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Editorial

Harcèlement sexuel : Lever l’omerta partout... y compris au travail

Mis en ligne le 7 novembre 2017 Convergences Société

Depuis les révélations sur l’affaire Harvey Weinstein, de plus en plus de femmes prennent la parole sur les réseaux sociaux et des milliers d’entre elles sont descendues dans la rue dimanche pour dénoncer le harcèlement sexuel dont les femmes sont victimes. L’engouement médiatique est alimenté par l’avalanche de personnalités dénoncées comme harceleurs ou violeurs.

Interpelé sur l’affaire lors de son Grand Entretien, le 15 octobre sur TF1, Macron a versé une larme de circonstance sur les violences et le harcèlement sexuels subis par les femmes au quotidien. Dans un élan de courage politique, il s’est dit prêt… à retirer à Weinstein sa légion d’honneur. Tremblez violeurs de par le monde... Sûr qu’avec des amis comme Macron, les femmes n’ont pas besoin d’ennemis !

Police partout, justice nulle part

Mis au pied du mur, Macron a promis une loi sur le harcèlement sexuel pour 2018. Au passage, il en a profité pour faire passer la pilule de la création d’une « police de sécurité du quotidien », pourtant dans les cartons depuis longtemps. Mais qui peut croire qu’il sera mis un coup d’arrêt au harcèlement de rue grâce à plus de policiers dans le métro ? Quand bien même il serait possible de saisir « l’outrage sexiste » en flagrant délit – peu de chances –, que fera cette police qui, aujourd’hui, refuse si souvent de prendre les plaintes de victimes de viols, quand, à l’occasion, ce ne sont pas des policiers qui s’en rendent eux-mêmes coupables ? Comme par hasard, Macron n’a pas résisté au plaisir de dire que c’est dans « les quartiers les plus difficiles », que se passerait l’essentiel du harcèlement… C’est faux ! S’il y en a là comme partout, le multimillionnaire Harvey Weinstein ne sévit pas, qu’on sache, dans les ghettos pauvres de Los Angeles ! L’actualité récente et toutes les études montrent en réalité que harcèlement et violences sexuelles ont lieu dans tous les milieux. C’est cracher sur ce malaise quotidien des femmes que de l’utiliser comme prétexte à des fins sécuritaires et racistes, pour renforcer les contrôles au faciès et les interpellations.

#BalanceTonPatron

Surtout, Macron s’est bien gardé de pointer du doigt le fait que 25 % des agressions sexuelles ont aujourd’hui lieu au travail : une femme sur cinq est victime de harcèlement au cours de sa vie professionnelle. Là aussi, suite à l’affaire Weinstein et le hashtag « MeToo » (« Moi aussi »), devenu viral : #YoTambién, #QuellaVoltaChe, كمان_أنا# … la parole s’est libérée, en tout cas sur les réseaux sociaux. Jusqu’en France, avec #BalanceTonPorc. Un remarquable retour à l’envoyeur, où des femmes racontent les violences et le harcèlement sexuels au travail, commis en général par un chef ou un patron. C’est au quotidien qu’elles ont à se défendre des mots obscènes, des mains aux fesses, des agressions… et ce face à la hiérarchie, à la menace de représailles ou de licenciement. De l’entretien d’embauche, à l’évaluation individuelle, en passant par la cantine, les vestiaires, les portes fermées…

C’est que, dans cette société capitaliste, travailler signifie être exploité. Mais pour les femmes cette exploitation se double de l’oppression dont elles sont victimes depuis des millénaires et qui demeure, même si elle a pris de nos jours des aspects plus insidieux et moins ouverts et institutionnalisés, bien que pas toujours et pas partout.

L’obscénité est du côté de ceux qui bâillonnent

Certains politiques, intellectuels rassis et hommes de pouvoir ont rivalisé d’indignation… non pas à l’égard du harcèlement mais des témoignages de femmes. « Ce que je n’aime pas c’est qu’on traite un homme de porc » a déclaré Bernard-Henri Lévy. Pas moins gênant que le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, sur France Info, qui a tenu à répondre à la question de savoir s’il fallait dénoncer les harceleurs par un éclairant « Ça dépend… entre le fait de pouvoir flirter et de pouvoir harceler… ».

