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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 51, mai-juin 2007

Gauche et extrême gauche à l’épreuve des urnes

Mis en ligne le 10 mai 2007 Convergences Politique

S’il est une caractéristique du premier tour de l’élection présidentielle, c’est que la gauche n’a pas tiré profit du mécontentement suscité par les cinq ans de gouvernement de droite et d’attaques contre les travailleurs (retraites, sécurité sociale, réduction d’effectifs des services publics…).

Faible la gauche ? Non, servile !

Les claques qu’avaient été pour la droite les résultats des élections régionales et européennes du printemps 2004 (avec, il est vrai, un très fort taux d’abstention à l’inverse des présidentielles de cette année), avaient pu faire croire au Parti socialiste que les voix des mécontents parmi les couches populaires lui étant assurées, il lui suffirait de grignoter sur sa droite.

Plus Sarkozy courait derrière les voix de Le Pen, plus Royal courait derrière Sarkozy. Il parlait d’abolir les 35 heures, elle promettait de les assouplir ; lui de s’en prendre aux régimes spéciaux de retraite, elle d’en négocier la « remise à plat » (ou la fin) avec les syndicats. Il parlait de fermeté vis-à-vis des jeunes délinquants, elle de centres de rééducation encadrés par l’armée ; lui d’immigration choisie, elle d’une immigration à la demande… des patrons, avec visas à allers-retours multiples pour que l’immigré retourne chômer chez lui, et revienne dès qu’un patron le siffle. Et à chaque bon Français d’avoir son drapeau tricolore !

Vis-à-vis de tous ceux que ces perspectives n’enthousiasmaient pas, il restait l’argument suprême : diaboliser Sarkozy. Pourtant pas plus qu’on n’affaiblit Le Pen en criant au fascisme, on n’affaiblit Sarkozy en cultivant la peur et en promettant le moindre mal. Car il table précisément sur les préjugés les plus réactionnaires et travaille lui-même son look d’homme fort. Mais il n’était pas question pour la candidate socialiste de faire la moindre promesse, de donner le moindre espoir à ceux dont elle sollicitait les suffrages.

Parce que la gauche serait « molle » ? Non. Parce que sa candidate tenait à se montrer responsable vis-à-vis du patronat, prête à prendre la relève de Chirac pour poursuivre les réformes déjà proposées par le Medef.

Un vote sans illusion ni espoir

Résultat : Sarkozy a réussi son pari de souffler à Le Pen une partie de ses voix.

Royal, avec l’argument du « vote utile » qui éviterait les déboires de 2002 n’en a soufflées qu’à ses alliés. Ceux dont elle a marchandé par avance le retrait (chevènementistes et radicaux de gauche), comme ceux qui se sont présentés, PC et Verts, et pleurent maintenant d’avoir été victimes de ce « vote utile ».

Et loin d’avoir gagné des voix sur sa droite, c’est au second candidat de la droite, celui de l’UDF, rebaptisé centriste pour les besoins de la cause, que Royal a non seulement cédé les hésitants, mais aussi, semble-t-il, une partie des électeurs socialistes qui, moindre mal pour moindre mal, se livraient corps et âme au chrétien Bayrou qui aurait plus de chance de les sauver de l’enfer sarkozyste. C’est donc à lui que Royal promettait de céder aussi des ministères, s’il l’aidait à être élue.

Si bien que le candidat de l’UMP a fait, pour ce premier tour, bien mieux que son prédécesseur : 31,22 %, contre les 19 à 20 % de Chirac en 1988, 1995 et 2002. La droite dans son ensemble (Sarkozy et Bayrou, plus Le Pen et de Villiers) a fait son meilleur score depuis 25 ans : 63,57 % des suffrages, contre 57,13 % en 2002, 59,4 % en 1995 ou 51,10 % en 1988, 49,3 % en 1981.

