie au sein des installations restantes, les 31 août, et 3 et 4 septembre, sans qu’aucune enquête n’ait été faite. Comme le note Le Monde diplomatique  : « En juin 2019, la chambre régionale des comptes d’Île-de-France (CRC) dressait un tableau accablant de la “gouvernance” du Siapp, qui s’est affranchi de toute contrainte depuis des lustres ». Fin septembre, des résidents de Conflans-Sainte-Honorine le disaient en ces termes : « On se moque de nous, depuis le début, nous n’avons aucune information sérieuse. Y a-t-il des risques sanitaires si l’on remet en service les anciens bassins de décantation qui vont nous empuantir des kilomètres à la ronde ? Qu’est-ce qui nous garantit que de nouveaux accidents ne vont pas survenir ? » Qu’à cela ne tienne, comme à Rouen, les industriels diffusent des tracts pour expliquer que tout va bien, avec la complicité des pouvoirs publics et des élus (notamment PS, PCF et EELV, qui représentent la ville de Paris, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine au conseil d’administration du Siapp et qui ne se sont pas exprimés sur la catastrophe depuis le 3 juillet).

Une catastrophe dont la gestion capitaliste est seule responsable

Avec le soutien de potentats municipaux et régionaux depuis les années 1970 (notamment feu Michel Rocard et Jean-Paul Huchon), le Siapp est devenu en quelques décennies un mastodonte de l’industrie du traitement des eaux, contrôlant, à grand renfort de financements publics, plus de 1 700 agents et un budget annuel de 1,2 milliard d’euros. C’est le premier donneur d’ordre européen dans le domaine de l’environnement. Il gouverne donc « l’attribution de gigantesques marchés publics aux multinationales françaises de l’eau, à leurs filiales d’ingénierie, à des bureaux d’étude spécialisés et à des géants du BTP [et] défraie la chronique judiciaire depuis le début des années 2000 » [2]. Autant de sous-traitants comme Schneider qui s’en mettent plein les poches au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires. Parmi les plus grosses entreprises qui se partagent régulièrement des marchés de plusieurs centaines de millions d’euros, on retrouve OTV (filiale de Veolia), Degrémont (filiale de Suez) et Stereau (groupe Saur, numéro 3 du secteur de l’eau).

Dernier détail sordide : le 14 octobre à l’usine PSA de Poissy, la direction (qui cherche à faire dégager plusieurs centaines d’ouvriers) organisait un grand forum de l’emploi, avec préparation de CV, présentation d’une vingtaine d’entreprises… Parmi elles, l’usine Seine Aval du Siapp dont les débaucheurs vantaient les semaines de 6 jours en 3x8 et les vertus du statut de fonctionnaire, devant des ouvriers de PSA qui ignoraient tous que 3 mois auparavant l’usine avait brûlé.

Une illustration de la gestion capitaliste de la société, à tous les niveaux…

18 octobre 2019, Léo Baserli


[1Marc Laimé, « Omerta sur une catastrophe industrielle majeure aux portes de Paris », Le Monde diplomatique, 27 septembre 2019.

[2Idem

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Numéro 129, novembre 2019