Par ailleurs, d’autres ont tenu à surfer sur la vague, comme ces hommes posant en Une du Parisien sous la mention « Les hommes s’engagent », parmi lesquels certains ayant qualifié les récits d’agressions sexuelles commises par Denis Baupin de « rumeurs », ou l’affaire DSK de « complot »… Dans la même veine, Martin Hirsch, directeur des hôpitaux de Paris s’est plié au jeu en admettant que le harcèlement sexuel était « un problème à l’hôpital » mais tout en précisant que c’était un milieu « où on a du mal à distinguer plaisanterie lourdingue et harcèlement ». Étrange : les femmes, elles, distinguent très bien.

Et quand ce n’était pas de l’offuscation sémantique il en allait du courage des femmes. Pas bien, pas assez, pas ce qu’il faut. Danger de dénonciations calomnieuses. Piètre mode d’action là où des poursuites judiciaires seraient de mise. Peu perturbés par l’hypocrisie consistant à remettre en cause la parole des femmes et son mode d’expression, précisément là où leur silence est considéré par tous comme dévastateur, chacun y est allé de sa critique. Sauf qu’au risque de se répéter, porter plainte, c’est l’évidence même, sauf quand il s’agit de le faire. En témoignent les assistantes du parlement européen, en contrat précaire, qui ont été illico licenciées suite à leur plainte. Si une poursuite judiciaire est évidemment préférable à l’expression libre en 140 signes sur Twitter, reste que la deuxième ne peut que donner courage pour affronter la première… Surtout au travail, où les lois contre le harcèlement sexuel existent déjà mais où il est pour autant extrêmement difficile de le prouver et de faire valoir ses droits. À fortiori pour des millions de femmes dont la situation est aggravée par les politiques d’austérité, la précarité, les inégalités sociales.

De la libération de la parole à la libération tout court

La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, incite les victimes à porter plainte... Sauf que sa réforme de la justice va encore aggraver une situation où, « faute de moyens pour de vraies investigations, les parquets classent sans suite à tour de bras », comme l’explique Léa Scarpel, juriste à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail.

Sur ce sujet, l’hypocrisie du gouvernement est palpable, qui vient de supprimer par ordonnances le CHSCT, faible garantie légale pour combattre, entre autres, le harcèlement. Derrière les postures féministes, les gouvernements successifs ont une grande part de responsabilité dans le fait que les femmes sont payées en moyenne 24 % moins que les hommes, que le droit à l’avortement est remis en question par la fermeture des centres IVG, que moins de 2 % des affaires de viols aboutissent à une condamnation, et l’on en passe, alors que ce sont plus de 84 000 femmes qui sont violées chaque année. La société capitaliste, s’appuie sur l’assujettissement des femmes, l’utilise pour diviser les travailleurs et donc, en fin de compte, l’organise, avec l’appui des religions quelles qu’elles soient qui ont toujours rendu les femmes responsables du péché… et aujourd’hui coupables de la sexualité des hommes.

Mais les femmes ne sont ni un gibier pour libidineux, ni un trophée qu’on ramasse quand on a le pouvoir. L’engouement médiatique que l’on vient de connaître risque de s’atténuer rapidement, mais il aura eu le mérite de susciter des discussions, de forcer à regarder en face, ce problème de fond. Maintenant, pour que les choses changent, il faudra que le rapport de force s’inverse. À l’échelle d’un bureau, d’un atelier, d’un service, comme à l’échelle de la société toute entière. L’heure est à une défense collective contre ces hommes en position de profiter de leur pouvoir, de quoi donner du courage, y compris pour d’autres luttes. Que les salariés réagissent collectivement face à des situations de harcèlement ou pire au travail et que leurs organisations prennent en charge ce combat, c’est aussi contribuer à inverser le rapport de force général, et permettre qu’un jour il soit mis un point final à ces oppressions.

28 octobre 2017

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Numéro 115, novembre 2017

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