La candidate socialiste a pu se féliciter d’avoir fait mieux que Jospin. Ce n’était pas bien difficile. Mais les 25,87 % qu’elle a obtenus sont à peine plus que les 23,8 % rassemblés en 2002 par Jospin plus Chevènement et Taubira. Ils n’ont été obtenus qu’en réduisant à la portion congrue le PCF et les Verts. La somme des voix de tous les candidats de la gauche gouvernementale (PS, Verts, PC, auxquels on peut ajouter Bové) n’atteint que 30,69 % des voix cette année contre 32,45 % en 2002. Ce qui prouve que le souvenir restait vivace, du passage de cette gauche au pouvoir et de ses mesures contre le monde du travail. Bien maigres, les illusions qu’elle a suscitées.

La gauche de la gauche a fait long feu

Le « tsunami politique » qu’aurait été, selon certains, le succès du Non au référendum sur la constitution européenne de 2005, n’a pas laissé davantage de traces que le succès socialiste aux régionales de 2004. Et pour cause : il était sans enjeu réel pour la population laborieuse et la victoire du Non était le reflet d’au moins autant de préjugés nationalistes (dans la droite extrême ou classique, mais aussi dans une partie de la gauche) que d’inquiétudes sociales ou de rejet de la politique patronale.

De ceux qui, à gauche, en avaient fait leur cheval de bataille, une partie (Mélenchon et Fabius) a rejoint sans états d’âme la gauche du Oui. L’autre partie, qui se voulait la « gauche de la gauche », animée en réalité par des objectifs politiques différents, s’est scindée autour des trois candidats Besancenot, Buffet et Bové. Fort heureusement de la part de nos camarades de la LCR, même si c’est de façon bien tardive, sur un sérieux enjeu : ne pas accepter d’alliance avec ceux qui se proposaient de gouverner avec les socialistes. La dirigeante du PCF, la principale force militante de la campagne du Non, qui semblait y avoir quelque peu requinqué l’image de son parti, n’avait aucune raison d’accepter de passer sous la table. Ceux qui critiquaient la mainmise des partis, mais sont quand même sensibles aux sirènes du PS, se retrouvaient derrière Bové.

Avec tout juste 700 000 voix pour un parti de 70 000 adhérents (si l’on se fie au nombre maximum de participants aux votes internes du PCF tels qu’il les publie) et de quelque 12 000 élus, le PCF a fait le plus mauvais score de son histoire : 1,93 % des suffrages, contre 3,37 % en 2002 et 8,64 % en 1995. Laminé par le réflexe du « vote utile » comme l’explique l’Humanité, sur la foi d’un sondage à la sortie des urnes ? Mais cela fait 25 ans que, d’élection en élection, le PC est laminé au profit du PS, à force de lui filer le train.

Le fait d’effacer son étiquette communiste, en se proclamant candidate d’un rassemblement de gauche « populaire et antilibérale », dont le PC était la seule composante, n’a pas permis à Marie-George Buffet de sauver les meubles. Ni à l’échelle nationale ni dans ce qui était jadis les points forts du PCF. Dans des départements de banlieue parisienne comme la Seine-Saint-Denis ou le Val-de-Marne, Buffet n’a guère récolté plus de 3 %. Dans des grandes villes dont le PC détient encore la mairie, comme à Bobigny (93), il est passé de 11,14 % en 2002 à 6,28 %, ou à La Courneuve (93) de 10,25 % à 4,91 %... À Calais, dont le maire est communiste, avec à peine 4,63 % des voix, le PC est largement doublé par le score de l’extrême gauche, 10,39 % dont 7,15 % pour la LCR et 3,24 % pour LO (des proportions, comme partout, inverses de celles de 2002 où LO avait eu 9,66 %, la LCR 4,67 %). De quoi rendre les responsables du PCF anxieux de sauver leurs mairies, et par là toute une partie de leur appareil, aux municipales de 2008, même si les scrutins locaux lui sont toujours moins défavorables.

À Saint-Denis (93), le responsable du PCF, l’ancien maire Patrick Braouzec, devenu président de la communauté de commune regroupant autour de Saint-Denis cinq autres municipalités communistes (plus Épinay tenue par l’UMP), avait choisi de faire la campagne de José Bové contre celle de son parti : le PC a eu 4,29 % et le candidat de Braouzec 2,02 %. Les tentatives de recyclage des droitiers du PCF vers une gauche plus incolore ne leur offrent sur le plan électoral pas davantage de perspectives que la politique de Buffet.

L’extrême gauche ne s’en tire pas si mal

Dans ce contexte, les résultats de l’extrême gauche, LO et LCR totalisant 5,41 % des voix, restent plutôt réconfortants. Même si, dans ce total, avec seulement 1,33 %, notre camarade Arlette Laguiller fait son plus bas score, moins que les 2 % autour desquels tournaient ses résultats de 1974 à 1988. (Les 0,34 % de Schivardi, ancien PS, défenseur des petites communes, avec relents de nationalisme, présenté par le Parti des travailleurs, sont plus difficilement classables dans l’extrême gauche dont il ne se revendique pas).

Certes Arlette Laguiller et Olivier Besancenot ont fait eux aussi les frais du « vote utile ». Nous l’avons entendu au cours de la campagne, où d’anciens électeurs d’Arlette disaient vouloir assurer la présence du PS au second tour en glissant un bulletin Royal, pour beaucoup à contre cœur. Ce que semble confirmer le même sondage effectué à la sortie des urnes par l’organisme CSA, avec toutes les limites de validité d’un tel sondage : sur les électeurs interrogés ayant voté Arlette en 2002, 27 % auraient voté pour le PS en 2007 et 9 % pour le PC ; sur ceux de Besancenot en 2002, 37 % auraient cette fois voté PS, 2 % PC. Il s’agit probablement pour beaucoup d’un retour aux sources. Les 10 % acquis par l’extrême gauche en 2002 étaient une exception, un vote de désaveu par une partie des électeurs socialistes ou communistes de la politique du gouvernement Jospin.

C’est en 1995, en faisant soudain plus de 5 % des voix, qu’Arlette Laguiller (seule candidate d’extrême gauche cette année-là) avait quelque peu crevé l’écran. C’est ce score que l’extrême gauche retrouve aujourd’hui, alors que la gauche dans son ensemble et plus particulièrement le Parti communiste font leurs plus faibles résultats depuis 25 ans.

Des campagnes parallèles pour populariser les revendications ouvrières

Une partie des anciens électeurs d’Arlette s’est reportée cette fois sur Olivier : les sondeurs de CSA en auraient trouvé 10 % dans leur échantillon. Besancenot a récupéré probablement un électorat jeune : un cinquième de moins de 25 ans selon les sondeurs de CSA, une moitié de moins de 35. Mais la présence de la candidature Bové avait le mérite de rendre plus lisibles les résultats : ceux qui, dans le courant altermondialiste, rejettent les partis politiques voire la classe ouvrière, avaient le choix de voter pour lui. Ceux qui optaient pour le candidat de la LCR n’étaient rebutés ni par les revendications ouvrières mises en avant, ni par l’étiquette communiste.

Car sur le fond, les programmes d’Arlette et d’Olivier étaient grosso modo les mêmes. Pour le meilleur : les mesures d’urgence pour la classe ouvrière mises en avant par Arlette Laguiller dès 1995, et reprises déjà par Besancenot en 2002, ont été les axes des deux campagnes ; les deux candidats n’ont pas ménagé leurs efforts pour être présents auprès des travailleurs en lutte, les soutenir et populariser leurs combats. Pour le moins bon aussi : les deux campagnes ont toutes deux qualifié la gauche de « molle », trop faible, trop timorée face aux patrons, à la différence de ce que devrait être une « vraie gauche » ou « une vraie présidence socialiste ». Un langage plus habituel à la LCR (100 % à gauche) que dans notre organisation. Jusqu’à la même précipitation dès le soir du premier tour à appeler à voter Royal, qui n’avait rien de nécessaire et rendait moins claire la mise en garde des travailleurs sur la politique qu’une Ségolène Royal mènerait au pouvoir.

Mais dans l’ensemble, c’est la dénonciation de l’avidité du patronat et des politiques menées successivement par la gauche et la droite, l’affirmation des principales revendications du monde du travail que les deux candidats de l’extrême gauche ont fait entendre dans cette campagne.

Préparer les luttes à venir, donner un programme politique à la classe ouvrière

C’est sur ce terrain que nous devons continuer à apparaître, nous qui avons tant de fois répété que les mesures d’urgence ne sont pas un programme pour un mythique gouvernement « vraiment socialiste », mais un programme pour les luttes.

Et mieux vaudrait le faire ensemble que séparément, chaque fois que cela est possible. Comme pour ce 1er mai, à condition d’avoir envie d’y faire entendre en commun nos revendications et la nécessité des luttes, et de ne pas transformer les défilés de ce jour-là en manifestations d’anti-sarkozysme (c’est à dire pro-Royal), comme l’a fait la LCR. Cela aurait pu aussi être à l’occasion des prochaines législatives, sur le programme que seuls LO et la LCR ont défendu aux présidentielles.

Ce devra être surtout l’une de nos préoccupations essentielles dans les mois qui viennent. Pour préparer la classe ouvrière à la riposte aux nouvelles attaques contre les travailleurs, et à l’offensive notamment sur les salaires. Nous sommes les seuls à pouvoir le faire, même si nous devrons tenter d’y entraîner bien d’autres militants ouvriers.

Certes du côté de notre organisation, la tentation risque d’être celle de justifier modestie et isolement par le fait que notre faible score électoral nous donnerait peu de poids. Ou sous prétexte que la droitisation des votes de l’électorat serait preuve d’une démoralisation ouvrière. Elle est surtout preuve d’un manque de perspectives offertes aux travailleurs. Car des luttes il y en a eu plusieurs, au cours même de la campagne électorale, non seulement défensives, mais même offensives, comme à Citroën Aulnay, où l’action des militants de Lutte ouvrière a été pour beaucoup. Même si elles sont restées isolées les unes des autres, ou n’ont touché qu’une fraction des ouvriers, elles prouvent qu’existent une certaine combativité et un mécontentement général plus que certain.

Du côté de la LCR la tentation, que l’on voit déjà poindre, sera surtout grande de se croire déjà, fort du meilleur score de tous les partis à la gauche du PS, le noyau d’une nouvelle tentative de construction d’une « gauche de la gauche » réformiste mais « anti-libérale »… Et de repartir ainsi vers ses vieux démons. Plutôt que de s’atteler directement à la tâche de construire un parti ouvrier de la lutte de classe. C’est la tâche de notre organisation de défendre cette perspective-là et de peser sur la LCR pour la maintenir ou l’entraîner sur ce terrain.

5 mai 2007

Olivier BELIN

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Réactions à cet article

  • D’accord avec cette analyse. Toutefois, je suis surpris et déçu que vous ne cherchiez pas à apporter une explication à l’évolution des scores respectifs de Arlette et Olivier, et au vote pour Olivier d’une partie de l’électorat précédent de Arlette.

    Ce phénomène est sans doute très marginal pour ceux qui ne s’intéressent qu’à la défaite de la gauche, mais, pour nous, il est tout de meme important. La tribune libre de camarades de la LCR avance pour seul explication le fait que Olivier aurait été plus critique que Arlette à l’égard de Royale. C’est un élément, mais, si on laisse de côté les personnalités des candidats, la campagne d’Olivier a aussi été sur un certain nombre de points plus combative et plus à gauche que celle de Arlette.

    J’aurais souhaité aussi trouver dans Convergences une critique plus précise, plus détaillée de la campagne de LO. Les critiques qui ne portent que sur l’attitude par rapport à la gauche me paraissent en effet très insuffisantes.

    Gérard

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  • Je suis d’accord avec les remarques de Gérard ... Pourquoi Arlette a fait un score si faible, et bien en retrait de celui d’Olivier Besancenot ? Comment expliquer qu’Arlette est fait une campagne moins critique vis-à-vis du PS (que celle du porte parole de la LCR) ? Et comment vous (la Fraction...) comptez « peser sur la LCR » pour aller dans le sens de la construction d’une fore politique du monde du travail ? ... José

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